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Le bot au service et à la tête (pensante) de la smart city

Publié le 03 août 2016 par Pnordey @latelier

Transparence démocratique, engagement des électeurs, assistance civique et optimisation des services publiques : l’intelligence artificielle, notamment sous la forme de chatbots, permet aux smart cities de fournir des services automatisés construits sur l’analyse de données.

En mars dernier, Microsoft suscitait la risée du net avec le fiasco de son robot Tay. Conçue pour adopter le comportement d’une adolescente et capable d’apprendre au contact des humains, l’intelligence artificielle fut rapidement « trollée » par les internautes et commença, vingt-quatre heures à peine après sa mise en ligne, à tenir des propos racistes, antisémites et licencieux. La mésaventure de Microsoft, qui fut largement relayée sur la toile, eu cependant pour mérite de souligner une réalité : les robots capables de converser avec les humains, ou chatbots, sont aujourd’hui omniprésents. Parmi les exemples ayant récemment défrayé la chronique, citons le service lancé en grande pompe par Facebook en avril dernier, mettant via Messenger des chatbots au service des entreprises pour les aider à gérer leurs relations clients, ou encore les intelligences artificielles utilisées par les journalistes américains pour couvrir la campagne présidentielle. L’édition 2016 de l’évènement MobileBeat, organisé par le site d’actu technologique américain VentureBeat, a fait la part belle à l’intelligence artificielle, et en particulier aux applications de messagerie intelligente.

Une couche d’intelligence artificielle au-dessus du Big Data

De nombreux acteurs cherchent aujourd’hui à mettre cette nouvelle tendance au service de la smart city. L’usage du Big Data a ouvert de nouvelles perspectives aux municipalités, leur donnant accès à un flux d’informations conséquent et aux outils pour la traiter et la rendre intelligible. De cette manière, les villes disposent d’une pierre de Rosette leur permettant de décoder un monde autrefois en grande partie invisible. En revanche, si le savoir est une chose, la capacité à agir en fonction de ce savoir en est une autre. Et si cette action peut être automatisée, c’est encore mieux ! C’est là qu’intervient l’intelligence artificielle. En apposant une couche de celle-ci sur les connaissances puisées dans le Big Data, les villes accèdent à un pouvoir quasi-démiurgique, deviennent capables d’automatiser un grand nombre de services de manière rationnelle et efficiente. L’intelligence conversationnelle permet, à travers les chatbots, de restituer automatiquement le travail effectué sur les données de manière claire et intelligible. Comme l’écrit Ilya Gelfenbeyn, CEO d’Api.ai : « L’un des aspects les plus intrigants de la connaissance issue de l’usage actuel des bots est ce qui va se produire lorsque l’intelligence artificielle conversationnelle sera combinée à l’analyse de données. Les analystes sont embourbés dans un flot de données brutes, et les interpréter en utilisant les outils traditionnels, analyse manuelle ou tableurs, représente un défi intimidant. Mais grâce aux nouveaux outils conversationnels, les analystes peuvent parler avec ou écrire à une interface d’intelligence artificielle intégrée à leur plate-forme d’analyse de données. »

Les chatbots, champions de la transparence

En brassant une large quantité de données et en les présentant sous une forme accessible au grand public, les chatbots peuvent tout d’abord renforcer la transparence du processus démocratique, et donc accroître la confiance des citoyens dans le pouvoir politique, stimuler la participation électorale et limiter la corruption. Le compte Twitter Trib IL Campaign cash est ainsi géré par un bot chargé de rendre les financements de campagnes électorales plus transparents. Chaque fois qu’une donation d’une valeur supérieure à 1000 dollars est faite à un homme politique dans l’Illinois, le bot effectue un tweet assorti d’un lien vers le site de l’état, où chaque donation est répertoriée, avec informations sur le donateur à la clé. Si ces informations sont en soi déjà disponibles sur l’internet, elles sont difficilement accessibles pour les citoyens. Grâce à ce bot, les habitants de l’Illinois peuvent en revanche facilement voir qui reçoit des financements, et de la part de quels donateurs. Un vecteur d’information bienvenu dans un état où plusieurs hommes politiques ont été éclaboussés par des scandales de corruption. Citons encore, sur Twitter, toujours, le bot congress-edits. Chaque fois qu’une modification anonyme est effectuée sur Wikipedia par une adresse IP pointant vers le Congrès, le compte le notifie. Les citoyens voient ainsi quelles informations sont relayées par une partie du pouvoir politique sur l’encyclopédie libre, et contrôlent le respect de la neutralité de l’information.

