Chaque livre de Kim Thúy m’enchante et me laisse perplexe. Je cherche à mettre le doigt sur ce qui en fait une si agréable lecture. Quel est son secret, sa recette?
vi, son petit dernier, est le récit de la fuite de l’auteure, alors enfant, d’un Vietnam devenu, pour sa famille, inhabitable. Celui aussi de son intégration dans son pays d’accueil. Celui enfin d’une jeune femme en quête d’émancipation, à la découverte de la liberté qui lui était ici offerte et en butte à la résistance d’une mère attachée aux valeurs traditionnelles.
Court opus de 138 pages, vi présente une facture élégante et raffinée. Tout à fait à l’image du style de l’auteure. Et le voilà peut-être le fameux secret de Kim Thúy, la concision, l’élégance et le raffinement. Malgré le caractère dramatique du sujet, Kim Thúy ne déroge jamais à la sobriété et à la retenue, renforçant ainsi la portée du texte.« Lorsque nous sommes arrivés au camp, les délégations françaises et australiennes venaient de le quitter. Personne ne pouvait nous informer de la date de leur retour ni du passage des délégations provenant d’autres pays. Il allait de soi qu’aucun réfugié ne projetait de vivre à long terme dans le camp. Mais nos tâches quotidiennes nous enracinaient malgré nous dans ces terres chaudes et hostiles. De nouvelles habitudes s’installaient : les jeunes garçons se réunissaient au crépuscule autour d’un palmier, dont le tronc suivait le plan horizontal du sol, pour jouer aux billes offertes par un de nos surveillants malais; les nouveaux amoureux s’évadaient derrière de gros rochers sur la colline; les artistes sculptaient les épaves des bateaux. Assez rapidement, pousser son seau vide pendant trois heures pour arriver au puits devenait aussi banal que les douleurs de la dysenterie chronique. L’inconfort de la proximité physique et mentale s’atténuait au rythme des rires spontanés et des retrouvailles inespérées. Dans cet univers isolé, les amitiés se créaient au moindre lien. Deux camarades de classe devenaient deux sœurs, deux natifs d’une même ville s’entraidaient en cousins, deux orphelins formaient une famille. »
C’est dans l’apparente simplicité du texte que s’exprime le talent de l’artiste et que disparaît le travail acharné nécessaire à tant de limpidité.
Et puis, il y a la fraîcheur de son regard sur la vie (malgré les épreuves, ou en raison des épreuves…), sa capacité d’émerveillement, son ouverture aux autres.
En fin de compte, le secret Kim Thúy n’a rien d’une recette. Il réside dans sa personne elle-même, dans sa sincérité, son besoin de communiquer, son exigence envers elle-même et envers la parole qu’elle a le privilège de faire entendre et nous, le bonheur d’écouter.
Kim Thúy, vi, Libre Expression, 2016, 138 pages