Un journal intime, trouvé près de la piscine vaudoise de P**... A l'intérieur, les (derniers ?) jours de vie d'un homme atteint d'une maladie nouvelle, le syndrome de Balthasar, soit la transformation inexpliquée du sujet en animal. Le protagoniste principal y raconte son quotidien, qui se déroule en grande partie au bord du bassin ou dans le lac; de son carré d'herbe, il jouit d'un point d'observation privilégié sur ce microcosme estival, sorte de petite Suisse avec ses règles et ses habitudes. Il y rencontre une femme au physique ingrat, Monique, avec qui il finira pour nouer une complicité de circonstance. Il cherche le contact d'autres femmes, n'y parvient pas, ou si peu.
La photo de couverture, gentiment grotesque, semble donner le ton du récit, et en effet l'auteur ne se prend pas trop au sérieux. Une bonne dose d'humour et d'ironie, caractéristiques du " style Chapuis ", parcourt les pages, entre métaphores improbables et comparaisons volontiers décalées. Cette légèreté de ton contraste efficacement avec le drame vécu par le (anti-) héros, et confère à l'ensemble une atmosphère un brin absurde parfaitement adaptée à l'évocation de la situation. La trame narrative de la transformation en animal ne peut d'ailleurs que rappeler le fameux " Rhinocéros " de Ionesco, grand maître de l'absurde sérieux.
Les baigneurs, aussi, ont une tête différente. Hormis les habitués tels que moi, les aoûtiens ont quitté les lieux pour s'entasser au bord de la mer, cachalots huileux le cul dans le sable et les pieds à dix heures dix, tandis que les juillettistes sont revenus, bronzage adipeux et amibes recroquevillées dans l'intestin. Ce matin, l'été n'avait plus le même goût. Il était déjà sur le déclin, pareil à un grognard fatigué qui ne se résout pas à abandonner le champ de bataille.
Roman de l'introspection désenchantée, Nage libre est peut-être qualitativement un brin en-dessous du très réussi " Le parc " - court polar sorti l'an passé et dont nous avons parlé ici - à la structure narrative plus inventive. A la lecture de Nage libre, on se demande parfois où veut en venir l'auteur, jusqu'à saisir que cette absence d'un réel but pour le héros, ou de réelles " raisons " à sa condition, participent de la réussite du roman. Ici le questionnement suscité chez le lecteur fait assurément partie du projet littéraire. Et puis on a apprécié que les derniers jours d'un homme, loin des caricatures téléphonées façon " les dix choses à faire avant de mourir ", s'étirent dans une certaine monotonie, comme si notre passage ne devait avoir provoqué qu'un très léger bruissement dans les haies de thuya, quelques vaguelettes inutiles dans l'eau calme du grand bassin.
On ne peut que se prendre d'une certaine tendresse pour ce personnage qui nous fait partager les doutes et les craintes face à l'avancée de la maladie. Derrière la légèreté, on perçoit chez Olivier Chapuis une vraie réflexion sur la décadence physique et mentale: que ressent-on, ou ne ressent-on pas, à l'idée de perdre le contrôle ?
L'auteur: Olivier Chapuis est né en 1969. Il est l'auteur de plusieurs nouvelles et romans publiés, et préside l'Association Vaudoise des Ecrivains.