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Voitures autonomes : la course des modèles économiques

Publié le 15 juillet 2016 par Pnordey @latelier

Guerre entre constructeurs automobiles et starts-ups, alliances entre les deux mondes, coopération avec les universités, essor des systèmes globaux de mobilité : la voiture autonome est sur le point de devenir une réalité et fait l’objet de toutes les expérimentations technologiques et économiques. Zoom sur cette course effrénée qui va changer notre quotidien.

Le prestigieux magazine National Geographic a placé les voitures autonomes parmi les innovations les plus prometteuses pour l’avenir de la mobilité dans un dossier paru en… 1969.

« Vous avez probablement des réserves à l’idée de donner le contrôle de votre véhicule à un ordinateur sans visage. C’était aussi mon cas, jusqu’à ce que je réalise que l’ordinateur contrôlera aussi les autres véhicules, imaginait alors le journaliste. Plus de chauffeur téméraire pour faire une embardée sur ma ligne, ou foncer à contre­sens. Les agents de la circulation et les entreprises d’assurance­vie seront ravies de voir l’imprédictible élément humain supprimé de notre système de transports. »

Une fois n’est pas coutume, ce qui demeurait alors du registre de la science-­fiction semble, quarante ans plus tard, sur le point de se réaliser. Depuis 2009, les Google Cars ont parcouru plus de 1,5 million de miles à travers les États­-Unis. Les véhicules commercialisés par Tesla sont d’ores et déjà capable d’assurer seuls une partie de la conduite (même si un récent accident mortel a jeté une ombre sur leur système). Faraday Future vient de recevoir l’autorisation de tester ses véhicules futuristes sur les routes californiennes. Et de mystérieux véhicules blancs, bardés de caméras, récemment repérés dans les rues de San Francisco, sont fortement soupçonnés d’appartenir à Apple.

Voitures autonomes : la course des modèles économiques

La voiture autonome, telle qu'on l'imaginait dans les années 1960. 

Watson au volant d’un bus autonome

Ce marché du véhicule autonome est donc en pleine ébullition. Depuis notre article paru en janvier, faisant état d’un nombre croissant de partenariats entre start­ups et constructeurs automobiles traditionnels autour de la voiture autonome, l’activité a encore accéléré. Rien qu’au mois de mai, Toyota a conclu un partenariat avec Uber, Volkswagen a investi 300 millions de dollars dans Gett, Apple un milliard de dollars dans Didi Chuxing, le Uber chinois, et Google s’est associé à Toyota­Chrysler pour construire une flotte de mini­vans autonomes.

Les acteurs économiques collaborent aussi volontiers avec les universités, comme l’illustre le partenariat d’Uber avec la Carnegie Mellon University et l’University of Arizona.

Si des partenariats se nouent, de nouveaux acteurs émergent également sur le marché : la start­up Next est ainsi en négociations avec plusieurs municipalités intéressées par ses modules de transport autonomes. Local Motors, de son côté, développe Olli, un bus autonome intégrant Watson, le superordinateur d’IBM, et capable de converser avec les passagers. Il sera testé à Washington D.C. dés cet été.

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Olli, le bus autonome.

Ni volant, ni pédales

La très secrète start­up Zoox, quant à elle, élabore un véhicule affranchi des normes de l’automobile telles que nous les connaissons depuis la vente de la toute première voiture par Karl Benz, en 1886. Les créations de Zoox ne compteraient ni volant, ni pédales (des éléments également supprimés par Google), seraient munies de quatre roues motrices et pourraient rouler indifféremment dans les deux sens.

L’automobile changera ainsi vraisemblablement davantage durant les trente prochaines années qu’elle n’a changé depuis sa création. Enfin, pour certains, le meilleur moyen de démocratiser rapidement le véhicule sans chauffeur est de commercialiser un kit pouvant rendre n’importe quelle voiture autonome. Cette piste est étudiée par les start­ups Pearl Automation Inc., Geohot ou encore Nauto.

