Magazine Culture

(anthologie permanente) Laura Kasischke

Par Florence Trocmé

Les éditions Page à page publient Mariées rebelles, un livre de poèmes de Laura Kasischke, auteur américaine surtout connue en France pour ses romans (parus chez Christian Bourgois). Elle a pourtant commencé sa carrière littéraire dans les années 1990 par la poésie. 
Fiche Wikipédia en français
Les radis

L’amour est un mur et la haine aussi.
   Par exemple
   un après-midi.
La rivière était aussi blanche qu’une rivière de lait
dans la lumière éblouissante de l’été.
Les fusées au bord des champs de maïs pétaradaient.
Et j’avais quatre ans,
   à moitié nue dans le jardin
   arrachant des radis à pleines mains.
Ma grand-mère me surveillait depuis la véranda, se balançait.
   Quand j’ai eu tout un bouquet
   de racines, grossières
   et déjà rouges, couvertes
   de terre,
   je l’ai agité vers elle
   et j’ai souri
   et j’ai ri.
Parce qu’elle ne m’aimait pas.
Parce qu’elle n’avait jamais voulu
d’un mari, ni d’une fille,
ni même du rêve d’avoir une petite-fille
   abandonnée dans son jardin,
   elle a refusé le sourire.
   Elle m’a regardée fouir
   à la recherche d’un fruit âcre
   le visage
   sans expression.
Un drap de violettes
   décoloré sur le fil à linge
   battait dans l’air délavé.
On n’entendait que ce bruit
et celui du maïs qui s’élevait
comme ce mur.
   Parce que je le savais à l’époque,
   je l’ai regardée droit dans les yeux
   sans rien exprimer,
et je me suis mise à suçoter
les radis sales, l’un après l’autre,
   comme des tétons aigres au soleil.
Radishes

Love is a wall and hatred is too.
   For instance
   it was afternoon.
The river was white as a river of milk
in the summer glare.
The rockets at the edge of the cornfields crackled.
And I was four,
   half-naked in the garden
   digging radishes with my hands.
My grandmother watched me from the porch, swinging.
   When I had a whole bouquet
   of the roots, raw
   and red already, caked
   with dirt,
   I waved them to her
   and smiled
   and laughed.
Because she didn’t love me.
Because she had never wanted
a husband, or a daughter
or even the dream of a grandchild
   abandoned in her backyard,
   she refused the smile.
   She watched me grub
   for that acid fruit
   with nothing
   on her face.
A sheet of violets
   faded on the clothesline
   whipped the bleached air
It was the only sound except
for the sound of corn climbing
like that wall.
   Because I knew even then,
   I stared straight back
   blank at her,
and I began to suck
the dirty radishes, one by one,
   like sour nipples in the sun.
Laura Kasischke, Mariées rebelles, traduction de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy, préface de Marie Desplechin, Page à page, 2016, pp. 94 à 97.
Fiche Wikipédia en français
L’auteur était présente au tout récent Festival America.  


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