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Le noir dans l'Histoire

Publié le 19 septembre 2016 par Vindex @BloggActualite
On dit souvent que le noir (tout comme le blanc) n'est pas une couleur. Cela découle d'une vision purement scientifique de la couleur, or cette vision n'est pas la plus ancienne et n'est pas non plus nécessaire pour voir les couleurs, les représenter et les comprendre. A ce titre donc, l'auteur Michel Pastoureau répare dès le début une erreur : le noir est bel et bien une couleur dès lors qu'elle fut perçue, utilisée, signifiante, dès le début de l'histoire de l'Humanité. Le noir porte en lui une symbolique variée et changeante, oscillant au grès des périodes entre mise en avant et recul. Ne laissant jamais indifférente, elle fut dès le départ importante dans les sociétés, et souvent ambivalente. Voyons comment la couleur noire et sa perception incarnent bien les mouvements pendulaires des modes, des mentalités et des sensibilités. 
Le noir dans l'Histoire

La nuit des temps


On peut utiliser cette expression très commode pour le noir pour la simple et bonne raison suivante : le noir est la première des couleurs. En effet, dans la Bible comme dans les mythologies, le noir, couleur des ténèbres, a précédé les autres couleurs par le fait même qu'elle était présente en raison du vide que se représentent les sociétés antiques (et même nos sociétés) avant toute Création. Et c'est la création même de la Lumière par Dieu (dans la Bible) qui fit émerger son contraire, donnant d'emblée au noir un statut négatif, contraire à la vie. 
Mais si la signification première est inquiétante, le noir ne tarde pas à devenir une couleur "polysémique", en particulier dans la mythologie Egyptienne. En effet, le noir symbolise le limon déposé par le Nil et donnant toute sa fertilité à sa vallée. Chez les Egyptiens, les divinités associées à la fertilité sont ainsi souvent représentées avec la peau noire. Cette symbolique se retrouve d'ailleurs chez les savants grecs qui associent aux 4 éléments une couleur : le rouge pour le feu, le vert pour l'eau, le blanc pour l'air et le noir pour la terre. C'est par exemple le cas chez Aristote et cette conception resta tenace, puisque très répandue jusqu'au milieu du Moyen-Age. 
Ce côté "fertile" du noir est confirmée dans la Rome Antique où le noir est la couleur des artisans producteurs. Elle s'inscrit dans la tri-fonctionnalité de cette société, qui se poursuivit pendant tout le Moyen-Age et l'ancien régime dans l'Occident Chrétien, où le blanc est la couleur des prêtres (oratores) et le rouge la couleur des guerriers (bellatores). Cet héritage indo-européen n'a toutefois pas perduré dans le système chromatique qui a connu une recomposition pendant le milieu du Moyen-Age avec l'avènement puis le triomphe du Bleu. 
Revenons à l'inquiétude que provoque le noir. Elle prend son origine dans la peur du noir chez l'homme qui est un animal diurne. Le noir est source de danger, de cauchemar, de monstres et d'inconnu. Mais ce noir fut maîtrisé vers 500 000 ans avant notre ère avec la maîtrise du feu qui permit à l'Homme non seulement de repousser le noir et l'ombre, mais également de le créer par combustion et donc création de pigments à partir de charbon, d'os, d'ivoire... Ce sont ces noirs qui servirent à l'art pariétal. La multiplication des pigments ne cessa de se renforcer avec les civilisations méditerranéennes (Egypte, Proche-Orient, Grèce, Rome), permettant une multiplication des tons de noirs. Il reste cependant très longtemps difficile d'obtenir des noirs profonds et résistants en teinture, art où le rouge était bien mieux maîtrisé. 
Les premiers âge du noir ont donc fait de cette couleur a priori négative et inquiétante une couleur aux significations et usages multiples. Le diversité des tons et des perceptions est visible dans le lexique employé pour le désigner. En effet, si le rouge dispose d'un seul mot pour le désigner, et si le bleu n'en a pas, le noir (comme le blanc d'ailleurs) dispose dans de nombreuses langues anciennes de deux termes pour être désigné. On distingue en effet le noir mat et le noir brillant, le premier étant inquiétant quand le second endosse plus le côté positif et fertile vu auparavant :
-Latin : ater (noir mat) ou niger (noir brillant).
-Haut allemand : swarz (noir mat) ou blach (noir brillant).
-Haut anglais : swart (noir mat) ou blaek (noir brillant).
Dès les origines enfin, le noir symbolise la mort. A l'époque de l'Egypte Pharaonique, c'est la déjà la couleur des rites funéraires, mais pour une raison positive : c'est la promesse de la renaissance. Le noir est également synonyme de péché dès la Bible et la couleur de l'Enfer aussi bien chez les Romains, les Grecs et les premiers chrétiens. La Rome impériale fut d'ailleurs une période de renforcement de l'association du noir à la mort par les débuts du deuil vestimentaire, non seulement le jour des funérailles, mais les temps suivants aussi. Le noir n'est cependant pas la seule couleur usitée, toute couleur sombre pouvant faire l'affaire (gris, brun ou bleu). 
Pour autant, malgré une vision dépréciée du noir, le début du Moyen-Age dû composer avec. D'une part parce que les peuples européens de l'antiquité et des débuts du Moyen-Age (Germains, Scandinaves) ne sont pas complètement convertis et accordent une place importante au noir, couleur du corbeau qui est une animal particulièrement important dès l'Antiquité (y compris chez les Romains d'ailleurs). Ensuite parce qu'il est lui-même une couleur intégrée dans le système noir-blanc-rouge encore inscrit dans les mentalités. C'est donc logiquement que le Christianisme lui accorde une signification plus mesurée : en plus d'être la couleur de l'Enfer et du péché, elle devient aussi la couleur de l'humilité, de la tempérance et de la pénitence, en témoignent les habits monastiques des Bénédictins ou la couleur liturgique de l'Avent et de Carême. Les débuts du Moyen-Age font qui plus est du noir un contraire de plus en plus affirmé du blanc, contrairement à ce qui est le cas dans les mondes plus orientaux, où il est le contraire du rouge. Ceci est visible notamment dans les jeux d'échecs ou les noirs affrontent les blancs en Occident, quand les noirs affrontent les rouges en Orient (Inde, Monde musulman). C'est donc plus le contraste noir/blanc, synonyme de dissimulation et de mensonge, qui est mal vu, que le noir lui-même. 


