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"Nos ancêtres les gaulois" : oui et ?

Publié le 30 septembre 2016 par Vindex @BloggActualite
Bonjour à tous,
Alors que la campagne présidentielle se précise et que les cadors s'échauffent, Nicolas Sarkozy, en mode "retour" nous a gratifié d'une des formules dont il a le secret et qui n'a pas manqué de faire polémique. Bien entendu, cet effet est recherché : la recherche des électeurs du Front National et sa différenciation par rapport aux autres candidats de son parti en sont l'origine. Mais voyons voir si cette phrase, bien qu'ayant un passé lourd et connoté, est fausse. 
Le terme "ancêtre" désigne dans son sens le plus courant la filiation d'une personne ou d'une famille, les personnes ayant engendré. Dans un sens plus large, il désigne l'idée de précéder, sans forcément signifier de lien particulier. Mais il n'est pas possible non plus d'oublier que le terme ancêtre prend un autre sens dans la phrase reprise par notre ancien président : "nos ancêtres les gaulois", c'est presque le résumé à lui seul du Roman National, c'est à dire l'histoire telle qu'on l'enseignait aux élèves de l'école primaire sous la IIIème République (avec le manuel "Petit Lavisse" ou encore "Le Tour de la France par deux enfants"). Cette vision pédagogique de l'histoire utilisait et mythifiait les Gaulois, perçus comme des ancêtres culturellement, quand les Allemands étaient associés à la barbarie des Germains. Bien évidemment, il s'agissait d'entretenir la rivalité avec l'Allemagne qui avaient annexé en 1870-71 l'Alsace et la Moselle que la France souhaitait bien sûr récupérer. 
C'est de ces significations que nous allons discuter, pour essayer de démêler le vrai du faux dans une question plus complexe qu'il n'y paraît, avant de discuter de ce que cela implique pour le thème de l'identité. 

Nos arrières, arrières, arrières... grands parents ? 


