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L'affaire des cols rouges 2/6

Publié le 22 août 2016 par Marcel & Simone @MarceletSimone

Marcel & Simone se la joue Faites entrer l'accusé... Nous vous proposons une série sur les scandales qui ont fait frémir, bondir ou qui ont même bousculé le monde de l'art.

Depuis le XIXe siècle, l’Hôtel Drouot est l’endroit où se déroulent les plus importantes ventes aux enchères de Paris. Les cols rouges en sont les commissionnaires, ils s’occupent de transporter les objets vendus à Drouot depuis les études des commissaires priseurs ou depuis les domiciles de particuliers, et de les entreposer. Avant les ventes aux enchères, il leur revient aussi de disposer ces objets dans les vitrines.
L'affaire des cols rouges 2/6

Règle n°1 : Il est interdit de parler du Fight Club . Les petites affaires des cols rouges auraient pu continuer longtemps si la règle de la discrétion n’avait été enfreinte. Le système était parfait.

Tout d’abord, on s’assure la fidélité des membres par un monopole régional. « l’Union des Commissionnaires de l’Hôtel des Ventes » dirigée par les Auvergnats dans un premier temps fut supplantée par une communauté savoyarde au milieu du XIXe siècle. Majoritaires, les Savoyards profitèrent du rattachement de la Savoie à la France en 1860 par Napoléon III pour réclamer le privilège exclusif de leur corporation. Le privilège ne leur fut jamais accordé mais ils furent les seuls à exercer cette profession. Jusqu’en 2010...

Au nombre de cent-dix, chaque membre est actionnaire à parts égales. Un brigadier et des sous-brigadiers sont élus pour les postes importants comme la gestion de l’entrepôt de Bagnolet ou la flotte des camions. Ils arborent une tenue noire dont la veste est fermée par un col mao rouge rehaussé d’un chiffre brodé de blanc car à chaque commissionnaire est attribué un chiffre, celui de son prédécesseur. Il faut être coopté pour intégrer l’Union, faire ses preuves pendant six mois puis racheter la part de son parrain, reprendre son chiffre et parfois son surnom, souvent imagé, comme Attila, la Truie, Minou, Muscadet, la Vierge… Cette fidélité est consolidée par un petit piège tendu aux nouveaux : lors des enlèvements d’objets, les cols rouges sont toujours trois. Assez rapidement, le nouveau se retrouve à participer au vol d’une armoire, avec la promesse que les gains de la revente seront partagés en trois (règle immuable chez les cols rouges). Que peut-il faire ? Refuser l’argent et dénoncer deux commissionnaires qui ont des chances d’être des membres de sa famille ou de venir du même village ? Non, il se tait et accepte l’argent. Le nouveau est ferré, intégré, piégé. Mais il sera en retour protégé par l’ensemble des commissionnaires.

L'affaire des cols rouges 2/6

Les gains des cols rouges sont de différentes natures. L’objet peut être tout simplement subtilisé et caché dans leurs entrepôts de Bagnolet. S’il n’est pas facilement identifiable il est revendu assez rapidement. S’il s’agit d’une œuvre connue, elle est stockée en attendant ou tout bonnement exposée dans leur appartement. Une autre subtilité est de retirer les portes d’une armoire (ou le balancier d’une horloge) qui devient invendable ou du moins sérieusement dévaluée. Ils achètent alors l’armoire à bas prix (à cette époque les commissionnaires avaient le droit d’enchérir sur les objets qu’ils avaient eux même déménagés), remettent les portes et revendent le meuble dans une autre salle de Drouot. Mais on ne parle pas que de petits larcins, le niveau de vie de certain commissionnaire est très élevé : vacances au Nicaragua, Porsche 911, bijoux luxueux. Ils peuvent multiplier par dix leur salaire.

