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[critique] la Prisonnière du désert

Par Vance @Great_Wenceslas
[critique] la Prisonnière du désert

Chaque fois qu'on évoque le genre " western ", les noms de deux immenses réalisateurs reviennent invariablement : Sergio Leone... et John Ford. Et là, aussi invariablement, on pense à Monument Valley, à l' Irlande et à John Wayne. De grands films sont nés de cette collaboration d'une rare évidence, de cette forme de synergie exceptionnelle qui fait de l'acteur une sorte de doppelgänger animé du metteur en scène : de la Chevauchée fantastique à la Conquête de l'Ouest en passant par la Charge héroïque, les sublimes l'Homme tranquille ou Rio Grande et cet incontestable chef-d'œuvre du genre qu'est l'Homme qui tua Liberty Valance. Pourtant, que ce soient des institutions officielles comme l' American Film Institute ou l'imaginaire des cinéphiles, c'est encore invariablement la Prisonnière du désert qui surpasse tous les autres, tant par son scénario élaboré que par ses cadrages ciselés, ses paysages monumentaux et le rôle d' Ethan Edwards. Souvent considéré comme le plus grand western de tous les temps, film de chevet de David Lean, adulé autant par Scorsese, Spielberg et Lucas que par Godard (qui ne se privent jamais d'y faire référence), the Searchers (titre nettement plus pertinent mais certes moins poétique) fait partie de ces œuvres à voir et revoir, d'une beauté à couper le souffle et d'une profondeur insoupçonnée.

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Tout a été dit ou presque sur cette scène d'ouverture à laquelle fera écho le tout dernier plan, ce cadre dans le cadre et ce plan séquence accueillant l'arrivée d'Ethan de retour tardif de la guerre de Sécession puis révélant la majesté des paysages du plateau du Colorado. L'excellente restauration à l'origine du blu-ray permet d'apprécier la palette de couleurs aux tons chauds des intérieurs douillets des fermes coloniales renvoyant aux grès rouges des déserts environnants, mais également la qualité extrême des objectifs de l'époque, John Ford n'hésitant pas à user de leur capacité à rendre une grande profondeur de champ en composant des plans d'une richesse inouïe.

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Dès le départ, le film impressionne l'œil par son caractère imposant, sa maîtrise du cadre et sa gestion de l'espace. Au milieu de ces images alternant entre l'immensité rougeâtre de l' Arizona et de l' Utah (Ford a tourné une très grande partie de ses extérieurs dans le secteur de Monument Valley, région qu'il avait déjà adoptée pour sa Chevauchée fantastique, alors que l'action est censée se dérouler entre le Texas et le Nouveau-Mexique) et l'exiguïté des habitations, une silhouette domine, affirmant sans coup férir sa présence incroyable, signant de sa démarche inimitable chaque plan où il apparaît : John Wayne, immense, bourru, bougon, au sourire terrifiant et aux embrassades viriles. Epaules de déménageur, jambes d'athlète et des mains surdimensionnées. Sorte de géant tranquille qu'on croirait né de la Terre environnante, tel un Titan hors du temps. Il parle peu : son personnage cache un lourd secret et des blessures qui ont façonné un caractère suspicieux et taciturne, capable d'exploser dans des accès de rage incontrôlables. Ethan Edwards rentre donc du front sans expliquer les trois ans durant lesquels il n'a pas donné signe de vie (mais les observateurs scrupuleux noteront qu'il dispose de pièces d'or non marquées et d'une médaille militaire d'origine étrangère - autant d'indices qui laissent penser qu'il a préféré servir de mercenaire lors des guerres mexicaines) et retrouve sa famille - ou plutôt, celle de son frère. Il n'est pas marié, n'a pas d'enfant, supporte difficilement l'autorité et nourrit une haine farouche envers les Indiens, et surtout les Comanches qui refont parler d'eux dans la région (sans doute à cause d'un élément fugace qui apparaît alors que Debbie est envoyée se cacher sur la tombe de sa grand-mère).

