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14-18, Albert Londres : «Salonique n’est plus à Salonique»

Par Pmalgachie @pmalgachie

14-18, Albert Londres : «Salonique n’est plus à Salonique»
L’armée de Sarrail à 150 kilomètres en avant
(De notre envoyé spécial.) Salonique, 22 septembre. Salonique n’est plus à Salonique. Autrefois, pour désigner l’armée d’Orient, on coupait court en disant : « Salonique ». C’est que c’était vrai. Dans les rues nauséabondes de la ville des fièvres, des uniformes grouillaient. L’armée était bien à sa place, mais elle semblait avoir une délégation permanente dans la ville. C’était parce qu’on ne se battait pas encore et qu’on ne pouvait pas encore se battre. Aujourd’hui, transfiguration. Salonique est vidée. C’est à ne plus la reconnaître. Elle vous fait froid au cœur. Vous croyez tout à coup que vous êtes tout seul dans un mauvais pays. Où, jadis, la foule se pressait, vous n’apercevez plus que quelques gens. Ils suffisent cependant à vous faire faire un grand tour dans le monde. Là c’est un Russe ; plus loin des Italiens et plus loin des Serbes et des Français, Anglais et des Grecs au brassard bleu et blanc, des Révolutionnaires, et des Sénégalais et des Malgaches. Car, ouvrez toujours votre imagination sur l’armée d’Orient et sachez que des hommes sont venus de Tananarive, de Dakar, de Vladivostok, de Paris et de Belgrade pour prendre Florina, de Rome pour attaquer les monts Belès, de Londres pour franchir la Strouma sans compter ceux venus de Cavalla pour se révolter. Ils sont déjà habitués les uns aux autres ; ils ne s’intéressent plus mutuellement ; ils se croisent sans se regarder ; les émotions ne sont pas éternelles. Ils ont l’air de passer dans la ville en échantillons de ce qui compose l’armée. Ils sont comme en vitrine ; ils ne meublent pas. Salonique est au feu. Ne demandez plus vos amis ; n’allez plus frapper aux portes ; ne comptez plus dîner à telle popote. Salonique est au feu. Désigner maintenant l’armée d’Orient par le nom de Salonique, c’est, par comparaison, comme si l’armée de Verdun portait celui de Paris. Salonique est, en réalité, à plus de 150 kilomètres de Salonique. Elle est là-bas l’interrogation, là où, pour avoir Florina, il a fallu, en un endroit, masser plus de cent canons, là où on attelle tantôt vingt chevaux, tantôt vingt bœufs pour hisser une pièce sur les crêtes sauvages. Les Alliés menacent Monastir Elle est sur la Strouma et au pied du Bélès. Elle est surtout autour de Monastir. Car, ce n’est pas un secret d’armée que c’est sur Monastir que l’on fonce et les espoirs sont grands parce que les courages le sont. Les Serbes, des crêtes du Kaïmakalan, marchent de flanc. D’un côté nous n’en sommes à plus de 15 kilomètres, de l’autre pas à 25. L’affaire sera plus rouge que rose. Les Bulgares nous attendent ; ils nous ont réservé leur réception à Kenale ; ils seront polis ; ils seront en nombre. Une des révélations de ce dernier mois, c’est leur quantité. Nous les avons tâtés partout et partout nous les avons trouvés serrés. Les plus optimistes disaient que leur armée était de 400 000 hommes. Après ces sondages, mettons 500 000. C’est le chiffre que donnent les Anglais et les Anglais sont gens raisonnables. Ils ont aussi des canons, mais le nombre de ces canons ne paraît guère embarrasser ceux qui les attaquent. Les Serbes, eux, ne veulent rien regarder de tout ça ; ce qu’ils regardent depuis hier, du sommet du Kaïmakalan, c’est Monastir. On a voulu leur reprendre la montagne, on n’a pas insisté. Ils se sentent comme en 1914, à Roudnik, alors qu’ils brossèrent les Autrichiens. Ils disent qu’ils sont redevenus enragés. Voilà où est, à cette heure, Salonique et ce qu’elle fait. Quant à l’autre, quant à la ville, elle n’est plus qu’un quai pour débarquement, qu’un port pour bateaux, hôpitaux, et qu’une provenance pour dépêches de journaux.
Le Petit Journal, 23 septembre 1916.
14-18, Albert Londres : «Salonique n’est plus à Salonique» La Bibliothèque malgache édite une collection numérique "Bibliothèque 1914-1918". Au catalogue, pour l'instant, les 16 premiers volumes (d'une série de 17) du Journal d'un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914, par Georges Ohnet (1,99 € le volume). Une présentation, à lire ici. Et le récit, par Isabelle Rimbaud, des deux premiers mois de la Grande Guerre, Dans les remous de la bataille (1,99 €).

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