L'âge sombre du noir


Si le noir avait un sens ambivalent durant toute l'antiquité et les premiers siècles du Moyen-Age, tel ne fut plus le cas avec le Moyen-Age dit "classique", qui représente (comme pour la couleur bleue) un tournant. Le noir entre en effet dans la palette du diable pour quelques siècles.
L'on retient en effet à cette époque essentiellement le "mauvais noir", celui qui symbolise le péché, la souffrance, la terreur et l'obscurité. Bien que la Bible y soit pour quelque chose, ce n'est pas tant les paléochrétiens qui l'ont érigé en couleur du mal que les Pères de l'Eglise. L'image du diable et de l'Enfer, déjà présente dans le Nouveau Testament, connut en effet un développement et les traits de Satan (bien que ce nom soit moins utilisé que le mot "diable") se précisèrent. L'art Roman donna également une impulsion particulière à cette iconographie pessimiste au travers des scènes de Jugement Dernier de plus en plus représentées sur le tympan des Eglises. Noir et rouge, le Diable est la créature qui entraîne cette profonde aversion pour le noir. Mais elle entraîne avec elle d'autres qui par la même occasion étaient des créatures vénérées par les religions païennes : le corbeau, l'ours et le sanglier gagnent une réputation des plus déplorables en étant associés à la couleur noir par leur pelage ou leur plumage, mais également pour les deux derniers à leur habitat obscur ou profond. 
Dans son sillage, le noir entraîne avec lui toutes les teintes sombres des autres couleurs, y compris le bleu qui commence sa percée seulement au XIIème siècle. Le diable a donc même été représenté en bleu ou en vert : c'était cohérent avec la vision de l'époque dès lors que les teintes utilisées étaient sombres. 
Le "bon noir" fut donc un temps oublié, mais c'était sans compter l'intense réflexion sur la couleur qui scinda les ecclésiastiques en deux entre tenants de la couleur comme lumière, et donc d'essence divine, et les tenants de la couleur comme matière, et donc d'essence non divine. Les premiers, incarnés par Pierre le Vénérable et les Clunisiens, sont chromophiles, tandis que les seconds, moins nombreux, sont représentés par Bernard de Clairvaux et son ordre cistercien. Aucun de ces ordres n'est vraiment favorable au noir en tant que telle mais les premiers restèrent fidèles au noir pénitent de leur tenue quand les seconds intériorisèrent son assimilation au Diable et au péché et firent le choix d'une tenue non teintée (donc grisâtre) puis blanche (plus ou moins), par pur esprit d'opposition au luxe Clunisien. A ce sujet, les débats et échanges épistolaires furent extrêmement tendus sans pour autant permettre une résolution de la question, mais ils entraînèrent un renforcement du contraste noir-blanc dans des mentalités autrefois plus habituées au contraire blanc-rouge. 
La fin du Moyen-Age permet au noir de sortir peu à peu de son caractère exclusivement négatif, en même temps que le bleu se fait une place dans un système chromatique nouveau. Les armoiries en furent le tremplin bien que le noir fut peu à peu supplanté par le bleu. Dans l'héraldique, le noir est désigné par le mot "sable". On peut déjà voir dans ce mot un qualificatif mélioratif : celui-ci vient des langues slaves pour désigner la fourrure de la martre zibeline, d'un noir profond et cher, et qui fut commercialisé principalement de Russie et de Pologne vers l'Occident. Présente dans les six couleurs de l'héraldique, le noir en profita pour conserver sa place de couleur, sans être ni la plus visible, ni la plus rare du les blasons (environ 15 à 20 pour cent l'utilisent). Sa revalorisation est visible par le fait même qu'elle apparaisse sur les armoiries du Saint Empire Romain Germanique à partir du milieu du XIIème siècle (d'or à l'aigle de sable). Le noir est également présent dans les codes de la chevalerie : un chevalier noir dans la littérature médiévale représente souvent un chevalier voulant masquer son identité sans être forcément mauvais, ce qui n'est pas le cas du chevalier rouge. Le noir n'est pas pour autant débarrassé de ses significations précédentes, mais se pare d'une nouvelle : le secret, l'incognito. Le noir est dans un court entre-deux qui prépare son retour. 

