Trois ans après la Prisonnière du désert, John Ford retrouve son acteur fétiche qui vient de terminer l'excellent Rio Bravo d' Howard Hawks. Cette fois, il n'est plus question d'Indiens mais d'un épisode authentique de la Guerre de Sécession, un fait d'armes qui ne pouvait que fasciner le réalisateur qui n'avait jamais caché son attachement aux principes de l'Union.
Pourtant, alors qu'on aurait pu s'attendre à un déferlement d'actes de bravoure magnifiant les valeurs de la cavalerie nordiste, les Cavaliers semble par moments puiser dans un autre registre qui était tout à fait sensible dans la Prisonnière : une véritable admiration pour l' " autre camp ", pour sa dignité méconnue - car effacée par les vainqueurs, qui réécrivent toujours l'Histoire à leur avantage - et son élégance dans la défaite. Dès le début, avec son ton encore plus bourru et un côté un peu plus rocailleux qu'auparavant, John Wayne en impose, même face à ses supérieurs : il semble savoir ce qu'il fait et ne souffrira aucune défection, aucune faiblesse, aucune discussion de sa propre stratégie qu'il annonce pourtant proprement suicidaire (le plan est d'aller jusque derrière la place forte de Vicksburg, mais rien n'est prévu pour en revenir). On pourra regretter que son interprétation du colonel Marlowe soit plus monolithique que celle d' Ethan Edwards ou que celle qu'il fournira pour Sam McCord dans le Grand Sam ; certes, cela colle avec son statut (il occupe la fonction de Général de Brigade) mais le scénario a la malice de lui coller dans les pattes une charmante notable sudiste qui passera une partie du film à l'aguicher, et l'autre à le détester, occasionnant les scènes les plus drôles du film, une certaine légèreté apportant un peu de fraîcheur en contrepoint des nombreuses séquences militaires. Malgré quelques situations très drôles, l'acteur semble avoir plus de mal à exprimer autre chose que de l'énervement, de la rage ou de la frustration.
C'est un peu pareil pour sa confrontation avec William Holden, qui interprète un médecin-major que tout oppose au colonel : elle est construite afin d'apporter un peu de piment dans ce qui aurait pu n'être que le récit d'une opération dangereuse derrière les lignes ennemies. Avec son élégance naturelle et une certaine discrétion dans son jeu, Holden fait le job mais son opposition presque systématique envers Wayne manque de spontanéité. Cela dit, cela confère au film un rythme sûr et rehausse le dynamisme des fusillades et autres batailles rangées. Cadrant plus serré qu'auparavant, Ford se permet quelques mouvements de caméra spectaculaires lorsqu'on assiste à une charge de cavalerie, et choisit quelques points de vue saisissants sur le champ de bataille. Ces séquences très réussies interfèrent parfois avec la lisibilité purement tactique du combat, notamment dans le dernier acte, autour d'un pont qui pourrait permettre au détachement de Marlowe de rejoindre le gros des forces de l'Union, mais Ford maîtrise parfaitement les fusillades et sait mettre en valeur les plans chargés d'héroïsme.
Du coup, certains épisodes démontrent que le regard du réalisateur est beaucoup plus nuancé qu'on pourrait s'y attendre : il y a de la bienveillance à l'égard de cette femme qui conserve sa dignité, son honneur et son élégance même captive, mais aussi à l'égard de cet officier sudiste issu de
West Point et ancien camarade du médecin-major. Et enfin, comment oublier la charge des élèves de cette école militaire confédérée, chargés de ralentir autant que faire se peut la progression des cavaliers nordistes ? C'est à la fois stupéfiant, émouvant et écoeurant. La mise en scène ne choisit pourtant pas la surenchère dans la violence, préférant laisser la guerre dévoiler seule l'horreur qui l'accompagne : même si on évoque souvent les atrocités commises dans les prisons sudistes, on assiste également à des actes généreux et nobles de leur part, de cette noblesse un peu surannée qui les rend aussi admirables que voués à l'extinction.Un film plus élégant que brutal, mais aussi digne et viril, mêlant grand spectacle, réflexion désabusée et romance désordonnée.