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Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste

Publié le 20 octobre 2016 par Efflorescenceculturelle
Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste

Inspirée par les vêtements de Jacquemus, touchée par la grâce de la couleur bleu, la jeune artiste française de 22 ans, Estelle Rajaonarivony cherche à comprendre le monde, les réseaux sociaux, et elle-même en s'aidant de son imagination fertile.

L'art s'est ouvert à elle de différentes manières. D'abord par la pratique du piano puis par ses théories. C'est suite à son entrée dans une mise à niveau d'arts appliqués (MANAA) qu'elle s'intéresse à l'art plastique. Tel un Pygmalion, son partenaire de l'époque, amateur d'art, lui enseigne ce monde du Beau et nourrit sa soif de création: " C'est lui qui m'a donné envie de sauter le pas et de me lancer dans ce qui m'animait vraiment " . Celle qui se lance alors dans cet univers vaste et créatif, avoue sa lacune en dessin mais aucun problème, sa forte imagination comblera l'absence de pratique.

Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste

Sa formation peut faire rire mais détaille la nécessité d'expérimenter les différents enseignements pour se forger une culture immense et variée. Elle commence par une classe préparatoire HEC puis une hypokhâgne qui l'éloignent malgré elle de la créativité. Après sa MANAA, elle se lance dans un BTS Design de mode qui nourrit son attrait pour les formes, les couleurs et les vêtements. Mais, en milieu d'année, elle cesse la formation à cause des contraintes. Elle prépare alors le concours de l'École d'Arts de Paris-Cergy et avoue: " . " Libre de produire ce qu'elle souhaite, elle se lance à cœur ouvert dans cette entreprise. Non sans être nostalgique, elle décide d'oublier ses précédents enseignements tout en ne regrettant pas son parcours. Elle rajoute cependant des éléments importants pour la compréhension de sa créativité: " C'est d'ailleurs dans cette période de préparation à ce concours que j'ai eu l'impression d'avoir appris le plus, d'avoir le plus questionné ce qui m'entourait Je porte beaucoup d'intérêt pour la sociologie ou encore la psychologie ou la philosophie. Ces domaines m'inspirent beaucoup, aussi j'aime à penser l'Art aux travers de ces enseignements, mais aussi à le confronter à d'autres disciplines qui peuvent paraître incompatibles. Il est vrai, cependant, que j'ai beaucoup de plaisir voire plus de plaisir à découvrir de nouvelles pratiques artistiques de façon autonome mais je pense qu'il me faut gagner en maturité artistique et qu'il me reste beaucoup de choses à apprendre, voilà pourquoi j'aimerais rentrer dans une école d'Art. "

Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste

En observant attentivement ses œuvres, allant des photographies, des vidéos, des photomontages et des selfies, vient une question primordiale sur la relation qu'entretient l'artiste avec les différents supports: " Je pense qu'il existe de manière objective une complémentarité entre tous les supports artistiques, qui est pour moi une nécessité. Néanmoins je pense que si j'aime à ce que les supports artistiques soient complémentaires, c'est principalement car j'aime toucher à tout et surtout décloisonner l'Art. D'ailleurs, cette complémentarité donne plus de matières au sujet mais surtout cela permet d'aborder toutes ses facettes. Il est très rare que je reste cantonnée à une technique. Généralement je me concentre sur une pratique pour la découvrir avant tout, dans un premier temps, puis je la mets en pratique. Une fois que je suis satisfaite de mon rendu et qu'il représente vraiment la matérialisation de mes pensées, je change de techniques et essaye de lui apporter une nouvelle dimension. " La photographie est cependant une technique qu'elle affectionne particulièrement. Même si elle ne l'avait jamais vraiment pratiquée, cette technique l'attire depuis longtemps et s'inspire de l'œuvre de Martin Parr: " Son univers de couleurs saturées, mais aussi le fait qu'il arrive à capturer l'âme d'un instant m'a toujours fascinée. "

Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste
Pour découvrir son talent, il suffit de jeter un œil sur son instagram (lien en fin d'article) et cette année, Estelle Rajaonarivony pousse un peu plus loin la dimension personnelle de ce réseau social en créant une série de " Journal Intime ". Elle résulte d'un questionnement sur l'intimité, notamment à l'ère des réseaux sociaux et des attitudes sociales autour ce celle-ci. J'aime passer du temps sur les réseaux sociaux mais surtout principalement sur Instagram car j'y trouve mon lot d'inspiration, c'est devenu assez machinal pour moi d'y errer, tout comme tumblr. Il est devenu très simple de connaître la vie de quelqu'un à cause de l'omniprésence des réseaux sociaux et c'est devenu d'une telle banalité qu'on ne sait même plus ce qui appartient à la sphère du public ou encore à la sphère du privée. C'est devenu un vrai luxe maintenant de ne pas tout savoir. Au début je ne m'en suis pas rendue compte, tout devient anodin au bout d'un certain temps. Puis j'ai commencé à me questionner sur l'intimité mais aussi sur l'image que l'on projetait de nous-même. Finalement, ma conclusion a été celle-ci : il est très difficile de définir et délimiter l'intimité. Car finalement, l'intimité ne résulte-t-elle pas de nos cultures ? Qu'est-ce qui est acceptable de dévoiler ou non ? Alors bien sur je me suis cantonnée à la France et plus particulièrement aux personnes présentent dans mes réseaux sociaux et finalement ce que ces personnes laissent à voir est très différent d'une personne à une autre. Ensuite je me suis penchée sur moi-même, bien qu'étant quelqu'un d'assez expansive, je trouve cela assez étrange de m'épancher sur ma vie aux yeux de tout le monde, ou de faire part des détails de ma vie au travers de photos de mon quotidien. C'est quelque chose qui me met mal à l'aise, car finalement l'attention se porte sur nous. C'est avec ces questionnements, que j'ai commencé mon projet sur l'intimité mais aussi sur le narcissisme ambiant qui envahit les Internets. " Ainsi, elle définit l'intimité. Elle dénote un paradoxe au sen même de son art puisqu'en se délivrant elle partage elle aussi ce qu'elle dénonce à travers cette série. La narration tourne autour d'une inscription à un site de rencontre et procure quelques rires et gênes pour le spectateur. Elle se dévoile sans artifice, avec ses petits défauts et avec honnêteté. " J'ai eu beaucoup de retour sur ce projet, notamment le besoin de savoir ce qui se cachait derrière la censure. Cela été pour moi une première " réponse " à mes questionnements. Il y a eu un jeu de voyeurisme et d'exhibitionnisme qui s'est très vite installé, mais personne n'a prêté attention au fait qu'il ne s'agissait pas d'un jeu mais de mon intimité. C'est donc pour ça que j'ai eu envie d'en faire un jeu, je travaille notamment sur le rendu de ce questionnement là. "

Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste

La couleur prime beaucoup dans son art. Elle voit d'abord en couleur avant la forme. C'est le bleu qui prime, elle l'affectionne depuis son enfance, comme un compagnon fidèle. Elle l'apaise et l'attire. " C'est assez bizarre. Les ressentis sont en couleurs pour moi, pas sous formes de mots ou de formes, mais en couleurs. L'odeur a une couleur, une émotion a une couleur, le bruit a une couleur, tout est couleur. Pour moi la couleur façonne la forme et non l'inverse. Les couleurs que j'utilise sont aussi propres à certains moments de ma vie, notamment sur mes émotions, finalement les couleurs que j'utilise dans mes créations sont comme mon journal intime. "

Estelle Rajaonarivony, journal intime d’une jeune artiste

Une autre série voit le jour: Afin d'animer cette étrange intimité, l'artiste décide de filmer cette femme voilée en alternant avec un homme nu qui semble révéler ses tourments grâce à la danse que forme sa main peinte en rouge qu'il balade sur son dos. Fidèle à sa conception autobiographique, ces deux figures révèlent deux visions d'elle-même: " S'inspirant du En Suspens. Il s'agit d'une série photographique et autobiographique qui retrace précisément " la vie des sentiments ". Symboliquement, Estelle Rajaonarivony distille des mouvements du cœur ressenties durant cette année, entre le chagrin, la perte et la joie. A travers six photographies, elle tente ainsi de décrire un pan de sa jeune femme et le voile bleu cherche à dissimuler ce qui ne peut être révélé, par honte ou par pudeur. C'est aussi une manière de se confronter à ses pensées et ses actions: " il y a eu comme une dissociation entre mon esprit pensant et mon corps, un esprit envahit par un flot de pensées continues qui m'ont drainé, et parfois je ne me sentais plus en phase avec moi-même. " Dans la vidéo, il y a deux moi : le moi rationnel représenté par une danse fluide, aérienne et le moi passionné représenté par une main rouge. La passion est envahissante, et vient semer le trouble. La main prend tout, dirige tout et se fait menaçante. Comme la passion et l'irrationnel. " Journal d'un corps de Daniel Pennac, cette vidéo reflète cette sensation désagréable d'observer son corps comme appartenant à un étranger, créant un trouble entre l'âme et son réceptacle.

L'intime, le secret, les réseaux sociaux, le corps, autant de données pour tenter de comprendre l'esprit créatif d' Estelle Rajaonarivony. Ce n'est pourtant pas assez pour la définir, doit-on vraiment chercher à résumer son art? Une chose est sûre, cette artiste est un électron libre qui n'a pas fini de créer et de redéfinir la dualité entre intime et public.


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