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Gérard Rondeau, appelez-le Milan

Par Pmalgachie @pmalgachie
Gérard Rondeau, appelez-le Milan Un petit cliché noir et blanc, en page 9 de Libération ce matin, accompagné d'un texte bref sous le titre: "Disparition". Le disparu en question est l'homme qui avait fait la photo, Gérard Rondeau, né en 1953, proche de bien des écrivains dont il avait notamment tiré le portrait - et c'est pourquoi il a sa place ici. Celui qui me rendait le plus proche de Gérard Rondeau, pourtant jamais croisé dans la vraie vie, était Yves Gibeau, chaque fois que je le rencontrais. J'avais eu l'occasion de parler de cela avec Jean-Paul Kauffmann, il y a trois ans, quand il avait publié Remonter la Marne, ce beau voyage à pied où la promenade réapprend à réfléchir à soi et au monde. Parce que, à force d'avoir entendu évoquer le photographe, je l'avais reconnu sous le pseudonyme de Milan que lui donne Kauffmann dans son livre. Livre à la couverture illustrée, c'était une évidence, par une vue de la Marne, en amont de Joinville-en-Vallage, signée Gérard Rondeau. Et voici deux passages de cet ouvrage, extraits des chapitres 26 et 27, qui font un beau portrait du portraitiste (même s'il était loin de se limiter au portrait).
Milan est photographe. L’acuité de son regard est certainement prédatrice – comment être photographe si l’on n’a pas l’instinct de chasse ? Mon ami pourrait se rendre maître par la séduction ou l’effet de surprise, empêcher la proie de résister afin qu’elle se rende ; il est bien plus subtil. Il ne montre pas son appareil, si bien que ses futures prises ne voient rien venir. Il lui faut cette dessaisie par quoi la victime consent sans tout à fait capituler. Surtout pas une reddition qui donnerait un portrait sans vie. En une fraction de seconde, il a extrait de sa veste un minuscule boîtier cabossé. Il a armé, visé et aussitôt rengainé. On n’y a vu que du feu. Sur la Marne, c’est lui qui a fait mon éducation. Nous nous sommes donné rendez-vous sur le pont de Dormans.
Dans son nid d’aigle, Milan a créé un savant désordre qui tient du cabinet de curiosités. Livres, tableaux, objets sont entassés, cramponnés aux murs, empilés sur des tables, rapetissant peu à peu l’espace disponible. Pour circuler, il faut slalomer à travers d’étroits passages, contourner des haies de recueils de poésie, des massifs d’albums, enjamber des casiers, des tablettes surmontées de photos. Le foisonnement de ces trésors est en extension constante. Quand il n’y a vraiment plus de place, Milan ouvre une pièce nouvelle de sa grande demeure. Il n’est pas animé par la jouissance du collectionneur, plutôt par un goût de la présence et de la connaissance. Avant d’aller photographier un écrivain, un artiste, une célébrité, il a tout lu de lui. Rien n’est laissé au hasard. Il s’imprègne, cherchant le fameux « motif secret » d’une existence ou d’une œuvre cher à Henry James. Ses tirages sont recherchés par les collectionneurs. Aucun marchandage.

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