De retour des ténèbres

La fin du Moyen-Age est une période de renouveau pour la couleur noire. Les profonds troubles et les mutations connues à partir du XIVème siècle auraient pu laisser penser que le noir continuerait d'être associé à la mort, l'angoisse et les ténèbres. Si la couleur ne perdit pas totalement ces significations, elle poursuivit néanmoins sa reconquête de significations plus positives et d'une place sociale plus prestigieuse. Un des phénomènes historiques responsables de ce regain est les lois somptuaires, déjà évoquées dans l'histoire du Bleu. En effet, la fin du Moyen-Age connut dans l'Occident un ensemble de décisions, variables selon les territoires, qui avaient pour objectif de limiter l'usage de certaines matières prestigieuses dans les usages vestimentaires du fait de leur fort coût (en particulier certaines teintes de bleu ou de rouge). Ces lois furent également l'occasion d'une ségrégation par le vêtement, chaque catégorie de la population devant se limiter à certaines couleurs. Dans ce contexte, le noir connu une ascension grâce à une catégorie principalement : le patriciat urbain (la bourgeoisie). En effet, voulant contourner ces lois, ils demandèrent aux teinturiers toujours plus de profondeur et de densité pour s'habiller en noir, ce que les teinturiers du bleu réussirent progressivement. Ainsi les différentes catégories de la bourgeoisie, des universitaires aux juristes en passant par les riches marchands, permirent à la couleur noire de gagner en dignité tout en respectant les interdits et obligations vestimentaires. Le noir devint synonyme de dignité, de tempérance et de vertu, d'austérité. Plus tard, ce sont même les membres les plus éminents de la noblesse qui suivent ce mouvement en développant un goût particulier pour le noir : les ducs Italiens (Milan, Urbino,...), la cours de Charles VI en France, Richard II d'Angleterre, Jean Sans Peur et son fils Philippe le Bon pour la Bourgogne, les Habsbourg en Espagne.
La fin du Moyen-Age permit aussi au noir de devenir plus positif du point de vue de la couleur de peau. En effet, pendant très longtemps, les peaux sombres et noires furent associées aux ennemis, synonymes de tous les traits de caractère négatifs. Cependant, plusieurs exemples montrent que ces jugements s'atténuent avec les XIIIème et le XIVème siècles, puisque des personnages de la vie religieuse sont désormais représentés avec une peau sombre, sans perdre leur côté positif. C'est notamment le cas du Prêtre Jean, ce chrétien africain que cherchent les occidentaux. C'est aussi le cas de la Reine de Saba et du roi mage Balthazar, dont l'africanité est désormais mise en valeur par sa peau sombre. Saint Maurice également devient l'archétype de l'Africain Chrétien, ce qui est loin d'être anodin tant son prestige est grand (il est en effet le saint patron des teinturiers et des chevaliers). Tous ces exemples sont également liés à la vocation universaliste de la Chrétienté.
La forte percée du noir que nous avons pu voir a également été l'occasion d'une mise en avant temporaire de deux autres couleurs : le violet et le gris. Autrefois des "sous-noirs" peu valorisés, ces couleurs gagnèrent en beauté grâce aux progrès des teinturiers. Le violet revint d'ailleurs à des tons plus rouges et pourpres, rappelant son ancienne symbolique antique. Le gris devient quant à lui plus lumineux et uni, devenant ainsi la couleur de l'espoir avant de redevenir discret dès le début de l'époque moderne.


