Magazine Culture

Chanter sous la vie

Publié le 23 avril 2016 par Morduedetheatre @_MDT_

p213409_1-sur-les-cendres-en-avant 

Critique de Sur les cendres en avant, de Pierre Notte, vu au Théâtre du Rond-Point le 22 avril 2016 (critique par Complice de MDT)Avec Juliette Coulon, Blanche Leleu, Chloé Oliveres, Elsa Rozenknop et la voix de Nicoles Croisille, mis en scène par Pierre Notte

   C’est pour deux de ses comédiennes que je suis allée voir ce spectacle, dont la bande-annonce ne m’emballait pourtant pas. Blanche Leleu et Chloé Oliveres, la blonde et la brune, sont en effet des actrices que je suis, autant que possible, depuis quelques années. Les voici réunies par Pierre Notte, comme elles l’avaient été par Jean-Marie Besset dans le délicieux Il faut je ne veux pas.

   C’est une pièce entièrement chantée, genre « Parapluies de Cherbourg ». L’idée peut sembler étrange, mais elle est tout à fait adaptée au propos de Pierre Notte, puisque les quatre femmes qu’il imagine trouveront à la fin dans la scène, dans le spectacle, le moyen d’échapper à l’amertume et à la difficulté de leurs vies : le fait qu’elles chantent leur quotidien est déjà l’indice de cet élan, de cette force qu’elles ont en elles sans le savoir : « L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable »…

   Il est difficile de résumer la pièce, tant ses rebondissements sont improbables et saugrenus. Les habitués de Pierre Notte y retrouvent sûrement l’univers de l’auteur, mais pour qui ne le connaît pas, on va de surprise en surprise. Deux voisines, la cloison qui séparait leur appartement s’étant effondrée, doivent vivre sous le regard de l’autre. Macha (Blanche Leleu, toujours aussi gracieuse) vit seule avec sa petite sœur Nina (Elsa Rozenknop) ; pour survivre, elle reçoit des hommes quand celle-ci est à l’école. Mademoiselle Rose, sa voisine (Chloé Oliveres, et sa voix au grain si particulier), ne quitte pas sa chaise dans un appartement dévasté par le feu où elle se nourrit de biscottes carbonisées et ressasse un passé qui semble terrible (mais quelle est la part de mythomanie ?). Ces deux femmes ne supportent pas la coexistence forcée et le mode de vie de l’autre : elles s’accrochent sans cesse, mais finissent par partager l’espace. Les deux autres personnages Nina et la Femme du forain jalouse de Macha qui surgit dans la deuxième partie de la pièce (Juliette Coulon) modifient l’équilibre des relations et font que le dialogue n’est jamais ennuyeux. Le constat qu’elles finissent par faire d’une vie sans intérêt et sans espoir, et de l’absurdité qu’il y a à s’affronter, débouchera sur la décision de « changer le sens de leur vie, se rassembler, faire front » (comme le dit Elsa Rozenknop dans le programme).

   Le dialogue est une source de suprise permanente, tant des thèmes sans rapport les uns avec les autres s’y mêlent (du muesli au mysticisme, de l’épluche-légume à l’art des claquettes). À la lecture, cela paraîtrait peut-être n’avoir ni queue ni tête, mais sur scène, avec l’incarnation des comédiennes, cela prend. Il n’y a aucune psychologie, l’arbitraire est assumé, le second degré et les citations sont nombreux et pourtant les personnages existent, émeuvent.

   Le fait que tout soit chanté (style Michel Legrand) est un puissant moteur pour l’attention : les paroles résonnent différemment, tout fait sens, le comique se glisse là où le dialogue parlé n’en apporterait pas. Les quatre femmes, soutenues impeccablement par leur pianiste (Donia Berriri), et par la voix off un peu gouailleuse de la grande Nicole Croisille, sont chanteuses-comédiennes, impossible de faire le partage entre les deux techniques : les déplacements sont fluides, les intonations expressives, le chant et le jeu se confondent, tout fait mouche. On ne sait comment c’est fait, cela pourrait faire flop à force d’artifice, mais tout prend. C’est du grand art, et pourtant léger, une bulle que l’on suit dans les airs et qui miraculeusement rebondit toujours et n’éclate jamais. À la fin, on applaudit à tout rompre. ♥  

SUR-LES-CENDRES-EN-AVANT_GiovanniCittadiniCesi_072-2000x1125



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Morduedetheatre 2245 partages Voir son profil
Voir son blog