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Françoise Sagan, femme libre

Par Lauravanelcoytte
v_6_ill_1059999_francoise-sagan.jpg AFP/MYCHELE DANIAU

La romancière française Françoise Sagan en septembre 1987.

Mais où est donc Françoise Sagan, qui aurait eu 73 ans, ce 21 juin 2008 ? Dans un petit cimetière du Lot, depuis septembre 2004, ou bien sur les écrans, réincarnée en Sylvie Testud, dans le film de Diane Kurys ? Dans les mémoires, comme l'image d'un autre temps, révolu, d'insouciance et d'excès, ou bien dans une oeuvre - une quarantaine de livres - à reconsidérer ?

Et qui était-elle ? Une amoureuse folle de la vie, ou une mélancolique cherchant de toutes les manières à tromper son ennui de l'existence ? Une femme libre ou une personne tombée dans la dépendance de la drogue ? Une généreuse ou une capricieuse ? Probablement tout cela à la fois, cultivant toutes les séductions du paradoxe, ce qui suscitait la curiosité, fascinait ou repoussait.

Elle avait à peine 19 ans en 1954 quand son premier roman, Bonjour tristesse, a fait d'elle une icône mondiale. On peut le relire aujourd'hui sans avoir le sentiment qu'il est désuet. Il était très en avance, en rupture avec les conventions des années 1950, jugé même immoral, surtout pour avoir été écrit par une toute jeune femme. Mais d'emblée le "charmant petit monstre" que décrivait avec une bienveillance amusée François Mauriac avait imposé un style, "une petite musique", dira-t-on plus tard non sans condescendance.

Françoise Sagan avait beaucoup de talent. Et le sens de la phrase. Elle connaissait certainement ce mot de Hemingway : "Un écrivain sans oreille est comme un boxeur sans main gauche." Mais elle n'a pas tout à fait assez cru en elle pour construire l'oeuvre à laquelle elle semblait promise. Elle répétait volontiers : "J'ai lu Proust - la jeune Françoise Quoirez avait trouvé chez lui son pseudonyme, Sagan -, j'ai lu Dostoïevski, je sais que mes petits romans ne sont pas grand-chose."

Il y a du danger pour un écrivain à tenir de tels propos, à renoncer à une certaine mégalomanie, nécessaire pour aller plus loin, tenter de se surpasser. Du danger aussi à s'éloigner d'une discipline de travail. Non qu'il faille choisir, comme le croient les militants de la littérature du malheur ou de la déploration, entre écrire et vivre. Mais il faut assurément choisir entre écrire et se disperser.

De courses folles en voiture aux nuits entières dans les casinos ou les night-clubs, de l'alcool qui rassure et égaie à la drogue qui isole et détruit, Françoise Sagan s'est parfois un peu perdue. Et de dépenses inconsidérées en dettes de jeu, elle s'est contrainte à publier des textes dont elle n'était pas pleinement satisfaite. Dans un très beau livre, Derrière l'épaule (Plon, 1998), elle se critique sans indulgence, avec la lucidité de quelqu'un qui sait lire et a un jugement sur la littérature.

SENS DES TITRES

En lisant Derrière l'épaule, on trouve le chemin pour découvrir ou redécouvrir Sagan, en oubliant les romans dont seul le titre est une réussite - Sagan avait le sens des titres, souvent empruntés à des poètes du passé. Mais même dans ce qu'elle considère comme totalement raté, elle n'est jamais vulgaire ni dépourvue d'intelligence. La redécouvrir va peut-être conduire, en ces temps si peu portés à la nuance, à surévaluer l'importance de son oeuvre dans la seconde moitié du XXe siècle. Ce serait assez sot. Mais il est tout aussi absurde de la considérer comme totalement mineure, ce qui a longtemps prévalu.

De Sagan, demeure, à jamais, un nombre non négligeable de textes très réussis. En premier lieu Bonjour tristesse. Mais, si l'on n'a encore rien lu d'elle, on peut commencer par ses deux magnifiques exercices d'admiration - une qualité rare, que possédait Sagan -, sorte d'autobiographie en fragments : Avec mon meilleur souvenir (Gallimard, 1984), ... et toute ma sympathie (Julliard, 1993). Ce sont deux petits bijoux d'élégance d'esprit, de délicatesse, de passion. Avec, toujours, son style rapide, sans afféteries.

Un style de phrase qui était aussi un style de vie. Tout devait aller vite, surtout les automobiles. Comme l'a bien dit Marie-Dominique Lelièvre, dans Sagan, à toute allure (Denoël, "Le Monde des livres" du 18 janvier 2008), elle n'a pas construit sa légende, elle a été construite par elle. Elle a vécu sa liberté sans vraiment la penser. Elle a été, d'emblée, moderne. Elle portait, il y a cinquante ans, des vêtements d'aujourd'hui. Elle croyait à un certain art de vivre, mais la drogue l'en a éloignée et ses dernières années ont été tragiques.

On dit qu'elle a laissé un texte inachevé. Elle voulait l'appeler Le Coeur battu... On aimerait que cet ultime message soit publié. En attendant, même si Sylvie Testud la fait revivre d'une manière exceptionnelle, pour retrouver Sagan, il faut, d'abord, la lire.

Josyane Savigneau Article paru dans l'édition du 20.06.08.
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Les éditions Julliard viennent de rééditer neuf romans : Bonjour tristesse (1954) ; Un certain sourire (1956) ; Dans un mois, dans un an (1957) ; Aimez-vous Brahms ? (1959) ; Les Merveilleux Nuages (1961) ; La Chamade (1965) ; Le Garde du coeur (1968) ; La Laisse (1989) ; Les Faux-Fuyants (1991). De leur côté, les éditions de L'Herne publient à nouveau dans leur collection "Carnets" : Un certain regard ; Au cinéma ; De très bons livres ; La Petite Robe noire ; Le Régal des chacals ; Maisons louées ; Bonjour New York.

Un volume de la collection "Bouquins" (Laffont) a rassemblé les Œuvres romanesques de Sagan en 1993. Certains titres sont disponibles en édition de poche, principalement chez Pocket.

Sur Françoise Sagan, signalons les livres de Georges Hourdin, Le Cas Sagan (Cerf, 1958), Jean-Claude Lamy, Sagan (Mercure de France, 1988), Sophie Delassein, Aimez-vous Sagan... (Fayard, 2002), Alain Vircondelet, Sagan, un charmant petit monstre (Flammarion, 2002), Pol Vandromme, Françoise Sagan ou l'élégance de survivre (rééd. Le Rocher, 2002), et Bonjour Sagan (Herscher, 1985), avec un texte de Bertrand Poirot-Delpech. Récemment ont paru les livres d'Annick Geille, Un amour de Sagan (éd. Pauvert, 2007) et de Marie-Dominique Lelièvre, Sagan à toute allure (Denoël, 2008).

http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/06/19/francoise-sagan-femme-libre_1060167_3260.html?xtor=RSS-3260


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