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Blanche de Païva, Lionne de Paris

Par Plumehistoire

   L’Hôtel de La Païva est l’un des plus beaux hôtels particuliers de Paris. Propriété d’un club anglais très select depuis 1903, le « Traveler ‘s Club », il n’est ouvert au public que sur visites guidées.

   Visite qui a été pour moi l’occasion d’en apprendre plus sur la mystérieuse Païva, l’une des demi-mondaines les plus détestée mais aussi admirées du Second Empire. Une femme d’exception.

   3 prénoms, 3 mariages, et de multiples amants… Ce sont les étapes de l’ascension sociale spectaculaire d’une femme qui a côtoyé les bas bas-fonds de la prostitution avant de tenir le salon le plus couru de Paris : Blanche, alias Thérèse, alias Esther.

L'entrée de l'Hôtel Païva, avenue des Champs-Elysées

L’entrée de l’Hôtel Païva, avenue des Champs-Elysées

De Moscou à Paris

   Esther Lachmann, née de père polonais et de mère allemande dans le guetto juif de Moscou en 1819, est issue d’une famille de marchands de draps. En 1836, elle épouse un modeste tailleur français installé à Moscou, Hyacinthe-François Villoing, avec qui elle a un fils en 1837 (il mourra à l’âge de 25 ans).

   Très vite, elle manifeste le désir d’échapper au médiocre destin qu’elle pressent être le sien. Elle abandonne alors, sans état d’âme, mari et enfant, et quitte la Russie.

   La période de sa vie qui suit est celle qui comporte le plus de zones d’ombres, éclairées par ses propres affabulations : elle dira plus tard qu’elle s’est initiée à l’érotisme à Constantinople !

   Quoi qu’il en soit, nous la retrouvons à Paris vers 1839, où elle se fait désormais appeler Thérèse et s’adonne à la prostitution, dans les lieux les moins recommandables de la capitale.

   Mais enfin, elle s’est fixée un but : s’élever dans la hiérarchie sociale par les hommes, qu’elle compte bien séduire grâce à son corps, dont elle a appris à se servir.

   Intelligente, elle se lie avec d’anciennes courtisanes et des modistes, qui acceptent de lui faire crédit pour qu’elle s’achète des toilettes à la dernière mode. Déterminée, elle fréquente les lieux adéquats pour se faire remarquer, notamment les stations thermales et les théâtres. Elle passe donc en temps record du statut de simple lorette à celui de « Lionne », courtisane entretenue par de riches protecteurs.

La photographie retrouvée dans les archives de la famille von Donnersmarck, qui a permis d'identifier La Païva

Détail de la photographie retrouvée dans les archives de la famille von Donnersmarck, qui a permis d’identifier La Païva

Un visage sur un nom, enfin !

   Mais à quoi ressemble donc cette femme qui s’est si peu laissée photographier, contrairement à la plupart des demi-mondaines de cette époque ?

   Il est possible de répondre à cette question depuis 4 ans seulement !

   Une photographie, découverte récemment dans les papiers des descendants de son 3ème mari, le comte Guido Henckel von Donnersmarck, a mis fin au mystère.

   D’autres portraits qui lui étaient attribués jusque-là par supposition ont depuis été confirmés comme étant des représentations de La Païva, ou définitivement écartés. Au total, seulement 8 photographies et 1 gravure la représentent !

   Toute en chair et en rondeurs, sans excès toutefois, Thérèse correspond parfaitement aux goûts du Second Empire. Elle possède un très beau corps, une sensualité presque animale.

   Son visage, plus original que beau, très expressif avec ce menton volontaire, est éclairé par des magnifiques yeux verts un peu globuleux. Pour terminer le tableau : un cou gracile, une chevelure auburn, des lèvres rouges et charnues.

Madame Herz

   Thérèse rencontre Henri Herz en 1841. On raconte qu’elle aurait attiré l’attention de ce célébrissime pianiste en s’évanouissant à l’un de ses concerts. Connaissant sa capacité à se mettre en scène, c’est fort possible !

   Henri Herz a 38 ans, il est riche et à l’apogée de sa carrière de pianiste. Il tombe fou amoureux de la jeune femme et, même s’il ne peut l’épouser (n’oublions pas qu’elle est mariée !) il la présente comme sa femme. Elle-même se fait appeler Madame Herz (au grand dam de la famille d’Henri…) et change une fois de plus son nom : dorénavant, se sera Blanche.

   Une fille lui naît de Henri Herz en 1842, Henriette. La petite, confiée à la famille Herz, décèdera à l’âge de 12 ans.