Le bot au service et à la tête (pensante) de la smart city

Le compte Twitter Trib IL Campaign cash

Quand les bots font de la politique

Certains bots visent également à rendre la démocratie plus participative, en facilitant par exemple le dialogue entre militants et candidats. Les hommes politiques ont ainsi grâce au site ManyChat le loisir de créer facilement un bot pour dialoguer avec leur audience sur le réseau social. L’intelligence artificielle permet de s’adresser directement à un grand nombre d’individus à la fois, en programmant des milliers de messages multi-plateformes en quelques secondes. Prévue pour l’automne prochain, une fonction supplémentaire permettra en outre d’analyser automatiquement l’opinion et les retours de l’audience sous forme de données chiffrées. Dans le cadre de la campagne présidentielle actuellement en cours aux Etats-Unis, Hillary Clinton ou Donald Trump pourront ainsi faire part à leurs militants de leur proposition sur tel ou tel sujet, et voir quel pourcentage y est favorable. L’intelligence artificielle est en mesure également de convertir cette relation en ligne en des actions concrètes sur le terrain : chaque candidat pourra envoyer automatiquement un message à des militants spécifiques, à partir de requêtes complexes mêlant plusieurs entrées, comme « Quels sont mes militants les plus engagés dans la région de San Francisco ? » et leur proposer de venir aider à l’organisation de leur prochain évènement situé à San Francisco.

Les bots lanceurs d’alertes

L’intelligence artificielle permet aussi d’informer les citoyens sur des évènement susceptibles d’impacter leur quotidien. Refaisons un passage par Twitter, où le bot Dirty Water Vt avertit les habitants du Vermont lorsqu’une source d’eau douce est contaminée. A plusieurs reprises, l’état a en effet connu d’importants problèmes de salubrité publique lorsque des écoulements d'égouts ont infiltré les réseaux d’eau potable. Sur Twitter, toujours, PermitBot avertit quant à lui les habitants de Chicago chaque fois qu’un contrat de construction, destruction ou aménagement urbain(e) d’une valeur supérieure à 500 000 dollars est signé. Le bot met également en évidence les tendances pointant un changement du paysage urbain, comme la destruction d’appartements au profit de maisons individuelles, signe de gentrification d’un quartier, ou la fermeture d’écoles.

L’intelligence artificielle vous aide à ne pas payer vos amendes

Les bots redonnent aussi redonner le pouvoir aux citoyens, en leur prodiguant des conseils juridiques pour les aider à défendre leurs droits, à toucher les aides étatiques dûes, ou encore à effectuer des démarches administratives. Las de récolter des amendes de stationnement injustifiées, le londonien Joshua Browder a conçu, en scannant des centaines de documents légaux, le bot DoNotPay, qui aide les citoyens à réclamer l’annulation de leurs amendes de stationnement illégitimes. « Ces personnes ne cherchent pas à enfreindre la loi. Je pense qu’ils sont exploités en tant que source de revenu par les gouvernements locaux », écrit-il.  Avec DoNotPay, les individus concernés peuvent dialoguer avec un bot, qui les interroge sur les conditions dans lesquelles ils ont reçu leur amende : y avait-il un signe bien visible interdisant le stationnement, quelle était la taille du parking de la zone, etc. En fonction des réponses, le bot détermine si l’individu peut légalement contester son amende et l’oriente, le cas échéant, vers les démarches à effectuer. Depuis son lancement à Londres, à l’automne 2015, DoNotPay a permis à 160 000 individus de se faire rembourser leurs amendes. Le dispositif a été transposé à New York au printemps 2016, où le nombre d’amendes de stationnement attribuées a connu un pic record de 1,9 milliards en 2015. Une exportation à Seattle est prévue pour l’automne prochain. Face au succès rencontré, le site aide désormais aussi les individus ayant à se faire rembourser leurs billets d’avion et de train suite à un retard conséquent. Joshua Browder (qui, au passage, n’a que dix-neuf ans) souhaite concevoir deux bots supplémentaires, l’un pour renseigner les malades du SIDA sur leurs droits, l’autre pour aider les réfugiés syriens à faire leur demande d’asile, en recourant à Watson, le super-ordinateur d’IBM, afin d’effectuer les traductions de l’arabe à l’anglais.

Dans le district d’Enfield, au nord de Londres, le bot Amelia est quant à lui l’assistant personnel des citoyens : en fonction de leurs besoins, il les aiguille vers les services municipaux les plus à même de répondre à leurs attentes.

Le bot au service et à la tête (pensante) de la smart city

Le chatbot DoNotPay

Un bot à la tête d’un état ?

Si toutes ces initiatives ne manquent pas de cachet, certains n’hésitent pas à rêver plus grand. C’est le cas de Gabriel Leydon, CEO et co-fondateur de MZ (anciennement Machine Zone), aspire ni plus ni moins à mettre un bot à la tête d’un état. Fort de son expérience tirée du jeu vidéo Game of War, qui connecte instantanément des centaines de milliers de joueurs en ligne à travers le monde, l’entrepreneur, installé à Palo Alto, a lancé RTplatform, une infrastructure virtuelle capable de gérer d’immenses quantités de données, et de naviguer parmi celles-ci à l’aide d’une couche d’intelligence artificielle. RTplatform a été utilisée par Gabriel Leydon pour fournir à la ville d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, une réplique virtuelle de l’intégralité de son écosystème de transport. Grâce à une carte, les autorités de la ville voient en temps réel où se trouvent les bus qui circulent dans la ville. Ce système détecte notamment les bus faisant fausse route, et alertent automatiquement les chauffeurs : « Nous avons une base de données indiquant où les bus sont censés se trouver. Notre bot compare ces données avec celles émanant des systèmes de géolocalisation de l’ensemble des bus, et envoie automatiquement des notifications aux chauffeurs lorsqu’ils se trompent de route », a expliqué Leydon lors de la dernière édition de MobileBeat.