L'affaire des cols rouges 2/6

Une question doit sûrement vous titiller : comment ont-ils pu faire perdurer leurs combines pendant plus d’un siècle et demi sans que personne ne s’en aperçoive ? La réponse est multiple. Il y a ceux qui, comme toujours, ne veulent pas savoir et regardent ailleurs. D’autres y voient leur intérêt et participent au trafic. Les cols rouges ont également dénoncé une certaine négligence des commissaires-priseurs qui ne font pas de liste précise des objets à prendre dans les appartements et qui ne se déplacent même pas sur les lieux. Et si un commissaire-priseur se plaint un peu trop, les objets ont une fâcheuse tendance à se casser, à ne pas arriver dans la bonne salle ou en retard... Certains oseront porter plainte mais les affaires seront toutes classées sans suite. La majorité des affaires semblent avoir été réglées à l’amiable avec les brigadiers, les objets égarés réapparaissant miraculeusement.

Tout ce système bien huilé aurait pu durer si la nouvelle génération n’avait pas été trop gourmande. En 2009, la compagne d’un des commissionnaires rompt le charme en essayant de revendre un Paysage de mer à ciel d’orage à un antiquaire. Le marchand reconnait immédiatement le Courbet dérobé en 2003 dans un appartement parisien au cours d’une grosse succession et prévient la police. A partir de ce moment, tout s’enchaîne. Les cols rouges sont mis sur écoute et livrent tous leurs secrets aux policiers de l’Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels. En 2009, une perquisition à leurs domiciles et surtout aux entrepôts de Bagnolet permet de découvrir tous les trésors « disparus », dont le Courbet. Les objets volés vont du petit objet sans valeur jusqu’au tableau de maître.

L'affaire des cols rouges 2/6

Un ordinateur saisi retient l’attention des enquêteurs. Il contient des fichiers Excel tenant méticuleusement des comptes, détaillant quotidiennement les équipes de commissionnaires, les objets volés et le partage des gains. Deux fichiers, Yape et Yape2, intéressent particulièrement les policiers. Dans le jargon des cols rouges, la « Yape » est un terme ambigu entre récup et vol (ambiguïté dont joueront les avocats de la défense pour remettre en question le chef d’association de malfaiteurs). Yape2 couvre la période de 2005 à 2009 et implique directement 99 Savoyards sur 110... Méticuleusement organisés et travaillant toujours par équipes, c’est cette organisation rigoureuse qui les perdra tous.

Le président de Drouot tire des conséquences immédiates : le monopole des savoyards s’achève. Aujourd’hui ce sont des sociétés privées qui s’occupent du transport. Revers de la médaille, les vols ont bien disparus mais pas la casse. Le système de transmission des cols rouges permettaient aussi un savoir faire incomparable.

Huit commissionnaires et un commissaire-priseur sont d’abord mis en examen. Mais cela s’étend très vite à tous les membres de l’Union et à l’Union même en tant que personne morale. Au cours de l’instruction, l’hôtel des ventes parvient à se constituer partie civile afin de se ranger du côté des victimes.

Tout le monde savait, j’appelle cela une rumeur. Sur quoi est-elle étayée ? Quelles sont les preuves ? Qui ? Quand ? C’est précisément très facile après coup de dire “tout le monde savait”. “Tout le monde”, cela veut dire personne. Drouot est un lieu mythique qui véhicule beaucoup de fantasmes et d’arrière-pensées dans un marché de plus en plus concurrentiel. Je constate que ces personnes qui prétendent sans preuve que “tout le monde savait” n’ont jamais rien dit et continuent à travailler à Drouot

Karim Beylouni, avocat de Drouot

Le jugement sera rendu le 6 septembre prochain et les différents responsables seront jugés.

Cependant, il serait malhonnête de dresser un portrait du Drouot d’aujourd’hui comme un repaire de filous. Suite à ce scandale, Drouot s’est profondément remis en cause. Les réflexions sur un nouveau Drouot ont mené à la promulgation de la loi du 20 juillet 2011 qui a considérablement modifié les ventes aux enchères en France avec comme mots d’ordre transparence et libre concurrence. Une nouvelle génération d’acteurs (commissaires-priseurs et experts) fait tout pour renouveler et dynamiser notre caverne d’ali baba préférée !

En savoir plus...

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