Comme nous le disions avant, l'idée d'ancêtre implique dans son premier sens une idée de filiation biologique, comme celle que nous connaissons dans une famille. Il s'agit donc de vérifier la plausibilité et l'ampleur de la filiation entre nous et les gaulois pour savoir s'ils sont nos ancêtres. Bien évidemment, une telle étude est ardue. Parmi les historiens, Jacques Dupâquier a notamment écrit une Histoire de la population française. Nous pouvons essayer de retracer l'histoire démographique et ethnique de la France pour démêler le vrai du faux. 
Les premières populations d'Homo Sapiens sont arrivée en France vers 40 000 avant JC. Elle représentaient environ 14 000 habitants en 17 000 avant JC : ce peuplement initial est bien évidemment très peu dense. Mais cette population initiale connut un véritable essor vers 6 000 avant JC et celle-ci augmenta rapidement. Ainsi, les estimations laissent penser que la France actuelle serait déjà peuplée de 500 000 habitants en 5 000 avant JC, et même d'1 millions d'habitants vers le IIIème millénaire avant JC. Dans son célèbre L'Identité de la France, Fernand Braudel parle même de 5 millions d'habitants vers 1 800 avant JC, si bien qu'il estime que cette masse de population est le socle démographique sur lequel se base la population française jusqu'à nos jours. 
Une telle présence implique donc la constitution de systèmes agricoles, de paysages témoignant d'un espace tenu et occupé. Ces populations forment un socle préhistorique puis protohistorique même si elles sont bien sûr désunies, se distinguant principalement par leurs productions en céramique. Avec le temps, certaines de ces populations en sont arrivées à former des ethnies basées sur une culture et une langue particulières. On peut notamment évoquer les proto-Basques au sud-ouest de la France et en Espagne, ainsi que les Ligures. Ces deux ethnies ont la particularité d'être des populations non indo-européennes (même si la question est encore débattue pour les Ligures) et semblent être les plus anciens groupes ethniques autochtones. La langue basque (malgré ses évolutions bien sûr) est donc à ce titre l'une des plus anciennes langues parlées en Europe. 
A ce socle, se sont bien sûr ajoutés des apports successifs. Le premier important et celui des Indo-Européens, en particulier de populations proto-Celtes vers le IIème et Ier millénaire avant JC. Ces premiers apports ne sont en rien significatifs par rapport à la masse de population déjà présente et ne font qu'arriver par petites vagues. Ils acculturent toutefois le fond néolithique. Ces arrivées sont complétées par d'autres vers 500 avant JC pour rejoindre les précédentes. C'est cette civilisation qui sera au coeur de l'essor du second Âge du Fer (la Tène). Jacques Dupâquier l'explique ainsi : 
« Il y a lieu de penser que le total des guerriers qui, en cinq siècles, sont entrés en Gaule, n’a pas dû dépasser 200 000 ou 300 000, c’est-à-dire qu’à la suite de la conquête, l’élément gaulois représentait probablement moins de 10 % de la population ! Mais 10 % qui comptaient, puisqu’ils ont réussi à imposer au vieux fond indigène de la population française la langue, les mœurs, la domination sociale et politique. Au milieu du iiie siècle av. J.-C., arrivent les Belges. Ce ne sont pas des Germains, comme on se l’était imaginé, mais une nouvelle vague celtique, qui débouche par le nord, avec des conséquences absolument redoutables : un grand dérangement de la population gauloise de la mer du Nord aux Pyrénées, et l’installation d’une ethnie relativement différente au nord de la Seine et de la Somme. Puis, vers 120 av. J.-C., les Romains occupent la Narbonnaise : là aussi, les colons romains ne seront jamais que très minoritaires. En fait, cette immense transformation, cette acculturation de notre pays par les Gaulois, puis par les Romains n’a pas de base réellement démographique, c’est toujours le vieux fond ethnique issu du néolithique qui domine. »
A ces apports s'ajoutent des Ibères et Phéniciens, mais aussi des Grecs ayant constitué des colonies comme ce fut le cas de Massalia (l'actuelle Marseille). Il ne furent pas non plus assez nombreux pour constituer une nouvelle majorité même si à certains endroits, ils représentaient jusqu'à 10 pour cent de la population.
C'est après ces considérations que nous pouvons en arriver aux Gaulois. En effet, c'est là le coeur de notre sujet. La Gaule peut-être ici reprise dans son sens "bassement" géographique. C'est d'ailleurs ce sens qui est probablement le plus significatif et... sensé. En effet, les peuples Gaulois sont divers et variés et les Romains (dont Jules César) les incluaient dans un même ensemble par commodité géographique plus que par véritable description ethnographique.

