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Hommage à David Antin, par Jacques Demarcq

Par Florence Trocmé

Antin

  

David Antin est mort à San Diego le 11 octobre, il avait 84 ans.
Il est souvent venu en France, d’abord traduit par Jacques Roubaud, invité ces dernières décennies par les universitaires de Double Change. Personne ne semblant avoir réagi à sa disparition, j’apporte mon témoignage.
J’ai rencontré deux fois David. La première en 1984 lors d’un séminaire de traduction, le premier, organisé à l’abbaye de Royaumont par Bernard Noël. Dans mon souvenir étaient présents huit à dix traducteurs, dont assurément Jacques Darras, Denis Dormoy et Jacques Roubaud ; presque sûrement Emmanuel Hocquard, Philippe Mikriammos, Rémy Hourcade, entre autres. Nous travaillions sur des textes publiés, à trois ou quatre par table. David passait d’un groupe à l’autre pour des éclaircissements sur ses principes d’écriture, pas sur des détails. Nous étions censés traduire collectivement, c’était la première fois pour la plupart, nous avons peu avancé.
Un soir, dans la bibliothèque de l’abbaye, David a tenté un talk poem devant la dizaine que nous étions augmentée d’autant d’amis. Tenant à reprendre les interventions dont il était satisfait d’après leur enregistrement, nous n’avons pu travailler sur ce poème conversation. De plus anciens et d’autres poèmes, traduits individuellement par Roubaud, Dormoy, Darras et moi, ont paru en volume aux Cahiers des Brisants.
J’ai revu David lors d’un séminaire organisé en 1999 à l’université d’Amiens par Jacques Darras. Outre Antin, étaient présents Jerome Rothenberg et Jackson McLow ainsi que l’éminente Marjorie Perloff. Je me souviens avoir parlé de Cummings et avoir lu quatre ou cinq de mes poèmes, auxquels David, bien que son français fût limité, fut le seul à avoir tenté de prêter attention. Il était sincèrement courtois.
Pour faire simple, les poèmes parlés ou conversations, qu’il a pratiqués à partir des années 1970, consistaient en improvisations sur un canevas auquel il avait réfléchi, mais tenaient compte dans leur réalisation du lieu et du public. En France, vu le fossé linguistique, les auditeurs n’intervenaient guère (sauf à l’université peut-être) et la conversation tournait au monologue. Des imprévus pouvaient toutefois le faire dévier, comme à la bibliothèque de Sarcelles le samedi de sa semaine à Royaumont. Il avait l’habitude de parler en marchant, arpenter le lieu, et alors que les auditeurs étaient sagement assis, il s’est retrouvé soudain nez à nez avec un lecteur sortant des rayonnages, tous deux aussi surpris, ne sachant que faire.
À l’époque l’idée de poèmes semi-improvisés était aux antipodes de mes préoccupations. Ça me semblait trop soucieux d’établir une communication, pas très loin du bavardage condamné par Mallarmé, lui-même adepte de la conversation lors de ses Mardis. Certes, Roubaud, premier passeur d’Antin, ou plus récemment Abigail Lang ou Omar Berrada de Double Change, ne sont pas des disciples de l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud. J’avais dû, jadis, passer à côté de quelque chose…
Ce qui est pourtant évident, c’est qu’Antin était un théoricien en acte. Son sujet le plus récurrent était la création artistique, et plus précisément l’innovation dans la création, dans ces années 1980-2000 où le post-modernisme étouffait les avant-gardes en académisant leurs découvertes. Antin n’expliquait pas, tel un prof, quelles nouvelles approches ou conceptions seraient possibles, il les mettait en acte et parole, les réalisait au présent devant vous. Proche en cela de John Cage et lointain rejeton de John Dewey, il prouvait par l’exemple la productivité des alternatives. Un poète combatif à l’ancienne. Dans « Antin », il y a « anti » à la puissance n.
En février ou mars 1968, j’avais assisté à l’incendie de drapeaux états-uniens sur le Boul’Mich, protestant contre la venue de je ne sais plus quel patron du Pentagone napalmant les populations vietnamiennes. La même année, Antin publiait Code of Flag Behavior. L’allusion finale du poème donnant son titre au livre ne m’est pas restée obscure lorsque je l’ai traduit après Royaumont.


Code de bon usage du drapeau
on ne doit jamais présenter le drapeau les étoiles en bas   sauf en signe de détresse
le drapeau ne doit rien toucher qui soit sous lui
tel que le sol   le plancher   ou l'eau
il ne doit jamais être étalé à plat ou porté horizontalement
mais toujours en l'air et libre
il ne doit pas être froncé   ni tiré   ni montrer de plis
mais pouvoir retomber librement
le drapeau ne doit jamais servir pour couvrir un plafond
on ne doit rien placer dessus   ni rien lui attacher
aucune marque lettre image figure   aucun insigne mot écusson dessin
de quelque nature que ce soit
le drapeau ne doit jamais servir de réceptacle pour
recevoir contenir transporter ou distribuer
il ne doit pas être utilisé à des fins publicitaires et
quand le drapeau est dans un tel état qu'il ne peut plus servir
comme emblème de la nation on doit le détruire
de façon digne
de préférence par le feu

Jacques Demarcq


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