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Lettre ouverte de Patrick Beurard-Valdoye en réponse à la chronique de Michel Guerrin

Par Florence Trocmé

Chère Florence,
Que M. Guerrin du Monde prenne position, évoque le regretté Rocard, et rappelle que notre "logiciel" culturel date de Malraux (et j'ajoute : de Gaulle, enseigné comme écrivain du XXe siècle dans les lycées !) est presque parfait.
Mais lorsqu'il écrit : "pourquoi l'art, la musique et la lecture",  il dévoile une sorte d'inconscient français plutôt plombant.
Voyez bien qu'il n'écrit pas : la littérature ; il n'écrit pas la poésie ; le roman et le théâtre (dans ce cas, je dirais : les arts poétiques), non non, il écrit : la lecture.
Déjà le Centre Georges Pompidou fut fondé, selon les termes de son inventeur — et ce fut redit par Madame ensuite — en tant que lieu de peinture, de sculpture, de musique et de lecture.
La lecture, c'est autant la littérature, que la littérature secondaire, que pas de littérature du tout.
Il y aurait les arts d'une part, et la lecture d'autre part.
La lecture reste désespérément du côté de l'apprentissage et du devoir, du patrimoine, voire de la culpabilité s'il est question de fautes commises, du fameux "mal dit", et même, on s'en souvient, du : "pas français" dans la marge.
La lecture est rarement du côté de l'art, de l'invention, de la création, de l'audace, de l'insolence, de la transgression et du vivant, comme l'est manifestement la musique, comme le sont les arts plastiques. Il est même possible d'avoir en punition "une poésie".
La question est donc moins : "Est-ce qu'ils lisent ?" (non) ; que : "qu'est-ce qu'on leur propose de lire, et comment, et pour quels objectifs artistiques ?" 
 
D'autre part, quand M. Guerrin parle de lecture, il ne conçoit pas qu'aujourd'hui la lecture — pour nous, artistes de l'écriture — signifie bien sûr et d'abord, autre chose, car elle participe d'une dimension publique, renouant avec le collectif : la lecture à haute voix.
Il ignore probablement ce que font admirablement certains poètes, lisant ou performant en public, et parfois — quand les structures sont présentes et motivées — devant des milieux renâclant à lire, et qui dans l'énergie et l'agitation du langage transmises, nous disent : "Alors c'est ça la poésie ?" avec l'intention parfois d'en produire en corollaire.
Il ignore probablement ce que font admirablement certains poètes, de façon si précaire (notamment dans les résidences d'auteur), qui interviennent dans des lieux que la société a culturellement quasi abandonnés, où plus personne n'est mandaté pour aller apporter un soupçon de dignité par la parole.
Il faut voir ce qu'un Patrick Dubost fait en milieux difficiles, en zones rurales (autre difficulté), ou avec les handicapés, ou avec les prisonniers.
Ou ce que peut faire Véronique Pittolo avec les résidents d'un EHPAD, où les "activités culturelles" sont parfois infantilisantes, voire inexistantes.
Il fallait voir ce que Séverine Daucourt-Fridriksson a monté à bout de bras avec ces dames du Palais de la Femme, lors de l'émouvante restitution à la Maison de la Poésie.
Ces personnes, qui ne sont plus — depuis le passage de poètes — des individus, ne vont certes pas acheter Racine ou Corneille ou Shakespeare (ou de Gaulle ?), même à un euro. Mais elles savent à présent ce que les arts poétiques peuvent leur apporter, en tant que langue et énergie transmises, en tant que parole retrouvée dans l'estime et le respect.
Quant à ces ouvrages d'arts poétiques, et ces expériences, où donc font-ils l'objet de recensions dans le Monde ? (Je mets à part la tentative de Didier Cahen, appréciable en tant que forme très brève, mais hors du champ de la critique journalistique).
Le Monde aurait aussi baissé les bras, si je ne me trompe ...

Patrick Beurard-Valdoye


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