Jean-Jacques Rousseau a vécu à Chambéry où il était chargé de convertir les genevois au catholicisme (il n'y est pas parvenu). Pendant toute la période de l'écriture des Confessions il habita aux Charmettes et je me suis demandé si la beauté des paysages avait pu l'influencer.Après avoir exploré hier les terroirs des Abymes et d'Apremont nous voilà en piste pour une balade gourmande organisée depuis 8 ans par les viticulteurs sur la commune de Chignin. Son territoire est très étendu et le rendez-vous est donné au Clos Dénarié.
Les bénévoles sont nombreux et leur action est à louer, depuis le stationnement sur les parkings, la distribution de l'équipement (sac à dos, livret, verre), le pointage des étapes, le service comme au restaurant ... sans se départir de leur sourire.
L'organisation est aux petits oignons et j'espère que ce compte-rendu vous donnera envie de faire l'expérience l'an prochain. Cela vaut vraiment le déplacement. Beaucoup d'habitués, mais aussi des touristes et des nouveaux venus partagent cette expérience très conviviale, un peu différente entre le samedi et le dimanche. Le 23 juillet ce fut un repas randonneur proposé aux marcheurs avec 3 étapes "point-repas".


Le 24 est plus gastronomique avec accords mets-vins sur 6 relais-dégustation répartis sur l’ensemble de la boucle (pour un prix très correct de 45 € par adulte et 10 € pour les enfants de moins de 10 ans).- le Chignin et la Roussette, pour leur côté fraîcheur et tension, accompagnent les mises en bouche ;- le Chignin-Bergeron s’accorde sur l’entrée, la Mondeuse sur le plat ;- les Rosés avec de jeunes viticulteurs ;- puis les autres cépages rouges avec les fromages ;- pour terminer, le Crémant, dernier-né, et les bulles de Savoie sur le dessert.
Nous avons démarré avec une météo un peu fraiche, et quelques effilochures de brume sur les hauteurs mais la musique était présente partout pour installer une bonne ambiance. Je vous invite à cliquer sur "plus d'info" pour suivre le déroulé entier de la balade et bien sur aussi sur la première photo pour regarder les clichés en diaporama plein écran.
Des panneaux d'information donne aux randonneurs les éléments de compréhension indispensables à la compréhension des différents terroirs car comme j'ai déjà pu l'écrire, les cépages savoyards sont peu connus en dehors de leur région. Chacun est expliqué. A Chignin on pointe la Jacquère, très reconnaissable à ses feuilles en forme de feuilles de figuier.
La première étape est assez vite atteinte, reconnaissable aux barnums blanc que nous auront bientôt en point de mire pour nous encourager à marcher, bien qu'au final ces 8 kilomètres se feront facilement.
Tout sera délicieux. Même le pain. On le dit "amuse-bouche" mais il est servi en portion généreuse : un Tartare de Lavaret relevé, Gaspacho de tomate du Tremblay. Avec un tel intitulé on aurait pu lancer un coup de bluff, mais on est bien dans la gastronomie. Et c'est une jolie prouesse en pleine nature.
Des tonneaux ont été disposés en guise de tables d'appoint pour faciliter aussi les conversations. Les vignerons sont nombreux derrière les tables pour conseiller les dégustations.
Je suis un peu perdue à ce stade (l'an prochain je saurais mieux comment procéder) parce que je n'ai pas encore les différents crus en mémoire.
Je commencerai par un Vin de Savoie Chignin blanc, 2015 du Domaine Jean-Charles Girard-Madoux. Typé par un caractère empyreumatique et une ligne minérale précise, le nez s'exprime autour de notes de pierre à fusil, de groseille, litchi et pamplemousse. Il s'accorde bien avec ce Lavaret, un poisson d'eau douce que l'on pêche dans les lacs savoyards, Léman ou Bourget.
Je poursuivrai avec un Chignin Vieilles Vignes du même domaine, plus minéral (mais tous les Chignins le sont) et avec davantage de perlant. Qu'on se rassure, je ne fais que goûter. Des crachoirs sont installés partout et on nous fournit régulièrement en eau plate pour étancher notre soif. A la fin, je passerai avec satisfaction l'épreuve de l'ethylotest avec 0, 4 g, ce qui prouve que c'est possible de déguster sans compromettre sa santé. C'est ce qui s'appelle la modération.
On écoute la musique et on repart en traversant Tormery dont la borne nous apprend que nous sommes à 347 mètres d'altitude.
Les dénivelés ne seront jamais excessifs et s'il est préférable de marcher avec des chaussures fermées il n'est pas nécessaire d'avoir un équipement sportif.Nous sommes là pour marcher alors on ne visite pas les caves. On croise juste celle de André et Michel Quenard.
On aperçoit à l'horizon les tours en ruines qui serviront de décor à de prochaines étapes; comme elles semblent lointaines ! Partout les vignobles ... comme de bien entendu. et on se laisse guider par la trompette jazzy de Petite fleur de Sidney Bechet.
On me fait remarquer que les pieds des vignes voisines ont sans doute à peu près 20 ans, sachant qu'ils peuvent produire pendant environ 60. On traverse Chignin où le panneau informatif indique que le village est très compact autour de constructions serrées, la plupart restaurées. Il est complété par des photos légendées de demeures remarquables, des maisons de caractère, autrefois propriétés de familles nobles ou bourgeoises de Chambéry.
On valide le passeport pour prétendre à l'entrée, un filet d'Omble Chevalier (encore un poisson d'eau douce) au quinoa, Emulsion au kumbawa et salade d'algue. C'est à cette halte que je rencontre le traiteur Hervé Thizy à l'oeuvre au service.
On peut le féliciter pour le menu, la qualité des assaisonnements et la prouesse de parvenir à servir à bonne température. Avec ce plat chaud, aux délicates saveurs j'opte pour un Chignin Bergeron cuvée Raiponmpon 2015 d'Adrien Berlioz. Un vin ample et assez gras avec une belle amertume qui prend le dessus et donne son identité au vin. On le sent différent avec quelque chose de lactique, mais on se limite.
Le paysage est magnifique, avec des vignes bordées de lavande. On s'installe à l'ombre d'un muret pour savourer.

