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Passions tristes : Matthieu Hocquemiller, J'arrive plus à mourir

Publié le 18 juin 2008 par Jérôme Delatour
Passions tristes : Matthieu Hocquemiller, J'arrive plus à mourirMatthieu Hocquemiller, J'arrive plus à mourir
(cl. Jérôme Delatour / Images de danse) :
version 2008 de
La Liberté guidant le peuple

"J'arrive plus à mourir", ce pourrait être le cri de notre société post-moderne à l'agonie, condamnée. Il serait temps d'en finir avec elle, mais il y a l'angoisse de l'après. Et puis elle a beau dire, elle s'accroche à la vie.
La pièce commence sur le mot désastre, projeté sur une maison qui, apparemment paisible et blanche, est sûrement en feu. Le mot est lâché : voilà comment le jeune Montpelliérain Matthieu Hocquemiller, appuyé sur la vision de Miguel Benasayag*, juge le monde d'aujourd'hui. Perte de sens et de transcendance, société de consommation aussi destructrice que compulsive et hébétée, le constat est sombre.

Hocquemiller met en scène des vingtenaires et trentenaires inconsistants : enfants, hédonistes, contents de petits plaisirs faciles, familiers du dérisoire, dépendants de l'inutile, mollement abîmés dans le rien, et par-dessus tout inconséquents : insatisfaits et rassasiés, inquiets et tranquilles, gentiment assassins. Chez eux, les contradictions les plus criantes font bon ménage. Sans doute parce qu'ils ont abdiqué toute ambition de révolte. C'est sûrement cela, la décadence. Un individualisme par défaut qui n'est que repli sur soi, abandon des rêves par prudence, par peur des illusions, peur née de l'indifférence et de l'ignorance. Chez eux, le cynisme est de naissance, innocent et naturel ; et s'ils s'inquiètent de l'état du monde, c'est plus par intérêt que par sollicitude.

Passions tristes : Matthieu Hocquemiller, J'arrive plus à mourir Matthieu Hocquemiller, J'arrive plus à mourir
(cl. Jérôme Delatour / Images de danse).
Vraie réincarnation d'Henri IV, Cyril Viallon réactive
l'image de l'Hercule gaulois


Eux, c'est nous. "J'arrive plus à mourir", "à Contre-poil du sens", "gesticulations contre la fatalité" (c'est le sous-titre de la pièce), Matthieu Hocquemiller fait sienne cette philosophie du désespoir serein, cette esthétique de la contradiction dérisoire. Matthieu Hocquemiller pourrait être le Rodrigo Garcia français. En un sens il est plus inquiétant que lui. Il emploie les mêmes ingrédients que lui, ceux de la performance contemporaine classique (on gaspille, on éparpille, on casse, on fait gicler des trucs dégueu, on éviscère des poufs, on fait péter les cérérales), mais il est moins spectaculaire, moins provoquant, déçoit presque par tant de retenue. Alors que Garcia exagère, amplifie, surjoue, Hocquemiller montre les choses froidement et rend l'identification plus facile. La société qu'il dépeint ne suscite chez les individus ni désespoir, ni révolte, mais une inconséquence béate : voilà qui dérange vraiment. Avec Garcia, on laisse faire l'artiste ; avec Hocquemiller, on a envie de monter sur le plateau et de secouer ces ectoplasmes - et par conséquent, de se secouer soi-même.

* Lire notamment Le Mythe de l'individu, La Découverte, 1998. Si vous n'avez pas lu ses oeuvres, vous vous souvenez peut-être de sa chronique matinale sur France Culture, en 2004. Il allumait alors un contre-feu, parfois outré, aux chroniques ultra-droitistes d'Alain-Gérard Slama ; et Laure Adler l'avait viré manu militari, pour excès de liberté et de gauchisme - attitudes déjà bien mal vues dans la France pré-sarkozienne.

J'arrive plus à mourir, de Matthieu Hocquemiller, a été donné à Mains d'Oeuvres les 13 et 14 juin 2008.

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