La multiplication des partenariats entre start­ups et constructeurs automobiles traditionnels souligne une communauté d’intérêts entre ces acteurs. Même si leurs conceptions du véhicule autonome diffèrent radicalement du fait de leur corps de métier : les jeunes pousses de la Silicon Valley voient les voitures autonomes comme des ordinateurs sur roues tandis que leurs homologues les conçoivent au contraire comme des voitures équipées d’un ordinateur. Mais leur objectif est similaire : mettre le plus rapidement possible des véhicules autonomes sur les routes. Un groupe de lobbying formé en avril dernier et baptisé « Self­driving coalition for safer streets » rassemble ainsi Google, Uber, Lyft, Ford et Volvo.

Le DARPA Grand Challenge, course de voitures autonomes dans le désert, a contribué à la médiatisation de cette technologie.

De Ford à Google

Pour parvenir à leur but, les start­ups ont l’avantage de porter un regard neuf sur l’automobile. N’ayant jamais construit de véhicules par le passé, elles sont libres d’exprimer pleinement leur imagination, affranchies des rigidités et habitudes bien ancrées qui rendent souvent les acteurs traditionnels timides en matière d’innovation.

Les start­ups ont en outre une approche de l’innovation aux antipodes de la culture née dans le bassin industriel de Detroit. Là où les constructeurs automobiles ont pour habitude d’insérer les innovations de manière incrémentale, cheminant vers la voiture autonome par petites étapes, les start­ups sont moins frileuses et souhaitent parvenir directement à l’objectif. Ford étudie ainsi aujourd’hui une trentaine d’options pour rendre les véhicule semi­-autonomes, incluant un frein automatique ; Google construit directement des voitures entièrement autonomes. Une approche plus risquée et moins expérimentée mais plus rapide.

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Une Google car.

L’enfant illégitime d’un manga et d’une souris d’ordinateur

Ce manque d’expérience est d’ailleurs autant un défaut qu’une qualité : s’il permet aux start­ups d’innover radicalement et avec courage, il les conduit également à faire des erreurs. Au-delà du récent accident mortel, Tesla a connu des retards de livraison pour la totalité de ses modèles et l’apparence des Google cars n’a pas conquis tout le monde. « On dirait qu’un personnage d’un vieux dessin animé japonais a eu un enfant illégitime avec une souris d’ordinateur. » a par exemple lâché un journaliste de CNET après avoir découvert les premiers modèles.

Les partenariats entre acteurs traditionnels et nouveaux entrants permettent donc d’allier la fiabilité de l’expérience avec l’audace de la jeunesse. En outre, les domaines de compétences des start­ups et des constructeurs sont complémentaires. Les premières possèdent une forte expérience en matière de logiciel et d’informatique, tandis que les constructeurs savent bâtir des véhicules solides et sécurisés, auxquels la confiance du public est d’ores et déjà acquise.

Volvo promet par exemple d’engager sa responsabilité en cas d’accident impliquant l’un de ses futurs véhicules autonomes, une promesse qu’une start­up pourrait difficilement tenir.

Ces deux composantes, logiciel de pointe et véhicule sécurisé, sont indispensables pour construire l’automobile du futur. « Le marché automobile possédant de fortes barrières à l’entrée, il est plus simple pour les start­ups d’apporter leur technologie à des véhicules déjà existants. » résume Arvind Satyam, expert en smart city chez Cisco Systems.

La bataille du software

Ces deux types d’acteurs économiques jouent aussi la complémentarité avec les universités : « Contrairement aux entreprises, qui doivent rapidement générer des revenus, les universités n’ont pas la même pression et ont donc la liberté de réfléchir sur le long terme, explique Arvind Satyam.. Elles peuvent en outre considérer les problèmes de manière globale et objective, n’ayant aucun impératif de générer des profits. En revanche, la plupart n’ont pas le budget suffisant pour mettre en oeuvre leurs idées, en réalisant des prototypes ou en menant des expérimentations. C’est là que la trésorerie des entreprises entre en jeu. »  Ford teste actuellement ses voitures autonomes sur le campus de l’University of Michigan.

Cependant, intérêts communs ne rime pas avec absence de compétition, et les partenariats entre start­ups et constructeurs ne mettent pas ces derniers à l’abri de la concurrence des premiers. Ainsi, selon Luca Rigazio, director of engineering au laboratoire de Panasonic  dans la Silicon Valley, « si l’on regarde la pyramide de valeurs, celle du logiciel est bien supérieure à celle de l’automobile en elle­même, le software a bien plus de valeur que le hardware. ».