Affirmation et exclusion


On l'a vu précédemment le noir redevint une couleur qui compte à l'occasion de la fin du Moyen-Age. L'époque moderne confirma cette place tout en préparant l'exclusion du noir de l'ordre des couleurs. Plusieurs phénomènes historiques ont favorisé cette évolution contrastée du noir jusqu'au XVIIème siècle. 
Tout d'abord, si la fin du Moyen-Age mit en avant le noir, la transition de la Renaissance et de la Réforme a confirmé l'importance du noir. En effet, l'imprimerie permit l'avènement d'un monde en noir et blanc symbolisé par deux supports : le livre imprimée et l'image gravée. Deux supports que l'Humanisme et la Réforme utilisèrent massivement. L'encre de plus en plus noire et les pages de livres toujours plus blanches augmentent le contraste et l'association de ces deux couleurs, prenant toujours plus la place des images et enluminures colorées du Moyen-Age. D'autant plus que ces supports issus de l'imprimerie étaient plus résistants que leurs prédécesseurs médiévaux. Ce manque de couleurs dans ces supports fut compensée par les hachures et textures codifiées pour représenter certaines couleurs, en particulier pour représenter l'héraldique. Faire de la couleur à partir de noir et de blanc participa donc à une lente évolution de la perception du noir et du blanc, de moins en moins considérés comme des couleurs (ce que certains peintres de la Renaissance affirmèrent les premiers). Néanmoins, ces systèmes ne furent jamais alignés dans tous les pays ni donc efficaces pour représenter la couleur. 
Le noir fut d'autant plus mis en avant en ces temps de Réforme Protestante : en effet, les réformateurs furent les continuateurs des "mouvements" pro-noir et chromophobes déjà observés pendant le Moyen-Age. Le noir et les couleurs sombres, synonymes d'humilité et de pénitence, sont les seules acceptées et devinrent les couleurs de référence au moins jusqu'au XIXème siècle pour la garde-robe de toutes les classes sociales. Cela ne fut guère différent pour les catholiques, car même si par l'Art Baroque, la Contre-Réforme remit à l'honneur les couleurs (notamment vives) et le contraste, il en fut autrement pour les vêtements où tous les chrétiens se rejoignent. Le noir prit également définitivement la connotation du deuil alors que d'autres couleurs sombres voire même le rouge ou le blanc, étaient auparavant utilisées. 
Le XVIIème siècle fut celui du grand écart pour le noir. Certes, cette couleur "va au teint" de ce siècle sombre, pessimiste et difficile où les populations sont angoissées, superstitieuses et malheureuses. Mais le noir reprend une connotation négative en étant systématiquement associés aux procès en sorcellerie, aux malédictions, au diable. C'est à cette époque que les animaux noirs sont les plus craints et de là naissent certaines de nos superstitions actuelles (chat noir, corbeau...). Le sombre est confirmé dans les gardes-robe (représentant la majorité des habits selon les inventaires après décès) comme dans les pièces, décorations...
Bien que très utilisé, visible et signifiant, le noir tombe toutefois dans un nouveau statut : celui de non couleur. Ce sont les nouvelles conceptions scientifiques qui entraînent un tel changement. Le classement des couleurs évolue avec François d'Aguilon ou encore Robert Fludd. Mais ce sont surtout les observations de l'arc en ciel qui bouleversent l'ordre des couleurs et celles-ci sont unanimes : le noir n'y est jamais présent, ce que confirma d'ailleurs Isaac Newton en définissant le spectre des couleurs comme la décomposition de la couleur blanche. De là vinrent les couleurs "primaires" et "secondaires", différentes de ce qu'entendaient par ces expressions les peintres. De ces couleurs, le noir et le blanc sont exclus, et plus encore le noir, n'étant pas concerné par ces observations, au contraire de son opposé.