On repart en cherchant des yeux les grappillons ou grapounettes dont on m'a parlé en m'expliquant le travail de la vigne. je remarque que toutes les rangées ne sont pas taillées au cordeau comme des haies. C'est ce qu'on appelle le rognage et qui s'effectue après l'ébourgeonnage dont un des buts est d'aérer la vigne, pour éviter les maladies, et donc les traitements.
La Jacquère est le cépage blanc typiquement savoyard. Il est le plus répandu, adapté aux terres argilo-calcaires. Ses surfaces représentent actuellement la moitié du vignoble savoyard soit 1100 hectares. Ses grappes moyennes avec grains sphériques inégaux peuvent devenir rosés ou bronzées à parfaite maturité.
Il produit sur ce terroir le Chignin blanc. Vin léger, sec à la robe jaune pâle, dont les arômes floraux s'expriment en bouche sur des notes minérales et d'agrumes perlant et frais.
Nous arrivons au village du Viviers, qui lui aussi comporte de nombreuses maisons du XVIII° qui ont été rénovées et un bassin-lavoir. Etabli près d'abondantes sources, au pied des cônes et talus d'éboulis. Un élevage piscicole médiéval est sans doute à l'origine de son nom. Quoiqu'il en soit c'est une viande, ultra tendre qui nous y attend.
Cette fois ces grandes tablées et des bancs ont été prévus en zone abritée, au cas où. Et le Carré de veau farci aux cèpes embaume avec sa purée de céleri et fenouil, légumes croquants. Il se révélera parfaitement rosé, fondant à souhait, bref excellentissime.
Nous allons nous concentrer sur des rouges, et plus précisément sur la Mondeuse, issue du cépage du même nom, et qui est un vin rouge typiquement savoyard. Son origine probable est la Combe de Savoie, peut-être le cépage des Allobroges (selon les textes latins de Columelle et de Pline l'Ancien). Avant la crise phylloxérique c'était le plant le plus important de Savoie. Les ceps sont encore vigoureux à 70 ans. Ses grappes sont assez grandes aux grains sphériques inégaux, noirs bleutés. La qualité d’une Mondeuse dépend du terroir. En complément, il est essentiel à ce cépage de lui imposer une taille sévère à trois ou quatre oursons à un oeil en lui succédant en été une réduction des grappes pour l’obtention d’un rendement limité. Structurée en bouche, elle donne des vins de garde de grande qualité à la robe pourpre violacée et aux arômes de mures, myrtilles, poivre, violette ...La Mondeuse ne laisse personne indifférent. Elle peut enthousiasmer ou dérouter en raison de son âpreté et de ses tanins. On dit qu'elle a des jambes pour traduire l'impression un peu métallique laissée en bouche. Heureusement elle déploie aussi des arômes de framboise et de myrtille, une saveur poivrée et un bouquet de fleurs d’automne pourvu qu'on la serve à une température avoisinant les 16°C.
Jean-Luc Vandewalle fait partager ses enthousiasmes. Ce fut d'abord la Mondeuse Elisa 2015 de Jean-François Quénard (dont les caves sont proches), sélection de vieilles vignes, élevées en demi-muids, afin d’arrondir les tanins dont on perçoit comme un jus de myrtilles. Puis la Mondeuse de Yves-Girard Madeux dont l'étiquette amusante laisserait croire à une fantaisie alors que pas du tout.
Ayant dans le groupe un spécialiste qui aime partager ses coups de coeur nous avons enchainé volontiers avec la Mondeuse "Marie Clothilde" de Adrien Berlioz (non photographiée) elle aussi élevée en demi-muids de cinq ans. Cette fois ce serait plutôt les arômes de framboises qui dominent.Je fais le lien avec le Chignin Bergeron cuvée Raiponmpon 2015 gouté plus haut. Parti de presque rien ce jeune vigneron exploite un domaine à taille humaine (moins de cinq hectares), travaille en culture biologique certifiée, pratique des rendements mesurés et vinifie des blancs complètement secs. il a choisi de valoriser sa production en pratiquant des tarifs deux à trois fois plus élevés que la moyenne de l’appellation pour vivre mieux et pouvoir investir.
Le troisième verre coule d'une bouteille que je n'aurais pas retenue, considérant l'étiquette (exhibant des jambes galbées) un peu misogyne. Et pourtant cette Mondeuse vieilles vignes du Domaine Jean-Charles Girard-Madoux à Chignin mérite qu'on la considère.




























Le Bergeron Les Terrasses d'André et Michel Quenard, 2007 également a une robe d'un jaune plus soutenu. On reconnait très vite l'abricot dans son expression confite. Ce sont des vins comme celui-là qui ont permis à la Savoie de gagner en prestige en éloignant l'image de la bouteille que l'on sert avec la raclette.





