« J’ai seize ans lorsque ma mère se glisse hors de sa peau par un après-midi glacé de janvier – elle devient un être pur et désincarné, entouré d’atomes brillants comme de microscopiques éclats de diamants, accompagné, peut-être, par le tintement d’une cloche, ou par quelques notes claires de flûte dans le lointain – et disparaît. » (incipit).
Fascinant et repoussant. Ce sont les deux mots qui me viennent à l’esprit pour qualifier ce roman de Laura Kasischke. Fascinant car l’auteur excelle à tisser des relations complexes et opaques dans un noyau familial restreint (le père, la mère, la fille, comme dans Esprit d’hiver). Parce que Kasischke sait user avec une habileté très maîtrisée de l’analepse, cette façon de revenir constamment en arrière à partir d’un événement donné, d’enrouler le temps comme sur un écheveau, par le biais de digressions toutes sauf innocentes, et de faire miroiter le passé au regard du présent. Cet événement clé, c’est la disparition de la mère de Kat, 16 ans, sans laisser de traces. C’est comme si cette mère au foyer névrosée, très « desperate housewife », disparaissait dans le néant. Peu à peu on se rend compte que sa vie frôlait déjà le néant, entre ses aspirations exigeantes, son mari insignifiant, et sa fille pas à la hauteur, dans une banlieue anonyme comme l’Amérique nous en produit tant. La situation ressemble tellement à un cliché au départ, que le lecteur est comme anesthésié. Comme Katrina, qui elle-même ne se pose pas plus de questions que ça sur la disparition de sa mère. Comme si la vie de cette Eve Connors, sorte de « reine des neiges » moderne, s’était effacée de la pellicule photo.
Mais j’ai aussi employé le terme « repoussant ». Laura Kasiscke sait d’emblée instaurer le malaise, à coup de métaphores animales, d’images très crues, avec une certaine complaisance envers tout ce qui relève de la pourriture, de la décomposition, du suintant. Elle est la reine des comparaisons, presque trop. A force, la lectrice que je suis a saturé de ce trop-plein d’évocations sensorielles. Comme une vague envie de vomir.
Si la couleur qui domine est le blanc, symbole de la glace, et donc du degré de « chaleur » qui préside aux relations au sein de la famille Connors, il m’a semblé que le noir profond était le verso de cette histoire : obscurité de l’espace intime, du non-dit, de l’enfoui, de l’inconscient, aveuglement volontaire côtoyant l’aveuglement réel de la voisine…
J’ai admiré la virtuosité de cette anamnèse psychologique de la jeune Kat que l’on suit jusqu’à ses 20 ans. Laura Kasischke démontre à quel point elle sait emmener le lecteur exactement là où elle veut. Je l’ai trouvé moins littérairement abouti qu’Esprit d’hiver, le quart final m’a semblé un peu bâclé, même si la chute est mythique. Mais ce n’est clairement pas un livre « sympathique »…
« Un oiseau blanc dans le blizzard » de Laura Kasischke, Christian Bourgois Éditeur / Le Livre de Poche, 2012 (1e éd. 2000), 305 p.
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