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(Carte blanche) à Claude Minière : "Lecture de vacances", 2

Par Florence Trocmé

Lecture de vacances (suite)

Je ne sais si pendant vos vacances vous faites de longues marches mais voici ce que note Claudel en marge des Illuminations : « au cours d’une longue journée de marche sur les routes, entre l’âme et le corps assujetti à un desport rythmique se produit une solution de continuité ; une espèce d’hypnose ‘ouverte’ s’établit. » Il faut avoir vécu de ces états pour que vous vienne l’expression « hypnose ouverte ».
Poète, il sait s’attacher à la réalité : « L’objet de la poésie, ce n’est pas, comme on le dit souvent, les rêves, les illusions ou les idées. C’est la sainte réalité. » (1) Entendez bien, il ne s’agit nullement de la sacro-sainte réalité, non, mais de la sainte réalité. La réalité serait-elle sainte ? Oui, j’en fais l’expérience immédiate et décidée, et « c’est tout cela qui nous regarde et que nous regardons ». Je me comprends poétiquement dans la réalité. Si vous regardez la sainte réalité vous ne deviendrez jamais un fou de la mort.
   
La réalité est sainte parce qu’elle est là, non inerte, mais rythmique et consonante. Ce n’est pas une idéologie qui le dit, c’est l’expérience, la sensation. Ou plutôt : ce n’est pas dit, mais ce qui est à dire, du sol, d’est en ouest, du soleil aux entrailles. Une pierre de touche répond de la vérité d’une formule : celle-ci sonne juste ou, non, ça sonne faux. Alors, entre autres, lisez « et ces cloches de temps en temps qui, pour définir le bonheur d’être ici articulent une phrase aussi nette qu’une citation. » (2) Comme le « réalisme » des romans policés de la rentrée va nous paraître artificiel à côté des libres sorties de Claudel !
Sur Pascal, sur Rimbaud, sur Dante il a toujours été excellent. Il est probablement le premier à avoir lancé un pont entre Pascal et Mallarmé : « ce coup de dés jeté dans la nuit, et en somme un peu pareil au pari de Pascal… » (3) Les puristes s’alarmeraient de devoir lire un peu pareil mais lui, Paul Claudel, la logique lui vient par la langue parlée, directe, il ne se corrige pas, il livre d’étonnantes ruptures, il aime le mot bien juste, il ne s’ennuie pas avec les formalités :
« Pascal a dit un mot bien juste : ‘l’éloquence continue ennuie’. Je serai tenté de le modifier en disant : la musique continue ennuie. – La poésie continue ennuie ». Non seulement il a cru Rimbaud sur parole mais dans cette parole il a entendu résonner « le principe de la rime intérieure, de ‘l’accord dominant’ posé par Pascal ». (4)
Il lit Dante comme noir poète : « le noir poète, dont Dante nous fournit le type même, n’est pas celui qui invente, mais celui qui met ensemble et qui, en rapprochant les choses, nous permet de les comprendre. » (5) Il pense que l’auteur de La Divine comédie a cherché le moyen de se rapprocher de Béatrice, et qu’ainsi il comprend ciel et terre dans un poème d’Amour. Mais il observe également que l’écriture versifiée entraîne à des découvertes : « La rime, précisément par son caractère fantasque et arbitraire, est un merveilleux élément de découverte. »
Quand il intervient en « journaliste », il ne s’embarrasse pas, il cite de mémoire, et parfois il va un peu trop vite. Par exemple, dans une conférence prononcée en décembre 1937, il fait référence à « un excellent article de M. Fenellosa » (sic, Fenellosa avec un e). Il doit pourtant bien s’agir de Ernest Fenollosa, de ses travaux sur le caractère écrit chinois comme matériau pour la poésie, puisque Claudel veut alors faire observer que le caractère chinois est la traduction d’une action et que « le poème n’est pas livré tout fait, il se fait dans l’esprit du lecteur ».
Attention, pendant les vacances vous restez très concentré, un peu pareil au chinois dans la montagne ou au bord de la rivière, le poème se fait dans votre esprit.
Claude Minière

1.Introduction à un poème sur Dante, 1921.
2.Un après-midi à Cambridge, 1939.
3.La catastrophe d’Igitur, 1926.
4.Arthur Rimbaud, préface, 1912.
5.Introduction à un poème sur Dante.
Première "lecture de vacances"


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