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(note de lecture) Cécile Riou, "Chaîne et Chine" : "Elle ourlette avec un fil d’humour le passage des siècles"

Par Florence Trocmé

Je croise parfois des livres « cousus » main. Par définition, ils ne ressemblent à aucun autre. Ils sont comme mes vêtements d’enfant réalisés par ma mère : d’une beauté singulière, d’une étoffe rare car choisie, qu’aucun magasin de prêt-à-porter ne peut proposer. Ces pantalons, ces robes, ces vestes étaient parfaitement ajustés à mon corps. Je savais pertinemment que lorsque l’usure viendrait ou que mon corps grandi ne s’adapterait plus, jamais je ne trouverais le même habit. Il faudrait me faire une raison. Le bel ouvrage de Cécile Riou, Chaîne et Chine, est de cet acabit, cousu sur mesure par les soins de la couturière poète « lors des derniers jours pluvieux de Juin 2016 ». Il n’existe qu’en cinquante exemplaires. Je sais donc que je ne pourrai l’offrir à la terre entière, qu’il ne sera pas chez tous les bons libraires et encore moins disponible sur Amazon. Je sais que les pages que je tiens entre les mains méritent d’être conservées dans ma bibliothèque enveloppées dans un « furoshiki », tissu qui contient tout cadeau japonais qui se respecte. Chaîne et Chine est un voyage inspiré par Li Xingzhao, poète chinoise du XIè siècle, pour évoquer les étoffes japonaises. La soie, la jupe dégrafée, la doublure, le furoshiki, le futon, le sashiko, le motif de la mer ou celui de la fleur de prunier sont autant d’escales annoncées par un petit carré de toile lié à même la page blanche. Tel un drapeau miniature, il invite la main de la lectrice, que dirai-je de celle du lecteur, à la méditation sensuelle. Mes doigts ont aimé s’arrêter pour le toucher et le soulever. Ce livre est faussement sage : les jupes s’y défont comme les stéréotypes s’envolent. Choisir de parler du Japon en convoquant la poésie chinoise est, j’en suis certaine, considéré par certains comme un blasphème, en tous cas un grand pas de côté. Cela témoigne d’un réel refaçonnage. Pourtant, Cécile Riou ne joue pas à faire table rase du passé. Elle invite dans ses patrons de poète couturière d’anciens modèles d’écriture. Elle réemploie les motifs poétiques connus et reconnus comme la branche de cerisier, les cloisons de papier de la maison, la carpe etc... On pourrait croire que tout le folklore japonais est tissé là. Et pourtant la coupe est nouvelle. Elle a un savoureux goût de saké : quelque chose de fort, qui aide à digérer la tradition littéraire en nettoyant le palet. Cécile Riou décape : elle fait d’une poétesse chinoise du XIè siècle notre contemporaine. Elle ourlette avec un fil d’humour le passage des siècles. Elle brode sur le thème annoncé tout en donnant de savants coups de ciseaux pour nous apprendre à revisiter les images et les clichés. Ce livre, à la vérité, me va comme un gant et j’aime l’enfiler et le retourner, selon mon humeur, pour voyager en mode japonais. Il redonne, comme le saké, l’énergie de faire bouger ma tête et de foncer à travers mots. Ce n’est pas un livre pour femmes à l’ouvrage prisonnières du métier. C’est un livre pour femmes aventureuses qui osent transcender l’héritage féminin et se le réapproprier vraiment. Que les lectrices se le passent sous le manteau deux fois plutôt qu’une et si par bonheur, elles provoquent la jalousie des yeux masculins, qu’elles osent dévoiler quelques vers à ces messieurs. Ils en seront, eux aussi, tout retournés.
Marcelline Roux

Cécile Riou, Chaîne et Chine, Poïein
Lire ces extraits parus dans Poezibao - Sur le site de Cécile Riou


 


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