   Blanche partage toute la vie de son amant. Elle l’accompagne dans ses tournées à travers l’Europe. Elle se construit alors une importante culture musicale et entretient son propre don pour le piano. Elle côtoie Wagner, Liszt, von Bülow, mais aussi Théophile Gauthier avec qui elle se lie d’amitié, et reçoit tous ces artistes de renom dans leur salon au 48 rue de la Victoire.

   En 1848, ayant ruinée Henri Herz, elle se fait chasser par la famille de ce dernier. A nouveau sans le sou, elle ne s’avoue pas vaincue pour autant !

Henri Herz en 1834 (Gallica BNF)

Henri Herz en 1834 (Gallica BNF)

De marquise à comtesse

Guido Henckel von Donnersmarck en 1871, au moment de son mariage avec La Païva (Hôtel Païva)

Guido Henckel von Donnersmarck en 1871, au moment de son mariage avec La Païva (Hôtel Païva)

   Après un séjour à Londres pendant lequel elle séduit des Lords anglais fortunés pour remplir ses caisses vides, elle revient à Paris. Son mari français étant décédé en 1849, elle est à nouveau libre.

   En 1851, elle épouse un Portugais catholique : le marquis Albino Fransicso de Païva, cousin éloigné du vicomte de Païva, ministre de Portugal à Paris.

   Ce mariage, qui lui sert simplement à « se refaire » et à grimper encore dans l’échelle sociale, n’est en rien un mariage d’amour. Deux ans plus tard, ils se séparent. Le marquis, couvert de dettes, se suicidera en 1872…

   Blanche, elle, s’est trouvé un nom (sous lequel elle va être immortalisée) qui lui ouvre de nouvelles portes. Elle rencontre, probablement au tout début des années 1860, le comte Guido Henckel von Donnersmarck, un Prussien luthérien de onze ans plus jeune qu’elle. Il s’avère être également le cousin de Bismarck !

   Guido tombe amoureux de celle qui, outre la sensualité, lui apporte les nombreuses relations qu’elle a tissé dans le milieu des affaires. La Païva, si l’amour qu’elle porte à Guido n’est pas désintéressé, n’en ait pas moins séduite par ce jeune homme avec qui elle s’entend à merveille.

Guido et Blanche se marient en octobre 1871. La Païva devient comtesse von Donnersmarck. Comtesse. Une consécration !

L’hôtel Païva, le Louvre du cul !

Avoir un hôtel particulier est le rêve de toute courtisane, au XIXème siècle comme sous l’Ancien Régime.

   C’est Guido qui aide Blanche à réaliser cet hôtel auquel elle a donné son nom, démonstration d’opulence, œuvre qui peut et doit témoigner de sa réussite sociale !

   Inauguré le 31 mai 1867, le lieu ne manque pas d’éblouir. Pour le décor intérieur, conçu par Pierre Manguin, la femme est partout, qu’elle soit peinte ou sculptée. Il est presque certain que les têtes de femmes que l’on aperçoit souvent soient inspirées du visage de La Païva : un ovale parfait, un nez très droit et des yeux plutôt proéminents… On retrouve aussi l’effigie de la lionne, référence au passé sulfureux de La Païva.

   Dans le vaste salon d’apparat dont les cinq fenêtres donnent sur les Champs Elysées, trône une imposante cheminée de marbres rouge et blanc encadrée de deux sculptures féminines à demi-nues : L’Harmonie portant un diadème (La Païva est reconnaissable) et La Musique.

   Les portraits de Diane de Poitiers, Madame de Maintenon, Cléopâtre et Catherine II de Russie sont accrochés aux murs, en guise de comparaison ! Consoles en bronze doré, coupes de Chine et de Japon, jardinières en émail, lambris orné de fleurs et incrustés de plaques de lapis-lazuli, complètent le décor.

   La salle à manger, donnant sur le patio et la serre, est ornée de la cheminée la plus imposante et la plus spectaculaire de tout l’hôtel : colonnes de marbre, sculptures de lionnes accroupies et d’un aigle s’envolant avec une proie dans ses serres, femme à demi-nue, mosaïques à fond d’or…

Le fabuleux escalier en onyx d'Algérie de l'Hôtel Païva

Le fabuleux escalier en onyx d’Algérie de l’Hôtel Païva

L'exotique salle de bains de l'Hôtel Païva

L’exotique salle de bains de l’Hôtel Païva

   En montant le superbe escalier presque entièrement fait en onyx d’Algérie, on aperçoit une Amphitrite sculptée sur le mur. La Païva s’est fait représenter, nue et couverte de bijoux, chevauchant un dauphin.

