Magazine Culture

D'après Maupassant  (18/19)

Publié le 09 août 2016 par Dubruel

Qu'il était drôle, Pavigné !

Avec ses jambes d'araignée,

Son petit corps, ses longs bras

Ses cheveux rouges et gras.

Clown naturel,

Il savait à peine lire,

Mais possédait l'art de faire rire

Les paysans auxquels

Il jouait des rôles

Simples et drôles.

Les filles ne lui résistaient point.

Il les entrainait dans un coin,

Les chatouillait, les pressait...

Elles se tordaient.

Il les renversait.

Toutes y passaient.

L'été dernier, il s'engagea pour la moisson

À Cormeilles, chez maître Caron.

Trois semaines durant,

Le sacripant

Régala son auditoire

De facéties jubilatoires.

Le jour, il liait le blé

À grands gestes endiablés.

La nuit, dans le grenier, il s'ingéniait

À câliner les femmes et les cajoler.

Puis il détalait à quatre pattes.

Les paysannes éclataient de rire

Et lui jetaient leurs savates.

Le dernier jour des moissons, Pavigné,

Tel un satyre,

Gambillait, grimaçait, chantait

Au milieu des femmes dépeignées,

Vautrées sur le char qui cahotait.

Il voulut faire une galipette

Mais il rata son coup,

Tomba de la charrette,

Heurta une roue

Et s'aplatit dans le fossé.

On lui toucha la jambe, il beugla.

On le mit debout, il s'affala.

-" Il a une patte cassée,

Fit Sauveur,

Faut prévenir le docteur. "

À l'hôpital,

Pavigné fut royal.

À la religieuse qui le pansait,

Il clignait de l'œil, retroussait son nez...

Ses voisins de lits se pliaient de rire.

Même la Supérieure venait se divertir.

Pour elle, il trouvait des blagues inédites.

Puis il se fit dévot, prosélyte,

Parla du bon Dieu sans badiner,

Alluma les cierges, remplit le bénitier...

Une sœur lui ayant appris des cantiques,

Il se mit à louer d'une voix angélique

La Vierge Marie,

Les séraphins et le Saint Esprit.

La Supérieure lui donnait le ton

Et il chantait les répons.

Le dimanche, il servait la messe.

Ses manières firent florès :

La chapelle

De l'hospice s'emplissait.

Les fidèles

De la paroisse désertaient !

À sa totale guérison

La Supérieure lui fit don

De vingt-cinq francs.

C'était d' l'argent !

Il s'arrêta dans un café,

Se fit servir un guignolet

Puis un second...

Après un jeûne aussi long,

Son palais se sentait cajolé.

Tout gai, il s'en est allé

En quête d'un lieu de délices

Qu'il trouva à midi.

Une femme de service lui dit :

" C'est l'heure de fermeture officielle. "

Il la fit rire, sortit son escarcelle,

La soudoya, réclama et attendit.

La porte d'une chambre s'ouvrit.

Une fille parut, grasse et rouge.

Pavigné s'écroula sur le lit du bouge.

D'un coup d'œil sûr, elle lui dit :

-" T'as pas honte, à c't'heure-ci ? "

-" De quoi, princesse ? "

-" Mais de déranger une hôtesse

Avant sa soupe, espèce de zouave !"

-" Y a pas d'heure pour les braves. "

-" Y a pas d'heures non p'us,

Vieux pot, pour ceux qu'ont bu !"

-" J' suis pas un pot, et j' suis pas saoul. "

-" Pas saoul ? "

-" Non, pas saoul. "

"Tu peux seulement pas tenir debout ! "

Fâché, Pavigné se dressa :

-" Même, que j'danserais la polka. "

Elle le frappa à l'estomac.

Il trébucha, fit une pirouette,

Et tomba,

Entrainant dans son élan

La cruche d'eau et la cuvette.

Il eut des cris si perçants

Que toute la maisonnée accourut.

On voulut

Le relever

Mais Pavigné s'écroulait.

" Dire qu'on vient de me réparer

Mon aut' jambe ! Bien vrai ! "

On alla chercher le médecin. :

"C'est encore vous, espèce de sac à vin !"

-" Oui, m'sieu. " -" Qu'avez-vous ? "

-" L'aut' que la femelle m'a cassé itou. "

-" Menez-le à l'hôpital, d'où il sort d'ailleurs. "

Quand Pavigné arriva à l'hospice des sœurs.

La Supérieure l'accueillit : " Cette fois,

Vous avez quoi ? "

-" L'aut' jambe cassée, ma sœur. "

-" Encore un char de paille, farceur ? "

-" Non, mais vous allez trouver la chose cocasse

C'était encore une paillasse ! "

La Supérieure n'a jamais su

Que cet accident

Etait du

À son bienfait d'argent.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Dubruel 73 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine