Lorsqu'on évoque Ingmar Bergman aujourd'hui, chacun ira de sa petite anecdote, de son film préféré, de la manière dont le génial metteur en scène a durablement influencé le cinéma du XX e siècle. Et, invariablement, le Septième Sceau sera mentionné.
Cette œuvre singulière est entrée au panthéon du VII e Art sans coup férir, en éblouissant les critiques du Festival de Cannes en 1957, sacralisant du même coup son réalisateur touche-à-tout qui peinait jusque-là à convaincre l'audience et les producteurs de son propre pays. Cet effet de fronde sur la réputation de son œuvre perdurera comme on l'a vu quelques années plus tard à l'occasion de la sortie de qui devra attendre la reconnaissance internationale avant de finir de convaincre les Suédois.
D'autres parallèles existent de manière patente entre les deux films, comme l'époque, ce Moyen-Age âpre, constellé de fléaux qui n'en finissent pas d'épuiser les ressources humaines (les guerres, les Croisades, la peste, la chasse aux sorcières, l'obscurantisme) et que le script du Septième Sceau mélange allègrement sans réellement tenir compte de la vérité historique - tout en demeurant parfaitement réaliste dans ses postures, ses décors et ses costumes. C'est que l'intérêt de Bergman, auteur du scénario, est ailleurs : dans ce conflit d'intérêt, en apparence égoïste, entre Antonius, chevalier de retour de Terre sainte, dont la Foi et les principes ont été considérablement altérés par dix ans de conflit et la Mort, simple exécutrice des basses œuvres, venue chercher ce fier guerrier en butte à des questionnements existentiels. Nullement paniqué à l'idée de mourir (comme il l'affirme à la Faucheuse : " Mon corps est prêt, mais mon esprit ne l'est pas encore. "), il lui propose une partie d'échecs - auxquels il prétend exceller - en échange de temps pour survivre et continuer à chercher les réponses qui l'empêchent de trouver la sérénité. Car cet homme qui a abandonné femme et foyer pour une quête illusoire et une décennie d'horreurs désire avant de partir trouver un sens à cette existence implacable ; constatant les ravages occasionnés dans son pays natal et par la Peste noire et par les extrémités auxquels sont poussés les croyants (ces processions de malheureux qui se fustigent et se flagellent, ces femmes accusées d'avoir eu commerce avec le diable afin de provoquer les épidémies), le Croisé en vient à se demander s'il ne s'agit pas là des signes annonciateurs de l'Apocalypse - d'où les Sceaux annoncés dans le texte de Saint-Jean.
Impassible, avec ce sourire énigmatique que l'acteur Bengt Ekerot promènera tout au long du film, la Mort accepte cette partie. Antonius pense ainsi non seulement repousser l'échéance fatale, mais aussi trouver les réponses aux questions qui le tarabustent : il n'accepte pas de devoir périr sans savoir ce qu'il y a " au-delà " et pense que son adversaire morbide lui fournira ce qu'il espère en cas de victoire. C'est encore Max von Sydow qui tient le rôle du chevalier, similaire dans son attitude au chef de village de mais en plus tourmenté, et légèrement plus jeune - lui qui semble toujours plus âgé qu'il n'est vraiment, rappelez-vous l'Exorciste. On ne peut pourtant pas vraiment dire qu'il est dans un premier rôle puisqu'il n'intervient que très rarement, laissant aux personnages secondaires le soin de meubler l'intrigue. De fait, c'est son écuyer Jöns qui intervient la plupart du temps, sauvant une femme des assauts d'un brigand, empêchant un bateleur d'être torturé et interrogeant un artiste peintre à propos des danses macabres dont il orne les murs d'une église. Imposant et rigolard, le bougre accompagne le périple de son seigneur lige de chansons paillardes mais n'hésite pas non plus à imposer ses vues lors de conversations avec la populace : lui aussi profondément affecté par les Croisades, il affecte une forme de pessimisme tendance nihiliste et profite de chaque moment de quiétude tout en sachant qu'il n'y aura sans doute pas de lendemains qui chanteront. Il laisse les tourments existentialistes à son maître qui se trouvera devant deux postures radicalement opposées : l'insouciance joyeuse de ce couple de baladins qui profite de la journée ensoleillée pour s'ébattre avec leur jeune fils ( Jof et Mia font irrésistiblement penser aux parents de Jésus dans la Bible) et la terrible révélation du néant dans les yeux de cette " sorcière " condamnée au bûcher. Deux moments-clefs de l'histoire qui pousseront le chevalier à faire des choix cruciaux dans son duel de la fin des temps, surtout lorsqu'il comprend que sa vie n'est plus la seule dans la balance létale...
Chargé de symboles et d'un mysticisme latent, une incroyable sensation de solennité avec des personnages complexes et un positionnement moins manichéiste que dans le Septième Sceau dégage
la Source : ce noir et blanc très contrasté parvient à rendre inquiétante cette forêt à la semblance d'un passage vers l'enfer et rassurante cette prairie de bord de mer où s'éveillent les saltimbanques (on y voit Bibi Andersson alors toute jeune, remarquable de fraîcheur et de tendre beauté). Pesant et lourd, le message divulgué offre peu d'alternatives rassurantes et le chevalier, pourtant vaillant, finit par se rendre à l'évidence de la vanité de sa tentative : la Mort est là, silencieuse et omniprésente, sournoise et invincible. S'il ne peut se sauver de la Faucheuse, peut-il au moins en sauver d'autres ? Y a-t-il des vies qui vaillent la peine d'être sauvées ?Incontournable.
De retour des croisades, le chevalier Antonius Blok rencontre la Mort sur son chemin. Il lui demande un délai et propose une partie d'échecs. Dans le même temps, il rencontre le bateleur Jof et sa famille. Jof a vu la vierge Marie.