Partager la publication "[Critique série] STRANGER THINGS"
Titre original : Stranger Things
Note:
Origine : États-Unis
Créateurs : Matt Duffer, Ross Duffer
Réalisateurs : Matt Duffer, Ross Duffer, Shawn Levy.
Distribution : Winona Ryder, David Harbour, Matthew Modine, Finn Wolfhard, Millie Bobby Brown, Gaten Matarazzo, Caleb McLaughlin, Noah Schnapp, Natalia Dyer, Charlie Heaton, Cara Buono…
Genre : Science-Fiction/Fantastique/Drame/Thriller
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
En 1983, dans une petite bourgade de l’Indiana aux États-Unis, l’inexplicable disparition de Will, un enfant, provoque l’émoi de toute la communauté. Alors que la mère du garçon affirme percevoir des étranges signaux lui indiquant que ce dernier cherche à communiquer, les amis de Will se lancent à sa recherche, tout comme les services de police, dirigés par Hopper, un homme brisé par une tragédie qui ne cesse de l’affecter. Rapidement, les indices convergent vers un mystérieux laboratoire perdu dans les bois. L’arrivée d’Eleven, une jeune fille pas comme les autres sortie de nulle part, ayant peut-être un lien avec toute cette histoire…
La Critique :
Impossible de nier la monumentale influence du cinéma de genre des années 80 sur la production actuelle. Plus particulièrement des films portés par Amblin, la firme créée en 1981, par Steven Spielberg, Frank Marshall et Kathleen Kennedy, qui n’a eu de cesse de redéfinir les contours d’une industrie jusqu’à imposer un nouveau modèle. Que l’on parle de E.T., de Gremlins, des Goonies ou de Retour vers le Futur, Amblin a révolutionné le septième-art populaire en profondeur.
Forcément, les choses ont bien changé sous le soleil d’Hollywood depuis la fin de ce que beaucoup considèrent à juste titre comme un authentique âge d’or, avec l’arrivée de nouveaux moules, amenés à produire des œuvres plus cyniques, parfois sous couvert de démarches opportunistes faussement sincères. Alors que les pères fondateurs, Spielberg et Joe Dante en tête continuent leur route, avec une flamboyance sans cesse renouvelée pour le premier et un peu au petit bonheur la chance pour le second, d’autres tentent de renouer avec cette verve, sans toujours y parvenir. Si on a largement parlé de J.J. Abrams, le réalisateur de Star Wars – Le Réveil de la Force et de Super 8, comme du principal héritier de ce mouvement, plus parce que ce dernier a vraiment cherché cette étiquette que pour de solides raisons, personne n’a vu venir les frères Duffer. Deux frangins remarqués par les initiés avec notamment leur film Hidden, qui ont déboulé sans crier gare avec Stranger Things, une série parfaitement connectée avec l’esprit Amblin et plus largement avec tout un pan de la contre-culture pop. De celle dont on se souvient avec une mélancolie sincère…
Stranger Things s’est annoncé à grand renfort d’affirmations hyper prometteuses du genre « Winona Ryder dans une série hommage au cinéma de Spielberg ». Le style qu’on voit tous les quatre matins mais qui débouche souvent sur d’amères déceptions. Pour autant, là, on avait envie d’y croire. Et en effet, nous avons eu raison, car Stranger Things est une pépite. De celles que l’on ne trouve que très rarement et qui, sans forcer, remettent les pendules à l’heure.
Dans la forme, cette anthologie, avec un début, un milieu et une fin (ouverte sur une potentielle saison 2), adopte beaucoup des codes mis en place dans les années 80. La photographie est superbe, vintage à souhait, mais ne se contente pas pour autant de tabler sur des automatismes. L’immersion est totale. On s’y croirait vraiment. Les ambiances sont prégnantes et certaines séquences brillent par leur beauté crépusculaire. Les Duffer ont soigné leur production design et leur mise en scène. Épaulés par Shawn Levy, qui ne nous avait pas vraiment habitué à tant de pertinence, ils construisent un univers plus vaste qu’il n’y paraît mais parviennent avant tout à donner du corps à cette communauté, comme au bon vieux temps où E.T. visitait notre planète. Les clins d’œil « visuels » sont nombreux. Certaines scènes font directement référence à des classiques, on voit des posters ici ou là (The Thing, Evil Dead, Les Dents de la Mer…), et il est très agréable de se laisser aspirer par un monde qui ressemble à ce que le notre fut jadis. Tout du moins celui qui nous faisait rêver quand, enfant, nous regardions ces films qui ont construit une large partie de notre imaginaire. La cave où les enfants jouent à Donjons et Dragons, la cabane dans les bois, l’école, un laboratoire secret… à eux seuls, les lieux clés de l’intrigue appellent des sensations et des sentiments multiples et identifiables pour quiconque ayant connu cette époque. Pour les autres, les plus jeunes, finalement, c’est un peu la même chose tant Stranger Things évoque une certaine universalité avec laquelle il semble difficile de ne pas avoir d’affinités. À la manière de Spielberg, mais aussi de Stephen King, largement cité lui aussi, le show prend pied dans une réalité reconnaissable, avant d’en modifier les contours pour la distordre selon sa volonté, au grès d’une histoire de monstres, de copains, de parents et de méchants agents mandatés par un gouvernement en pleine Guerre Froide.
