Ce bouquin, qu’une amie m’a mis entre les mains, échappe aux classifications, tout comme son auteur, le marginal en question, qui a fait son petit bout de chemin littéraire en dehors des circuits officiels. Bien que publié à compte d’auteur, il s’agit de l’œuvre d’une plume talentueuse. Cependant, il a sans doute eu raison de contourner la voie des maisons d’édition traditionnelle. Un no name qui propose un récit de vie, bonne chance! J’ai tenté l’expérience… N’empêche que j’ai lu ce livre tout d’une traite et avec beaucoup de plaisir.
Chronique d’un marginal se présente sous la forme de quarante courts chapitres, chronologiques, dont chacun évoque un souvenir, une expérience. Si sa marginalité, son homosexualité, traverse tout le livre, il nous parle pourtant de beaucoup d’autres choses, entre autres de ses émois musicaux, de sa passion pour l’architecture et pour la photographie. Mais le thème principal demeure sa différence, qu’il découvre vers l’âge de dix ans et qu’il vivra cahin-caha dans un monde qui peine à supporter «ceux qui ne sont pas comme les autres». Avec une franchise qui évite l’apitoiement, avec humour aussi, parfois jusqu’à l’autodérision, il nous parle de ses amours difficiles, de ses amitiés, de sa solitude, de ses tendances suicidaires, de sa séropositivité. Noir, direz-vous? Pas vraiment. Vivant, touchant, souvent captivant. Courageux. À titre d’exemple, cet extrait décrivant sa réaction à l’annonce de sa maladie:
«Je quitte la clinique convaincu d’avoir encaissé le choc. Au milieu de l’escalier menant au rez-de-chaussée, mes jambes flanchent, je dois m’accrocher à la rampe. Le plafond des Halles du Petit Quatier s’écroule sur ma tête. Qu’est-ce qui m’arrive? Hébété, je déambule sur la rue Cartier. Je me sens étranger à ceux qui m’entourent. Même l’homosexualité n’a jamais provoqué en moi une telle sensation d’exclusion, de marginalité, hors du monde ordinaire.»
Je le disais plus haut, l’œuvre de Louis Létourneau révèle un talent d’écrivain. Bien sûr, le texte aurait bénéficié des conseils d’un éditeur de métier. Les récits ne sont pas tous d’égale valeur, quelques phrases auraient pu être simplifiées, on repère des erreurs de syntaxe. Mais rien pour anéantir le plaisir général de lecture, le mien du moins.
«Dans la salle à manger de la maison familiale, les rouleaux au fromage et olives, les pains farcis à la salade de poulet, les saucisses enroulées de bacon sur toast et les pointes de pâté à la viande disparaissent de la table, morceau par morceau, pointe par pointe, environ une heure après l’énième naissance de Jésus, en ce réveillon du 24 décembre 1997. Les cadeaux sont déjà déballés, éparpillés aux quatre coins du salon, en partis cachés par les sacs et les encombrants papiers d’emballage déchirés. Parmi les jouets, Destin, jeu de société dont l’objectif vise à unir un homme et une femme pour ensuite les emmerder de nombreux obstacles. Une sorte de serpents et échelles version conjugale. Pas tout à fait dans mes cordes…»
Malgré ses limites, ce petit bouquin offre une touchante incursion au cœur d’une vie de marginalité et de solitude. Un moment d’humanité.
Louis Létourneau, Chronique d’un marginal, Les éditions Lizon Osé, 2012, 163 pages