   Le Salon de musique est décorée d’une fresque peinte par Henri Picou : Vénus sortant de l’onde. La cheminée en bronze doré est ornée d’une tête de femme, probablement celle de la maîtresse de maison, de deux mufles de lionnes et de deux paires de sein !

   Dans la chambre à coucher trône un lit gigantesque. Mais la pièce la plus fascinante reste la salle de bain. Une pièce d’un luxe inouï, dans le style mauresque : bas-reliefs en onyx d’Algérie, corniche faite d’une multitude de minuscules miroirs en facettes, carreaux de faïence d’un bleu éclatant… Une atmosphère très orientale.

   Surtout, la présence de trois gigantesques miroirs prouvent que La Païva est à l’aise avec son corps ! Une exceptionnelle baignoire en bronze argenté et ciselé par la manufacture Christoffle, encastrée dans un caisson d’onyx, supporte trois robinets incrustés de turquoises aujourd’hui disparues.

   L’Hôtel Païva, que les frères Goncourt surnomment sans complaisance « Le Louvre du cul », est parvenu jusqu’à nous dans un état de conservation exceptionnel.

Jugements

   Les Goncourt, dont on connaît la misogynie, ne sont pas tendres avec La Païva, « vieille courtisane peinte et plâtrée », qu’ils transforment en monstre aveuglé par l’ambition, le type même de la « bourgeoisie parvenue ». Leur résumé après avoir été conviés à un repas dans la salle à manger ?

On sent tomber sur cette table magnifique, chargée de cristaux, éclairée de l’incendie des lustres, le froid, l’horrible froid, spécial aux maisons de putains jouant la femme du monde…

   Les Goncourt, dont la propension à la mélancolie, au pessimisme et à l’exagération sont bien connus, donnent à nouveau un portrait peu flatteur de La Païva, qui exhibe à ses hôtes un décolleté plongeant dans le dos, laissant à nu ses épaules jusqu’aux reins :

Une figure qui, sous le dessous d’une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans et qui prend ainsi, par instants, je ne sais quoi de terrible d’une morte fardée.

   Ce jugement à l’emporte-pièce ne va pas les empêcher de revenir plusieurs fois chez la comtesse ! Les contemporains soulignent l’abus de maquillage chez La Païva, surtout en vieillissant. Les Goncourt la trouvent outrageusement fardée. Quant au grand couturier Worth, il reproche à Blanche d’utiliser le khôl avec accès :

Photographie de La Païva

Photographie de La Païva

Je ne l’ai connue qu’à sa maturité, lorsque sa beauté allait sur son déclin ; je ne saurais dire que j’en ai été ébloui : elle se noircissait exagérément les paupières, et, avec ses yeux proéminents, elle rappelait irrésistiblement un féroce faucon !

La moins courtisane des demi-mondaines

Photographie de La Païva

Photographie de La Païva

   En réalité, si ce n’est son goût du luxe et particulièrement une passion immodérée pour les bijoux (perles rondes et laiteuses, émeraudes, rubis, diamants purs, colliers et bracelets en or…), Blanche n’a rien d’une courtisane. Les preuves ne manquent pas.

   La récente exposition au Musée d’Orsay sur l’histoire des courtisanes et prostituées présentait un lit en forme de coquille tirée par des angelots, l’attribuant à La Païva. Mauvaise pioche. En réalité son lit, à baldaquin et tentures, n’est pas celui d’une courtisane. Il est même presque identique à celui de l’Impératrice Eugénie aux Tuileries !

   La Païva ne séduit pas pour séduire et, plutôt froide, ne cherche pas à contenter ses hôtes. La séduction est pour elle une stratégie, une façon de faire aboutir ses projets de réussite sociale et matérielle. Le journaliste Montorgueil note :

Le caprice n’habita jamais l’âme de cette étrangère ; elle ne livra rien au hasard, à la fantaisie ; tout fut, chez elle, délibéré, voulu. Elle eut toujours une boussole sous son oreiller, et, par nature, jamais ne perdit le nord.

   Loin de suivre l’exemple des courtisanes, elle attend toujours avant de se donner, fait languir le poisson pour s’assurer qu’il soit bien pris dans ses filets, et ne lâche jamais sa proie. Son grand discernement lui permet en outre de ne pas tomber dans la misère, même si ses charmes sont fanés.

   Cependant, même mariée et pourvue d’un titre, elle ne sera jamais reçue aux Tuileries par le couple impérial. Aucune femme convenable ne se compromet à paraître chez La Païva.

Afin de s’imaginer que c’était elle qui choisissait et non les autres qui l’excluaient, elle devançait les invitations, se montrait très sélective.