La population gauloise fit l'objet de nombreuses estimations allant de 5 à 25 millions d'habitants. Fernand Braudel estime que le chiffre le plus cohérent est légèrement inférieur à 10 millions, ce qui concorderait avec les Grecs et Romains qui estiment à l'époque la population à 8 millions. En retenant ces chiffres ou même des estimations supérieures (12 à 15 millions), on peut dire que la Gaule est un monde prospère, mis en valeur et densément peuplée. Véritable "Chine de l'Europe", elle est même à l'origine d'émigrations. Il y a donc continuité d'un peuplement stable et dense dans cet espace. Il faut toutefois ajouter que la conquête romaine fit des dégâts : prêt d'un million de gaulois furent vendus ou tués. 
Les apports successifs, au regard de cette population importante, furent relativement dérisoires jusqu'au XXème siècle et son immigration régulière. En effet, la conquête romaine ne fut suivie d'une colonisation qu'en Gaule Narbonnaise, la Romanisation s'étant réalisée grâce à l'acculturation des élites gauloises avant tout. Même chose pour les "Invasions Barbares" qui portent bien mal leur nom : une bonne partie des populations ne firent que "passer" et seules trois s'installèrent plus durablement en constituant des royaumes : les Francs, les Wisigoths et les Burgondes. Les Francs ne furent que 50 à 100 000 selon Jacques Dupâquier : une minorité active qui prit le pouvoir par la guerre et installa ses élites sur les ruines des provinces romaines. Les Burgondes furent eux encore moins nombreux : 10 à 25 000, ce qui ne les empêcha pas de constituer un royaume à eux qui fut toutefois ensuite conquis par les Francs. Enfin les Wisigoths semblent être difficilement quantifiables et leur royaume fut également détruit, ce qui entraîné notamment l'émigration de certains d'entres-eux. A noter que ces barbares n'eurent aucun soucis à se romaniser et n'imposèrent pas leur culture avant plusieurs siècles, l'héritage gallo-romain et latin restant dominants jusqu'au VIIème siècle. Le latin reste la langue de l'écrit jusqu'au IXème siècle et on ne parle de Francie qu'à partir de la période Carolingienne, le mot Gaule ayant toujours été utilisé jusque là. L'héritage franc fut toutefois plus important ensuite d'autant qu'il fut l'objet de récupération voire d'identification. 
Parallèlement aux apports barbares, on ne saurait oublier les migrations Bretonnes, constituées de Celtes de l'ancienne province romaine "Britannia". Dès le IIIème siècle, les Romains ont en effet installé des contingents bretons en Armorique, mais le plus gros de ces populations se sont installées aux Vème et VIème siècles à la suite des invasions anglo-saxonnes en Bretagne insulaire. Ce sont ainsi 30 à 50 000 personnes qui se sont ajoutées aux 100 000 armoricains déjà présents, sans toutefois se mélanger avant le Xème siècle : cette non-assimilation pesa culturellement sur l'Armorique, "re-celtisée" et devenue progressivement la Bretagne que l'on reconnaît à son identité marquée et revendiquée. 
D'autres apports démographiques peuvent encore être signalés : l'apport Vascon qui compléta au sud-ouest les ancêtres des Basques actuels qui étaient déjà proches ethniquement (le mot "Vason" engendra d'ailleurs les mots "Basque" et "Gascogne") ; et l'apport anglo-scandinave avec les expéditions normandes de 790 à 930 puis de 980 à 1030. Bien que le chef Rollon gagna finalement le Comté de Rouen suite au traité de Saint Clair sur Epte de 940 (conclu avec Charles le Simple), il n'est pas sûr que ce peuplement eut été massif même si c'est assez difficile à quantifier. On peut constater que la toponymie normande existe mais les matériaux retrouvés par l'archéologie sont peu nombreux. Ces apports furent néanmoins les derniers importants à noter avant le XXème siècle et son immigration bien plus fournie. 
Au final, du point de vue du peuplement et si l'on calque approximativement le territoire Gaulois sur notre territoire actuel, on peut bel et bien dire que la population qui était nommée "Gaulois" forment une part substantielle de nos ancêtres et que cela concerne encore une part probablement importante des français actuels. La population à l'époque des Gaules étaient en effet importante et fut continue, assimilant des apports progressifs et mesurés qui eurent un impact souvent plus culturel que démographique. Néanmoins, on ne peut pas dire que tous les français ont des ancêtres gaulois et il ne faut pas oublier les autres ancêtres bien qu'ils furent moins nombreux. Si par ailleurs nos ancêtres seraient les gaulois, qu'on t-il vraiment laissé dans notre patrimoine culturel national ? 

Quel héritage culturel ?


