Partager la publication "[Critique] NEIL YOUNG JOURNEYS"
Titre original : Neil Young Journeys
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jonathan Demme
Distribution : Neil Young, Bob Young…
Genre : Rockumentaire
Date de sortie : 9 janvier 2013
Le Pitch :
Mai 2011 : Neil Young retourne dans sa province natale d’Ontario au Canada pour jouer en solo au Massey Hall de Toronto. Conduisant sa Ford Crown Victoria 1956, il revisite aussi ses lieux d’enfance, racontant ses souvenirs de ses anciens voisins et leurs filles, roulant à travers un paysage rendu méconnaissable par les bulldozers…
La Critique :
Il y a une ville au nord de l’Ontario, ou du moins quelqu’un l’a chanté dans une chanson il y a bien longtemps. Bien entendu, cette mélodie est celle de Helpless, encore considérée comme l’une des meilleures compositions de Neil Young. Jonathan Demme la laisse curieusement confinée au second plan à travers Neil Young Journeys, remontant à la surface quelques notes à la fois pendant les drôles de plans d’extérieur interstitiels situés entre les chansons, avant de disparaître à nouveau dans le bruit ambiant, encore et encore.
C’est la troisième fois que Demme met en scène un rockumentaire Neil Young depuis 2006 (le dernier étant Neil Young Trunk Show en 2009), et certains pourraient se demander pourquoi il s’est donné la peine d’en faire une trilogie. Ça ne pose pas vraiment un problème, parce que Demme filme la musique sur scène mieux que n’importe quel cinéaste, et Young est un artiste aux facettes multiples – souvent si déconcertant que personne ne pourrait capturer ses humeurs changeantes et son côté constamment métamorphe en un seul film.
Ce film capture un concert (en fait, deux concerts) de Young au Massey Hall de Toronto, où il avait si fameusement joué au seuil d’une carrière superstar en solo en 1971 (un événement qui engendra un autre rockumentaire sur Neil Young, quoique l’un des rares qui ne furent pas réalisés par Demme). Il s’agit en quelque sorte d’un retour au foyer, mais pas la peine d’en faire tout un plat : la mise en scène ici est beaucoup plus spartiate. C’est juste Neil Young tout seul sur scène, portant un vieux chapeau déchiré, accompagné d’une guitare électrique, d’un orgue et d’une montagne d’amplis qu’il semble pouvoir distordre de manière surnaturelle pour faire le genre de boucan infernal qui d’habitude, viendrait de tout un groupe.
La sélection des morceaux alterne entre son album Le Noise de 2010 et un fourre-tout de ses anciens favoris des années 70. Comme il est souvent typique de la part de Neil Young (et c’est justement ce qui le sépare de la plupart des vieux rockers classiques qui misent largement sur les tournées best-of juste pour se faire un de peu de fric), le passé et le présent sont présentés côte à côte, faisant tous partie du même flux continu.
Typique de Demme également, le bonhomme évite le public. Les spectateurs paraissent toujours être des interruptions inutiles dans ses rockumentaires, et il garde soigneusement la caméra près de la scène, dénuée des plans obligatoires sur la foule censés indiquer au public cinématographique de partager l’approbation des gens au concert. Demme essaye toujours de se rapprocher le plus possible de la musique, et dans Neil Young Journeys, on peut dire qu’il se surpasse enfin et se rapproche peut-être un peu trop près.
Filmé avec une poignée minimaliste de caméras numériques placées autour de l’estrade dans des positions qui ne sont pas toujours aussi stratégiques que ça, difficile de faire plus intime et personnel que dans un documentaire comme Journeys. Le bouchon est poussé très loin : il y a une caméra perchée à l’intérieur de l’harmonium de Young pour After the Gold Rush, et, pour faire encore plus intrusif, un minuscule dispositif numérique est accroché au micro du chanteur, nous donnant un aperçu de Down By the River à la hauteur de son larynx. Contrairement au proscenium d’avant-scène majestueux qu’avait employé Demme pour le transcendant Neil Young : Heart of Gold, son film ici a l’air brouillon et filmé à l’arrache. Des plans se rallongent beaucoup plus longtemps que la durée habituelle dans les rockumentaires, favorisant généralement un seul gros plan filmé de travers et y restant jusqu’à ce que le morceau s’achève.
Neil Young Journeys est contextualisé par une virée en bagnole à travers le Canada tournée délibérément à l’improviste, avec Demme accompagnant le chanteur en tant que passager dans sa Ford Crown Victoria 1956. Plus affable et moins réservé à l’écran que d’habitude, Young roule à travers sa ville natale d’Omemee, offrant quelques anecdotes amusantes sur des poules et un gamin qui l’avait fait manger du goudron. Mais sinon, il est en train d’indiquer des espaces vides et parler de choses qui ne sont plus là. Le passage du temps pèse lourdement sur l’homme et ses chansons, mais il le porte bien. Bien rigolos et pourtant curieusement mélancoliques, ces moments servent à ancrer le long-métrage dans un espace émotionnel un peu plus pensif et nostalgique que des ciné-concerts traditionnels.
Demme essaye enfin de sauver la chanson Ohio d’une quarantaine d’années passées en boucle à la radio en tant que classique du rock, entrecoupant la performance de Neil Young sur scène avec des images d’archive du massacre de Kent State et prenant bien soin de nommer les quatre victimes. C’est une tentative admirable de remettre une chanson sur-jouée dans son véritable contexte, mais l’approche stylistique ne colle pas trop avec le reste du film et sa technique spartiate. Un meilleur moment vient lorsque, pendant une reprise enflammée de Hitchhiker, Young crache un mollard par accident sur la caméra de son micro. Demme continue de filmer à travers sa salive, pendant ce qui semble être une éternité.
@ Daniel Rawnsley