 « Les logiciels, qui géreront tout, depuis la navigation à l’accélération en passant par le divertissement (bien plus que ce que ne gèrent les chauffeurs humains aujourd’hui) vaudront jusqu’à 40% de la valeur totale du véhicule. » prédit ainsi Dan Wellers, Global lead of digital future chez SAP.

Les constructeurs peuvent­ils dans ce contexte laisser aux start­ups la mainmise sur le software ou devront­ils à terme concevoir leurs propres logiciels pour continuer à exister ? Ron DiCarlantonio, CEO d’iNAGO, entreprise pionnière en matière d’intelligence artificielle, penche pour la deuxième option : « Les constructeurs automobiles devront rapidement créer leur propre plate­forme intelligente pour l’automobile et la développer de façon à apporter une valeur ajoutée significative aux consommateurs. Toyota a prévu d’investir cinq milliards de dollars durant les cinq prochaines années dans l’intelligence artificielle. Ils ont clairement choisi la compétition plutôt que la coopération avec les géants des nouvelles technologies. D’autres, comme Fiat­-Chrysler, ont choisi l’autre option et pensent devoir simplement adopter ces services poursatisfaire les consommateurs. Ce sera positif à court terme mais négatif à long terme. La clef, pour les entreprises comme Toyota, sera de penser davantage comme les entreprises des nouvelles technologies, d’innover plus rapidement et d’acquérir des start­ups innovantes avec des technologies solides. »

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Détroit, berceau historique de l'automobile américaine et foyer des constructeurs traditionnels.

Au-delà de la voiture autonome

Ces nouvelles alliances sur le marché de l’automobile, et notamment celles impliquant constructeurs traditionnels, start­ups expertes en matière de logiciels et jeunes pousses de l’économie à la demande spécialisées dans l’auto­partage, n’ont pas pour seul but de construire des voitures autonomes. L’ambition est aussi de s’acheminer progressivement vers un écosystème composé de taxis autonomes et partagés. Outre une réduction considérable du nombre de victimes d’accidents de la route, un tel écosystème permettrait notamment une diminution, voir une suppression des embouteillages, une réduction des émissions de gaz à effet de serre, un meilleur aménagement de l’espace urbain, avec la suppression d’un grand nombre de parkings, une augmentation de la productivité, les individus pouvant travailler pendant leur trajet domicile/travail, et une plus grande mobilité pour les personnes âgées et handicapées. Une façon de repenser complètement notre conception de l’automobile.

Les véhicules tels que nous les connaissons ont été conçus pour être conduits par des humains, et pour un usage privé et familial. Dans le cas d’une voiture partagée et autonome, nul besoin d’avoir des sièges avant et des sièges arrière. Tous les sièges pourraient au contraire se faire face pour permettre aux passagers d’échanger entre eux. On peut également concevoir des véhicules plus grands, dotés de tables pour travailler, de grandes vitres pour admirer le paysage, de machines à café... Mercedes­-Benz a dévoilé en janvier 2015 un concept-car proposant une approche novatrice. Les startups Zoox et Next, déjà citées, travaillent également dans cette optique.

Les humains libérés de la nécessité de conduire, l’habitacle de la voiture peut en outre être pensé comme une plate­forme de services destinée aux usagers. « Une nouvelle économie va émerger autour de l’expérience utilisateur au sein même des véhicules, prédit Arvind Satyam. La voiture ne sera plus pensée comme un simple moyen d’arriver d’un point A à un point B, mais aussi comme un espace de loisir.  Aujourd’hui, la plupart des nouvelles voitures ont d’ores et déjà un accès wifi pour que les passagers puissent se connecter à l’internet et regarder des vidéos sur Youtube, par exemple. » On peut ainsi imaginer des véhicules dotés de grands écrans pour regarder du contenu, avec du même coup de nouvelles opportunités pour les publicitaires...

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La Californie, notamment San Francisco et la Silicon Valley, héberge les start-ups qui imaginent le véhicule du futur.