Alors oui, il convient vraiment d’évoquer Stephen King, tant Stranger Thing lorgne du côté de son œuvre, là encore, sans s’y reposer totalement. En fait, le scénario rappelle principalement Charlie et Carrie, mais dans le bon sens. On pense aussi à Ça et bien sûr à Stand By Me. Que du bon. Les Duffer utilise leur goût et l’influence qu’ont eu Spielberg, King, ou bien John Carpenter, comme tremplin et non comme prétexte. Il serait dommage de limiter Stranger Things à ses références car la série vaut bien plus que cela.
La façon dont elle s’amuse avec ses modèles va d’ailleurs ce sens. Les Duffer sont même allés jusqu’à chercher une icône de l’époque, en la personne de Winona Ryder, pour lui confier un rôle difficile, emblématique, mais par forcément central, même si elle véhicule une émotion puissante. Matthew Modine, une autre star des 80’s, est aussi dans la place, aux côtés d’une jeune génération d’acteurs parfaitement raccords avec les intentions globales. Winona Ryder et Matthew Modine sont en quelque sorte des cautions. Les représentants d’un passé qui refait surface sous l’impulsion de la nouvelle garde. Les Duffer et leurs jeunes acteurs se réappropriant ces références dans ce qui s’apparente à la fois à un vibrant hommage, mais aussi à un désir de continuer ce que d’autres ont commencé. L’histoire se prolonge et nous d’en prendre plein les yeux.
Même la musique a été pensée pour nous emporter loin, dans cette petite bourgade en proie à des phénomènes surnaturels. Une excellente partition signée par le duo Kyle Dixon, Michael Stein, très électro, dans le bon sens, alignée sur les scores de John Carpenter, et agrémentée de tubes rock issus de cette glorieuse décennie prise en étau entre le souffle punk et l’envol de la FM et des nappes de synthé. Pertinente, enveloppante, la musique est partout, omniprésente, et accompagne les personnages dans leurs aventures, de la plus belle des manières. Tout spécialement quand elle se fait le vecteur d’une poésie sombre qui se manifeste elle aussi au grès d’accents plus ou moins affirmés, mais jamais vains.
Il y a bien un monstre dans Stranger Things. Un créature effrayante sortie d’un enfer qui en dit long sur notre époque (on n’en dira pas plus), qui est pourtant loin de compter autant que les personnages. Car si la série est aussi réussie, c’est justement car elle ne perd jamais de vu ses personnages. Ils ne souffrent pas du contexte surnaturel ou d’une surabondance d’effets-spéciaux. Les frères Duffer ont esquivé tous les pièges que beaucoup se sont pris en pleine poire. Stranger Things est un drame avant d’être un trip horrifique ou purement fantastique. Là encore, à l’instar des plus grands, les réalisateurs/scénaristes ont imaginé une histoire solide où les thématiques trouvent un écho dans le fantastique. Ils nous livrent l’un des plus beaux récits d’amitié vus depuis des lustres. Les Duffer ont parfaitement saisi tout ce qui caractérise les relations que peuvent avoir des amis avant l’adolescence. Sans en faire des caisses, dans une démarche sincère et habitée, proche du modèle du genre, à savoir Stand By Me. Pareil quand ils parlent de la maternité ou du deuil. Stranger Things est une grande série sur l’espoir que peuvent porter les enfants, devant des parents soit dépassés soit plus démissionnaires. En prenant pied au début des années 80, le show en profite pour parler de la société américaine, mais aussi du monde dans son ensemble. Il nous cause de la peur de l’autre, qui parfois est différent, et de cette innocence que le cynisme et le monde des adultes cherche à tout prix à détruire.
On a souvent reproché à J.J. Abrams d’avoir fait de Super 8, son hommage à Spielberg et à Amblin, une sorte de gros truc opportuniste. On est d’accord ou pas mais il n’y a aucune chance que l’on affirme la même chose à propos des frères Duffer. Ces derniers ont tout compris, jusque dans les moindres détails et si chaque épisode de leur série regorge en effet de références appuyées, elles sont finalement surtout là pour permettre au spectateur de s’identifier à l’univers mis en place ainsi qu’aux personnages, mais jamais une fin en soi. Pour le fans, elles sont de bons gros bonus bien savoureux mais pour les néophytes, elles ne seront jamais une entrave à la bonne compréhension ou à l’appréhension de l’ensemble.
Stranger Things fait passer par une multitude d’émotions différentes. Très vite, dès les premières minutes, on se prend à vibrer avec Mike et ses amis. On a parfois peur, on rit souvent et les larmes ne sont jamais bien loin. La chair de poule elle, est omniprésente. Au fil des épisodes, tandis que le dénouement approche, Stranger Things dévoile ses cartes. Son écriture, pleine de sensibilité et d’empathie, démontre d’une compréhension rare des codes et d’un respect indéniable. De Winona Ryder aux gamins, en passant par l’intense David Harbour (vu dans The Newsroom) et la jeune Millie Bobby Brown, la distribution est de plus assez incroyable. Les acteurs ont tous été castés avec une attention manifeste et ça se voit. À fond, ils livrent des interprétations sans faille et contribuent à nous coller des étoiles dans les yeux, grâce à leur talent et à leur dévouement permanent (mention aux 3 gamins).
Sublime, passionnante, surprenante, ce show unique a tout pour plaire au plus grand nombre, mais ne sacrifie jamais son intégrité. Dans le jargon, on appelle ça un miracle de cinéma. Comment ça c’est une série TV ?
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Netflix