Au-delà de l'aspect démographique, il est important de comprendre que l'expression "nos ancêtres les gaulois" est également chargée d'une dimension culturelle dans la filiation que certains historiens nous ont attribuée. Pourtant, l'inculture populaire assimile fréquemment les "Gaulois" à des peuples sans culture ni civilisation, et n'ayant connu ces joies qu'à partir de la romanisation. Avec tout le discernement qu'il est possible d'avoir, nous pouvons toutefois aisément rejeter cette vision. Pour certains historiens, c'est même précisément parce qu'ils étaient à un niveau de civilisation proche des romains que ces derniers ont eu une plus grande facilité à les conquérir et à les acculturer. 
Le mot "gaulois" est rappelons-le une désignation commode concernant des peuples nombreux et parfois assez différents, mais qui habitent un ensemble géographique défini par les romains : la Gaule. Trois ensembles coexistent : les Aquitains, les Celtes et les Belges. Ces ensembles sont eux mêmes divisés, chaque tribu étant indépendante, même si culturellement ils se rapprochent souvent par leur langue et les pratiques (en particulier les Celtes). Mais bien que partiellement divisés, les Gaulois étaient pour certains alliés dans des sortes de confédérations et alliance politiques. Par ailleurs, une assemblée annuelle des druides pouvait parfois régler les problèmes géopolitiques interne à la Gaule, ce qui laisse penser qu'un embryon de confédération et d'appartenance commune a existé. Les gaulois ont aussi laissé un héritage dans certains domaines. Ils préfigurèrent par exemple la centralité de la guerre dans la société qui trouva sa continuité dans l'Occident médiéval. Aussi, leur vie de cité n'avait pas grand  chose à envier à celle des Romains ou des Grecs : l'homme libre gaulois participe aux assemblées, vote, paye des impôts et fait son service militaire.
Les Gaulois nous ont également transmis notre paysage : ils étaient loin d'être les villageois à la chasse aux sangliers comme dans les albums de Goscinny et Uderzo. Ils vivaient largement d'une agriculture prospère et efficace grâce à un vrai savoir-faire technique, si bien que les provinces gauloises devinrent des greniers à blé de l'Empire. Bien entendu, les forêts en firent les frais, au grand dam d'Idéfix. Dans l'art du bois et de la métallurgie, les gaulois peuvent être honorés de quelques inventions comme le tonneau ou encore la cotte de mailles. 
Bien évidemment, il ne s'agit pas de faire des gaulois les préfigurateurs de la nation française, auquel cas nous céderions à l'anachronisme. Cependant, il ne faut pas négliger que des éléments de notre passé et même de notre présent leurs sont dus, comme certains toponymes et encore des mots de notre langue.

"Nos ancêtres les Gaulois" : oui, et ?



Venons-en au fin mot de l'histoire. Quand Nicolas Sarkozy utilise l'expression "Nos ancêtres sont Gaulois", il n'a pas complètement tort. mais il ne faut pas seulement acquiescer sans apporter quelques réserves. 
Tout d'abord peut-on résumer la culture, l'héritage de notre Nation au seul sentiment d'appartenance vis-à-vis de nos ancêtres ? Car si la patrie incarne bien le sentiment de communauté avec les pères, la nation est-elle avant tout un projet politique de vie en communauté et donc d'avenir. De même, la nation est une construction évolutive, plus que la patrie. N'oublions pas qui plus est que les Gaulois ont eux aussi des ancêtres, bien qu'ils aient formé une étape importante de l'histoire du territoire sur lequel nous vivons. On ne saurait par exemple oublier l'ancienneté de l'implantation des Basques. De même que les peuples venus moins nombreux et plus récemment ont eu plus d'importance dans la formation de notre culture actuelle. Enfin, n'est-il pas opportuniste de se réclamer des gaulois pour rappeler l'importance de l'assimilation avant de se rattraper comme on peut lorsque la polémique devient gênante ? 
Il faut également éviter l'autre écueil : celui de se crisper ou d'assimiler cette expression à une vision trop réactionnaire de l'histoire et de la nation. Car si certains l'utilisent encore dans un sens dépassé et mythifié, on ne peut en exclure sa vérité partielle, démographiquement comme culturellement. Si l'immigration qui date du XXème siècle est devenue régulière, il n'en fut pas de même pendant toute l'histoire démographique française où les diverses invasions et conflits ne donnèrent lieu qu'à des implantations minoritaires au regard d'une population déjà conséquente. Il faut donc garder le sens des proportions et ne pas sur-relativiser ce qui n'a pas lieu d'être, surtout que cette expression n'exclut pas d'emblée les autres ancêtres que nous possédons aux. 
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Le Parisien
« Comptes rendus », Revue historique 2009/1 (n° 649), p. 127-228. DOI 10.3917/rhis.091.0127.

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