Bâtir un écosystème cohérent

Ce changement de conception de l’automobile et de ses usages se traduit déjà par le succès des entreprises d’autopartage, comme Uber, Lyft ou encore Blablacar. Comme l’affirme Arvind Satyam, « les consommateurs ne veulent plus nécessairement posséder une voiture, ils souhaitent bénéficier d’un service de mobilité. » Une tendance qui doit à la fois à l’essor de l’économie de l’abonnement et à celui de l’économie à la demande : la possession d’un bien importe moins que la capacité à jouir des services qu’il apporte. Pour un citadin, il est souvent bien plus simple de commander un véhicule via une application pour se rendre à bon port que de supporter l’ensemble des coûts associés à la possession d’une voiture individuelle qui, statistiquement, passe le plus clair de son temps au garage.

Cette tendance est a priori partie pour se renforcer. Au niveau de l’offre, cela signifie que l’important ne sera bientôt plus de construire et vendre des voitures, mais plutôt d’amener ses clients à bon port. General Motors l’a bien compris en s’associant à Lyft et Cruise Automation. Les véhicules du premier, le service d’autopartage du second et la technologie du troisième dressent les bases d’un écosystème permettant la mise en place d’un service de mobilité efficace à disposition des utilisateurs. Ford, de son côté, a lancé en mars 2016 une filiale smart mobility.

Dans ce contexte, les entreprises devront également travailler avec les municipalités à l’élaboration d’un écosystème de transports cohérent. « Aujourd’hui, je sais que je peux prendre un uber ou le caltrain pour me rendre à Palo Alto, par exemple, mais il n’existe pas encore de solution intégrant toutes les combinaisons possibles ainsi que mes préférences personnelles pour me proposer un itinéraire optimal et personnalisé. » explique Arvind Satyam. « C’est ici que les municipalités ont un rôle à jouer, car elles ont accès à un grand nombre de données et voient les choses de manière holistique. En construisant une plateforme harmonieuse rassemblant ces données de manière cohérente, elles pourraient indiquer aux entreprises quels problèmes doivent impérativement être résolus. »

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Vers un écosystème connectant l'ensemble des moyens de transport ?

La Phantom, ancêtre de la voiture autonome

Durant l’entre­-deux guerres, plusieurs véhicules dépourvus de chauffeur sillonnent les routes américaines, suscitant partout l’étonnement des foules. Ces véhicules ne sont pas contrôlés par un ordinateur (il n’existe pas encore), ni d’ailleurs véritablement autonomes : un chauffeur en chair et en os pilote le véhicule à distance, depuis une deuxième voiture. La performance suscite néanmoins l’enthousiasme des spectateurs. En témoigne la chronique enjouée d’un journaliste du Free Lance Star de Fredericksburg, dans l’état de Virginie : « Nul ne la touche, aucun câble ou fil n’y est attaché, et pourtant elle s’insère dans le trafic et s’en extrait avec aisance, grimpe les collines, tourne aux virages, s’arrête aux feux rouges, comme si un chauffeur invisible se trouvait derrière le volant ! ». Le Times Recorder de Zanesville, dans l’Ohio, fait quant à lui état d’un véhicule contrôlé par un chauffeur lui­-même situé dans un avion volant à basse altitude, présenté par le journal comme « l’un des plus incroyables produits de la science moderne » (mais certainement pas l’un des plus sûrs). Un accident qui causa plusieurs blessés en 1932, dans la ville d’Hanover, en Pennsylvanie, refroidit quelque peu les foules. La science-­fiction prit dés lors le relais. Dés 1930, l’écrivain allemand Werner Illing imagine dans son roman Utopolis des véhicules « se comportant comme s’ils avaient appris le code de la route par coeur. » Cinq ans plus tard, dans sa nouvelle The living machine, l’écrivain américain David H. Keller dépeint les bienfaits apportés par des voitures autonomes : « Les personnages âgées commencèrent à traverser le continent à bord de leurs propres voitures. Les jeunes gens trouvèrent dans les voitures autonomes des habitacles idéaux pour leurs rencontres. Les aveugles pouvaient prendre leur véhicule en toute sécurité. Les parents envoyaient leurs enfants à l’école dans ces nouvelles voitures avec davantage de confiance que dans les anciennes avec chauffeur. » Isaac Asimov imagine quant à lui, dans une nouvelle intitulée Sally, un monde où seuls les véhicules autonomes sont autorisés sur les routes. Les films Total Recall, Demolition Man, Minority Report et I, Robot ont également tous porté les voitures sans chauffeurs à l’écran. La réalité est aujourd’hui de nouveau en passe de dépasser la fiction.


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