Penser le futur de la mobilité

Ce système permet ainsi de corriger rapidement les erreurs, et d’éliminer du même coup certains dommages collatéraux : « Lorsqu’un bus ne prend pas la bonne route, les passagers se voient automatiquement facturer un deuxième ticket sur leur carte électronique, car le système croit qu’ils ont emprunté un second bus. La mairie d’Auckland reçoit chaque jour cent mails d’usagers demandant un remboursement. Ce problème va bientôt disparaître », a développé Leydon. En sus, le bot conseille directement les usagers sur leur itinéraire. Une application développée par RTplatform se synchronise automatiquement avec l’agenda de l’utilisateur, et lui rappelle chaque matin l’heure à laquelle il doit se rendre au travail en fonction de son emploi du temps (ex : réunion à 9h). L’individu peut alors demander, via un chat, quel est l’itinéraire optimal en fonction du trafic actuel, et le bot lui répond instantanément en lui indiquant la combinaison la plus rapide et l’heure à laquelle il devrait partir pour être à l’heure. L’usager n’a ainsi même plus à comparer lui-même les différentes options de trajet qui s’offrent à lui : l’intelligence artificielle le fait à sa place.

Un miroir numérique du monde réel

« En ajoutant une couche d’intelligence artificielle par-desus le Big Data, vous obtenez un niveau d’efficacité phénoménale », s’enthousiasme Leydon, pour qui le dispositif n’a aucune raison de s’en tenir aux transports, et devrait également viser l’énergie, la santé, et, en définitive, toutes les composantes du gouvernement. L’objectif, à terme, est de faire communiquer entre eux l’ensemble des capteurs, objets connectés et infrastructures d’une ville, de traiter l’ensemble des données ainsi générées à l’aide du Big Data et de permettre une prise de décision rapide et efficiente via l’intelligence artificielle. Un grand nombre de services pourraient ainsi être automatisé, l’efficacité des pouvoirs publics améliorée : en cas d’évènement majeur dans une partie de la ville, les pouvoirs publics bloqueraient par exemple automatiquement l’accès à certaines rues ou aux parkings.

« Aujourd’hui l’internet ne fonctionne pas comme il le devrait. Ce n’est pas un véritable réseau. Les trois milliards d’internautes avec qui chacun partage la toile sont invisibles. Nous voulons exposer chacun à la totalité du net, connecter l’ensemble des citoyens à un large environnement virtuel sur lequel les développeurs puissent construire de l’intelligence artificielle. Demain, les villes, les états seront des plateformes sur lesquelles des outils d’aide à la prise de décision seront encodées. nous devons bâtir un réseau digital et interactif constituant un miroir numérique du monde réel. » Demain, les robots pourraient bien devenir les meilleurs amis des gouvernants.

Le bot au service et à la tête (pensante) de la smart city

Un peu de lexique :

Si le terme chatbot revient régulièrement dans les medias, sa définition n’est pas toujours très claire et peut prêter à confusion. Selon Jon Gant, directeur du Centre de recherches sur le digital de l’University of Illinois, un bot se définit comme une application logiciel qui effectue des tâches de manière automatique. Un chatbot est un programme d’intelligence artificielle qui utilise spécifiquement le langage pour entrer en conversation avec l’utilisateur humain, que ce soit par voie écrite ou orale. Selon le chercheur, cette technologie ne date pas d’hier : « Joseph Weizenbaum, professeur au MIT, a créé Eliza, le tout premier Chatbot, en 1964-1965, utilisant la programmation pour permettre à une personne d’avoir une conversation dans un anglais de tous les jours avec un ordinateur », écrit-il. « Eliza imitait la conversation humaine à l’aide de techniques d’écoutes actives que beaucoup de psychiatres utilisent pour communiquer avec leurs patients. Elle répondait aux propos de ses interlocuteurs par des questions. Il s’agit de l’une des premières tentatives de créer l’illusion d’une conversation humaine dans une interaction humain/machine. » Néanmoins, limitée par les connaissances technologiques de l’époque, Eliza était programmée pour rebondir sur une quantité prédéfinie de phrases et mots-clefs, ce qui conduisait rapidement à des interactions étranges ou absurdes.

Aujourd’hui, les récents progrès en matière d’intelligence artificielle permettent la conception de bots bien plus élaborés et performants. « Ce qui différencie les bots d’aujourd’hui, c’est l’intégration d’une intelligence artificielle en arrière-garde, ce qui leur permet d’offrir bien davantage que des réponses basiques », affirme ainsi Anant Kale, CEO d’AppZen. Les progrès en matière de compréhension du langage permettent aux bots de mieux comprendre les propos des humains, et les avancées en matière de deep learning leur donnent la capacité d’apprendre et de traiter un nombre de requêtes astronomique.


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