   Blanche souffre intérieurement des limites de son intégration sociale. Cet ostracisme est d’autant plus injuste qu’en plus d’être audacieuse et ambitieuse au suprême degré, de posséder une volonté sans faille et un esprit calculateur, Blanche est aussi une femme douée et intelligente, dotée d’une culture impressionnante.

Une femme talentueuse et cultivée

   Blanche parle très bien plusieurs langues, et joue du piano avec un grand talent pour ses hôtes. Elle monte à cheval qu’elle lance au galop, habillée en homme, chasse avec fougue, dans les terres de ses propriétés allemandes, ou à Pontchartrain où elle donne également des réceptions splendides les soirées d’été.

   Elle aime beaucoup l’Opéra, surtout les Opéra de Verdi. Elle loue d’ailleurs une loge à l’année au Théâtre-italien, et s’y rend environ deux fois par semaine.

   On sait aussi qu’elle lit beaucoup, de la vraie littérature tout comme les journaux. Il faut bien qu’elle soit plutôt savante pour alimenter la conversation avec des hôtes aussi lettrés et prestigieux !

   Dans son salon on trouve en effet Eugène Delacroix, Gustave Flaubert, Paul Baudry, l’architecte Hector Lefuel, l’irremplaçable Théophile Gauthier, qui l’aide à organiser ses dîners littéraires, Émile de Girardin, Paul de Saint-Victor, Sainte-Beuve (qui fréquente aussi le salon de la princesse Mathilde, comme les Goncourt d’ailleurs), Hippolyte Taine, Émile Augier, Alexandre Dumas…

   Blanche maîtrise également le monde des affaires, à des relations partout, dont elle fait profiter son mari. Elle sait gérer seule sa fortune, et gagne ainsi en indépendance. Elle reçoit chez elle banquiers et économistes pour savoir comment placer son argent ou investir en bourse.

   Pour la création de son hôtel, elle fait appel aux artistes de son temps, et lance la carrière de quelques-uns, comme Baudry, qui sera plus tard le décorateur du foyer de l’Opéra Garnier, ou le sculpteur Dalou.

Détail d'une photographie de La Païva

Détail d’une photographie de La Païva

   Dans les archives des Donnersmarck, on trouve de nombreuses lettres d’individus l’ayant côtoyé, qui ne tarissent pas d’éloges sur son compte. Le comte von Hutten-Czapski, proche ami de Guido, avoue qu’elle « connaissait beaucoup de langues et de littérature », et ajoute :

Ce qui la distinguait le plus était « l’esprit de suite ». Elle n’avait qu’un but : le pouvoir. L’argent qu’elle savait amasser n’était qu’un moyen. Elle n’était pas sentimentale, mais une amie fidèle à toute épreuve, pour le petit nombre de ses vrais amis. La foule lui était indifférente et elle la méprisait profondément.

   Le comte Léo Amadeus Henckel von Donnersmack, lorsqu’il raconte à sa femme le mariage de son cousin Guido avec La Païva, la juge « authentique, sincère, agréable, courageuse ».

La fin

Thérèse Lachmann est devenue ce vers quoi ont tendu tous ses efforts : une vedette des mondanités parisiennes, dotée d’une position sociale bien assise.

   Malheureusement, le rêve prend fin lorsque la guerre éclate avec la Prusse en 1870. On commence à regarder La Païva d’un œil soupçonneux. Son mari étant prussien, très proche des hautes sphères du pouvoir, on l’accuse bientôt d’être une espionne à la solde de l’ennemi. C’est d’ailleurs Guido qui négocie l’indemnité de guerre que la France doit payer, une somme exorbitante : 6 milliards de francs ! Voilà qui est important à savoir pour comprendre les Guerres Mondiales futures…

   Blanche cristallise les critiques, et est obligée de s’exiler en Silésie dans le château de Neudeck de son mari. Elle ne survivra pas longtemps à cet éloignement forcé, à cette déchéance sociale. Elle meurt littéralement d’ennui 4 ans plus tard, en 1884.

   Juive, étrangère, demi-mondaine ayant amassé une incroyable fortune et s’étant élevée au plus haut dans l’échelle sociale, Blanche, c’est certain, ne s’embarrassa jamais d’états d’âme. Mais elle parvint toute sa vie à tirer parti des situations. Animée d’une volonté de fer, elle fit preuve d’une ténacité qui surprend, et force l’admiration.

Sources

♦ L’extraordinaire hôtel Païva, des Arts Décoratifs

♦ Femmes d’exception, femmes d’influence – Une histoire des courtisanes au XIXe siècle, de Catherine Authier

♦ Visite guidée d’1h45 de l’Hôtel Païva (avec une spécialiste passionnée, un vrai bonheur !)

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