Il faut aller au-delà d’une vision toute technologique de la smart city. Guillaume Degroisse décrypte l’évolution de la smart city vers une ville aux citoyens engagés grâce au digital, l’”engaged city”.
Pour trouver une première mention de la notion de smart city, il faut remonter jusqu’en 1992, année de parution d’un “Que sais-je”, écrit par Gabriel Dupuy, dont l’objet était "l'informatisation des villes". En réalité, il faudra attendre le début des années 2000 pour que le terme devienne vraiment populaire. C’est IBM qui l’utilise en premier, dans sa littérature marketing à destination des maires de grandes villes qui désirent informatiser leurs services municipaux. Mais c'est surtout Bill Clinton qui, lors d'un dîner, va insuffler l’idée à John Chambers, patron de Cisco, en lui demandant si avec toute la technologie et réseaux que sa société maîtrise, elle ne pourrait pas oeuvrer pour rendre les villes plus simples à vivre, plus agréables et plus intelligentes.
A la même période, à l’autre bout du monde, en Corée du Sud, naissent deux projets de villes intelligentes, à Songdo et Séoul. Dès 2010, tout s'accélère. En Espagne, la ville de Santander commence à déployer un nombre très important de capteurs, 10 000. Si aujourd'hui, le chiffre, pour une grande ville, n’est pas énorme, il atteint aujourd'hui à Santander les 20 000. Pour l'époque, l’investissement est notable et sans précédent. L’approche de la ville de Santander est intéressante, en ceci qu’elle est d’abord complètement empirique. C'est la mairie qui avec le concours des universités locales, déploient des petits boîtiers aux circuits intégrés, pour mesurer et capter des données, mais sans forcément savoir exactement à quoi ça allait servir, mais en poussant le curseur de la simple informatisation plus loin. Notre décennie marque, elle, l’adoption par tous d’une smart city qui optimise les services de la ville, grâce à l'informatisation et au Big Data.
L’échec formateur, pour une cité smart et citoyenne ?
Mais très rapidement, on va voir que les choses évoluent, notamment à cause d’échecs.
Parlons de la ville de Tianjin, en Chine. A l’instar de Songdo en Corée, il s’agit d’une ville nouvelle, créée de zéro, qui est une showroom de la technologie de la smart city, mais qui n’attire aujourd'hui pas d'habitants. A Tianjin étaient espérés 300 000 habitants. Aujourd'hui, ils ne sont que 30 000.
On se rend bien compte que la smart city, au sens purement technologique, n'est pas forcément la meilleure chose. En revanche, faire en sorte, grâce au numérique, qu'elle soit au service des citoyens, ça, c'est la deuxième révolution en marche !
Ce n’est qu’une fois les équipements publics rendus efficaces que les habitants vont commencer à interagir avec eux. L’habitant de la smart city est rendu à son rôle de consommateur. Les services créés par la ville doivent être “customer-oriented”.
Un exemple : vous connaissez sans doute le numéro d'urgence américain, le 911, toutes les grandes villes américaines ont un numéro de non-urgence qui est le 311. Et ce numéro de non-urgence correspond, en fait, aux services municipaux. Le citoyen américain signale par ce biais les nids de poule ou les défauts de signalisation. L’idée est d’embarquer le citoyen dans l’amélioration des services, de manière continue et en temps réel. Que ce soit à Boston, à San Francisco, à Lyon, ou plus proche de nous, à Issy-lès-Moulineaux, on voit bien que tous les maires des grandes villes sont en train de se mettre dans une posture qui est celle d’un chief digital officer. C'est-à-dire que les maires des grandes villes ont compris que l’attente de leurs habitants aujourd’hui est aussi dans la capacité à interagir avec eux rapidement pour signaler des problèmes ou émettre des propositions.
L’avènement du smart citizen
Et c’est ce qui nous intéresse tout particulièrement à L’Atelier : la révolution du smart citizen, du citoyen engagé. Un citoyen, qui, outre la simple déclaration de problèmes de voirie, désire une communication ouverte et permanente avec sa mairie. Les services digitaux, que nous avons pour habitude d'utiliser sur Internet et mobile, arrivent dans la ville.
Le concept d'empowerment développé par les marketeurs américains, à savoir la capacité d'un individu à prendre conscience de sa propre force pour impacter et diriger sa vie, est en train de passer de la consommation à la citoyenneté. C’est là un changement de paradigme politique. On passe d’une idée de peuple, qui constituerait un tout à une multitude. Et qu’est-ce que la multitude, si ce n’est un réseau d'individus mis ensemble pour servir leurs intérêts particuliers. Une étude publiée en 2015 révèle que 70 % des Français pensent que la démocratie ne fonctionne plus. Il y a bien une nécessité de recréer un lien avec la démocratie locale.
Et le premier à l’avoir saisi est le maire de Vancouver, au Canada qui dès 2012, a lancé des groupes de travail dont les résultats seront adoptés en conseil municipal en 2013, et qui allaient vers l’idée d’une “engaged city”, une ville dans laquelle les gens sont engagés et prennent position. Et ça marche ! Vancouver a une population d’à peu près 600 000 habitants. En 2014, 40 000 d’entre eux se sont exprimés via les moyens digitaux mis en place; en 2015, plus du double - 80 000.
A Paris, depuis trois ans, l'équipe municipale a mis en place le budget participatif. En 2015, il représentait 100 millions d'euros pour 5000 projets proposés par des Parisiens, et 70 000 personnes qui ont voté en faveur d’investissements à moyen terme de la ville de Paris.
Mais on peut aussi évoquer l’action de Fluicity, créée par Julie de Pimodan. Fluicity est une plateforme qui permet justement au maire, aux services de la mairie et aux citoyens de dialoguer ensemble, de proposer des idées, de voter et finalement, de co-construire la ville dans laquelle ils rêvent de vivre. Tout ça ne vous semble familier ? Moi, si.
Nous sommes en train de retrouver ce mythe de l'Agora athénienne, celui d’une démocratie où les citoyens d'Athènes, à l'Antiquité, se retrouvaient tous ensemble sur l'Agora, la grande place de la ville, pour échanger, discuter, voter et choisir ce qui était bon pour la cité et donc, pour eux. Le digital est peut-être bel et bien en train de mettre en place ce grand mythe de la démocratie locale.