Festival del Catet 2016 (suite)
Les Chaises
Dans le cadre de la 16ème édition du Festival de la Terrasse et del Catet, le metteur en scène Bernard Lévy présente une version bouleversante d’un des grands classiques du 20èmesiècle, « Les Chaises » d’Eugène Ionesco.
Il faut sans doute beaucoup de courage dans un festival estival qui se tient dans le Sud de la France pour programmer un des fleurons du théâtre de l’ « absurde », grand drame de l’incommunicabilité et de la solitude, triste évocation du naufrage de la vieillesse et pis, de l’impossibilité pure et simple de se comprendre. Le sujet de la pièce d’Ionesco, créée en 1954 est minimaliste : un couple de vieillards (94 et 95 ans) vivants sur ce que l’on comprend être une île battue des flots, ressassent leur passé et remâchent les mêmes vieilles histoires et légendes familiales. Toute cette vieillesse ennemie se traduit dans l’écriture par d’habiles jeux linguistiques (répétitions, écholalies), la voix même des acteurs étant filtrée par un décor en verre qui encadre la pièce principale de leur retraite. Rien ne semble avancer sur cette machine scénique, rien ne semble enrayer ce babil radoteur si ce n’est l’annonce par le vieil homme de l’arrivée imminente d’un « orateur » à qui il entend confier la révélation d’un message personnel qu’il compte adresser à l’humanité. Aussitôt sonnent à la porte de la demeure du couple des invités invisibles qui arrivent un à un - une dame, une belle dame, un général ou un colonel un peu lubrique, une équipe de télévision et toute une flopée d’éminences et de vieilles vanités- et à qui il faut fournir des chaises. La multiplicité de chaises qui ne seront jamais remplies finit par éloigner les protagonistes sur le plateau puis à les submerger définitivement. Dans la pièce créée à l’origine (avec notamment Tsilla Chelton dans le rôle) les deux vieux se défenestrent. Dans la mise en scène de Bernard Lévy, le suicide est plus soft. Après avoir absorbé un ultime cachet létal le couple s’embrasse tendrement sur Please love me de Michel Polnareff. De manière générale d’ailleurs, le metteur en scène semble avoir humanisé la mécanique langagière implacable de Ionesco sans atténuer l’effroi ressenti par la sensation de vide ontologique éprouvé à la lecture du texte. Thierry Bosc et Emmanuelle Grangé deux comédiens expérimentés (ils ont joué avec la fine fleur de l’exploration théâtrale contemporaine de Jean-Pierre Vincent à Louis-Charles-Sirjacq) font des merveilles pour rendre la polysémie de cette œuvre ciselée et qui paraît aujourd’hui étrangement en résonance avec d’autres chefs d’œuvre comme le fameux « Amour » de Michael Hanecke.