Les noirs


La fin du livre décrit sur environ trois siècles ce qu'a déjà connu le noir pendant tout son passé : une oscillation entre le négatif et le positif, le présent et l'absent. Le noir revêt alors des significations toujours plus variées et vogue entre le devant et l'arrière de la scène des couleurs au grès des modes, événements et phénomènes historiques. Le XVIIIème siècle est d'abord une période de léger retrait du noir. En effet, il semblerait que les découvertes de Newton aient permis un pas décisif vers la victoire du camp des "couleurs" dans le débat entre couleur et dessin chez les peintres. Le fait de pouvoir maîtriser la couleur scientifiquement la rend plus compatible avec la raison, moins émotionnelle, séductrice et mensongère. Trois couleurs prennent le pas sur les autres : le rouge, le bleu et le jaune. Le siècle des Lumières  ne peut qu'être celui des couleurs par rapport au noir. Les tons foncés reculent au profit des tons clairs, colorés, exotiques et pastels : bleus, roses, jaunes, gris, au moins pour les classes aisées. Le blanc de la dentelle s'affirme aussi, tout comme le vert et l'idée de mélange chromatique. Le noir recule donc au profit d'une grande diversité de couleurs claires. Cela s'observe également dans les arts (les courants baroque et rococo) ainsi que dans le théâtre où le noir est abandonné. C'est même à cette époque que, dans la vie agricole, les porcs deviennent roses par croisement avec des races asiatiques. 
La Révolution Française met cependant un terme au recul du noir. L'exotisme en lien avec la colonisation et l'esclavage entraîne un changement de nom : ceux-ci ne sont plus nommés "Maures" mais "Nègres" ou "Noirs". L'homme noir apparaît plus en littérature sans pour autant que cela n'améliore sa condition sociale, l'esclavagisme restant majoritaire. Le noir gagne aussi du prestige avec le Romantisme. Alors que celui met en valeur le jaune et le bleu dans un premier temps, notamment avec Goethe et Novalis, il permet ensuite au XIXème siècle un retour du noir, qui s'allie mieux aux émotions sombres et aux héros instables et angoissés du romantisme. La mort est en effet très présente à l'esprit de ces héros et les romans "Gothiques" anglais s'imprègnent de noir. Interviennent aussi dans ces romans des personnages et thèmes habituels du noir : sorcières, diable, fantastique, cimetière... 
Si le XIXème siècle est aussi la couleur du noir, c'est également que l'industrialisation en est l'emblème. En effet, avec le charbon, le pétrole, le chemin de fer, le bitume, l'acier... les paysages urbains deviennent de plus en plus sombres. Le monde souterrain se développe (métro, mines) et les peaux autrefois cuivrées des paysans se noircissent ou deviennent grisonnantes pour les ouvriers (ce qui explique le développement du bronzage pour s'en démarquer). Le noir est également toujours plus dominateur dans la société capitaliste, cette couleur incarnant l'autorité, le sérieux et le travail. Elle reste d'ailleurs la couleur des uniformes jusqu'aux années 1920. Les premiers objets de consommation s'inscrivent dans des tons sombres dont le noir fait partie. Michel Pastoureau y voit la marque de l'éthique protestante, majoritaire dans le capitalisme de l'époque. 
Si les peintres impressionnistes tentent de faire reculer cette mode en imposant le contraste et la couleur, cela ne suffira pas à empêcher la constitution d'un monde en noir et blanc dans lequel la photographie se fait le relais de la gravure, si bien que les photographies en couleur, bien qu'existantes à partir des années 1950, n'incarnent pas autant la vérité et l'exactitude que le noir et blanc. Il en est de même pour le cinéma, dont l'esthétique fut longtemps liée au noir, couleur moderne et vraie. Le procédé Technicolor, bien qu'existant déjà vers 1915, fut loin de faire l'unanimité avant la deuxième partie du XXème siècle, notamment parmi les cinéphiles. On peut encore lier cela à la moralité, la couleur incarnant la frivolité et l'indécence. Quant à la mode et au luxe, ils firent du noir leur couleur phare, incarnant l'élégance et la créativité, comme avec Coco Chanel et sa "Petite robe noire" en 1926. 
On le voit, le XIXème et le début du XXème siècle sont dominés par le noir, couleur omniprésente de l'establishment. Le paradoxe est qu'elle est également la couleur des rebelles, des blousons noirs aux Black Panthers en passant par les pirates et anarchistes. Mais cette couleur est également reprises par des mouvements conservateurs voire réactionnaires : l'Eglise, le fascisme, la SS... Au final, le noir perd petit à petit son caractère transgressif mais également sa domination, les couleurs redevenant plus nombreuses depuis plusieurs décennies et lui disputant même l'incarnation de l'autorité. Tout cela est sans doute le signe que le noir a fini par se stabiliser, devenant ainsi une couleur moyenne, une couleur comme les autres. 
Vin DEX

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