Ce personnage complexe est sans doute le plus fascinant qu'ait joué Wayne, notamment par ses fêlures et ce côté sombre qui lui fera déshonorer un cadavre, abattre des bandits dans le dos et massacrer des bisons. L'habitué des westerns classiques ne peut qu'être dérouté par ces excès dont on ne peut que tenter de trouver des explications dans un passé trouble et on a de plus en plus de mal à lui dénicher des circonstances atténuantes. En revanche, on admet plus aisément sa volonté de partir en quête des deux filles de son frère, seules survivantes du raid meurtrier mené par une troupe de Comanches dirigée par un certain Scar. Un temps accompagné des Rangers du truculent Capitaine-Révérend Clayton, il finira seul, flanqué du jeune Martin Pawley (un métis qu'il avait lui-même sauvé d'un massacre et confié à son frère). Et leur quête va s'éterniser, au point qu'ils ne reviendront au pays (dans la maison des Jorgensen dont l'aîné, Brad, était promis à l'aînée des Edwards et qui a péri durant la poursuite) que deux fois en cinq ans, l'espoir s'effilochant de jour en jour. Leurs motivations sont clairement divergentes : Ethan nourrit une vengeance tenace contre ce peuple qui lui a pris tous ceux qui lui étaient chers ; Martin, lui, se forge des responsabilités d'adulte en tentant de retrouver la dernière survivante de la famille qui l'a recueilli et admis en son sein. Il en oublie sa propre vie et sa liaison avec Laurie Jorgensen (la délicieuse Vera Miles) qui n'en peut plus d'attendre qu'il se décide enfin à lui déclarer sa flamme.

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Le vieux baroudeur, pisteur hors pair, capable de s'exprimer tant en espagnol qu'en langue indienne (celle qu'on entend dans le film est du navajo puisqu'à part le chef des Comanches, tous les Indiens du film sont des ressortissants de la tribu) et l'apprenti chasseur se sauveront la vie mutuellement, et changeront régulièrement d'attitude l'un envers l'autre. Martin vénère Ethan depuis le début, mais il se permettra de temps en temps de s'affirmer et de le contredire chaque fois que l'ancien se montrera trop paternaliste ou borné. C'est ce respect précautionneux (car Martin a été témoin des exactions d'Ethan) qui sera la clef de voûte de l'intrigue et amènera à la conclusion finale et ce magnifique retour de quête : en tempérant la fougue vengeresse de l'ancien confédéré, le plus jeune permettra de raison garder et de ne pas céder trop aisément à la pulsion de mort. Ethan fera de même pour lui en le réfrénant plus d'une fois et en lui donnant les moyens de mieux canaliser son énergie rédemptrice.

Même si on voit encore chez le personnage principal cette propension à estimer qu'un bon Indien est un Indien mort, on constate tout de même un changement d'orientation chez Ford qui prend le temps d'établir des nuances dans cet Ouest en devenir où la jeune nation yankee a encore bien du mal à contenir les accès rebelles des autochtones. On ne parle pas encore de réserves, mais certains territoires sont déjà vaguement concédés et on semble désormais privilégier les échanges commerciaux que la répression armée. Scar et ses Comanches sont donc l'exception dans cet univers qui cherche à se policer - c'est particulièrement visible au moment où Ethan et Martin prennent contact avec eux par l'intermédiaire d'un Mexicain. Les rancoeurs et la haine sont toujours perceptibles, mais le temps de ces conflits est passé : c'est moins désormais une affaire de nations qu'une histoire d'hommes, dépassés, mal intégrés dans un pays en constant mouvement. C'est d'ailleurs, et précisément, le sens du dernier plan, mythique, celui du retour impossible où, tel

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Moïse face à la Terre promise, Ethan, mission accomplie, s'arrêtera sur le seuil avant de retourner se perdre dans ces terres qui virent périr les siens.

Indispensable, bien entendu.

Texas 1868. La famille d'Aaron Edwards est décimée par une bande de Comanches qui attaquent son ranch et enlèvent ses deux fillettes. Ethan, le frère d'Aaron, découvre le drame et se lance sur les traces des ravisseurs avec deux autres compagnons.

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