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Interview de Tanguy Habrand de la collection belge Espace Nord

Publié le 21 octobre 2016 par Exploratology @exploratology

Bonjour à tous!

Voici un article qui dit vive la Belgique! Avec une interview de Tanguy Habrand, qui dirige la collection Espace Nord de la maison d'édition belge Les Impressions Nouvelles, et un super concours en partenariat avec l'éditeur en fin d'article!

J'ai découvert Espace Nord avec Le Maître des Jardins Noirs d' André-Marcel Adamek, que nous envoyons ce mois-ci dans les abonnements Romans et Gros Lecteur. C'est un livre fascinant qui mélange la fable, l'intime, une ambiance fantastique subtile. C'était aussi la première fois que je lisais un roman qui était ouvertement ancré dans un terroir belge. J'aime lire pour me plonger dans une histoire, mais c'est également un plaisir de découvrir un pays à travers la lecture. Et c'était indéniablement le petit plus du Maître des Jardins Noirs.

Interview de Tanguy Habrand de la collection belge Espace Nord

J'étais d'autant plus curieuse quand j'ai découvert qu'Espace Nord, qui compte plus de 300 titres dans son catalogue, inscrivait son travail dans la promotion du " patrimoine littéraire francophone belge ". Comment décide-t-on qu'un livre ou un auteur appartiennent au patrimoine ? Et qui était cette maison d'édition qui avait inscrit un atypique auteur de l'imaginaire dans cette notion de patrimoine ?

Bref, j'avais plein de questions auxquelles Tanguy Habrand, chargé de la coordination éditoriale d'Espace Nord, a eu la gentillesse de répondre! Nous avons papoté à travers nos fenêtres de réseau social - comme quoi Facebook ne sert pas uniquement à partager des photos de petits chatons mignons ;-) Vous retrouverez ici une retranscription de nos échanges. " Chat " oblige, la conversation n'est pas très linéaire et esquisse certains aspects de leur travail, mais j'espère que cette interview vous permettra de découvrir ou de mieux connaître cette collection qui fait un super boulot, et dont le catalogue est formidable pour qui veut découvrir la littérature belge!

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Marjorie :
Encore une fois merci d'avoir accepté le principe de l'interview par chat, je suis ravie! Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous faites chez Espace Nord ?

Tanguy :
Alors : Je suis responsable de la collection Espace Nord depuis 2012. En clair, j'ai pour fonction de travailler sur la programmation, sur l'organisation des réunions du comité, sur la gestion des droits, sur les relations avec l'extérieur...

Marjorie :
Et vous êtes combien dans l'équipe ?

Tanguy :
Au sens strict, l'équipe est assez réduite : à part moi, il y a Charlotte Heymans qui s'occupe de la promotion et du suivi de la production (entre la première épreuve, une fois qu'elle a été réalisée par notre graphiste, et le départ des livres chez l'imprimeur) et Patricia Kilesse qui est en charge de tout le volet administratif et de la comptabilité. Nous avons aussi une graphiste, Carine, qui travaille en externe.

Quant au comité, il se compose de dix personnes, dix membres.
C'est une particularité de la collection : depuis 1983 (date de fondation d'Espace Nord), il y a un comité de spécialistes de la littérature belge qui accompagne la collection. Le comité fait des propositions de titres, ainsi que des propositions d'auteurs pour les postfaces, car chaque volume comporte une postface " critique " : lecture de l'oeuvre, informations sur l'auteur, etc.* Le comité intervient aussi dans la validation de ces postfaces. Mais le choix final revient à l'éditeur.

Marjorie :
C'est intéressant comme fonctionnement. Le comité est composé de critiques, de chercheurs...?

Tanguy :
Nous avons dans le comité des chercheurs issus de plusieurs universités (Bruxelles, Liège, Louvain-la-Neuve), des auteurs, libraires, bibliothécaires, représentants du monde de l'enseignement. Il nous semblait important d'associer des personnes travaillant dans des secteurs assez différents, qu'il s'agisse donc de la recherche ou de la médiation, tout en variant aussi les générations.

Quand nous avons repris la collection Espace Nord en 2012, nous avons proposé un comité, dix membres, à la Fédération Wallonie-Bruxelles. C'est une autre particularité, et je pense que c'est assez unique dans l'espace francophone : la collection Espace Nord appartient aux pouvoirs publics, mais nous, l'éditeur ( Les Impressions Nouvelles), sommes là pour " gérer " la collection.

Marjorie :
Effectivement, je n'ai pas souvenir d'une autre maison d'édition qui ne soit pas une structure privée. Est-ce que ça change quelque chose sur le fonctionnement, le financement par exemple ?

Tanguy :
Oui et non. De 1983 à 2012, la collection appartenait à un éditeur, mais elle recevait un budget de fonctionnement, des subsides, de la part de la " Communauté française de Belgique " (devenue " Fédération Wallonie-Bruxelles ").
Mais cet éditeur, puis quelques autres qui ont racheté Espace Nord, ont rencontré des problèmes (comme toujours dans le monde de l'édition). Et le dernier éditeur n'a pas souhaité poursuivre son exploitation. La Fédération Wallonie-Bruxelles a alors racheté la collection Espace Nord, et a dû en confier la gestion par voie de marché public.
Cela signifie que nous avons des missions précises à respecter, mais une totale liberté éditoriale. C'est un modèle de collaboration privé/public.
Et concernant le financement : en réalité, Espace Nord ne pourrait pas exister sans financement. Son modèle repose sur un principe de démocratisation de l'accès à la culture, notamment dans les écoles. Nous travaillons donc le format de poche pour des livres qui, théoriquement, ne pourraient pas y survivre... Je veux dire par là que nous ne publions pas forcément des best-sellers, en dehors de certains titres. Or l'économie du poche fonctionne sur de très gros tirages. Ce n'est pas notre cas.

Marjorie :
J'imagine que c'est pas évident du coup pour le fonctionnement, mais c'est formidable d'un point de vue éditorial.

Tanguy :
C'est passionnant parce que nous travaillons dans un réseau très étendu : Espace Nord est un pilier de la culture littéraire en Belgique francophone, et doit beaucoup à l'action d'un grand nombre de personnes autour, de façon régulière ou occasionnelle.
C'est aussi un service public. Donc beaucoup de personnes y participent. Je pense aussi aux enseignants qui nous font des propositions, et avec lesquels nous avons des interactions constantes. Par exemple, en novembre, nous organisons une journée de formation professionnelle autour de la collection Espace Nord et de l'enseignement de la littérature belge.

Il ne faut pas oublier que la Belgique est un des seuls pays au monde à ne pas avoir inscrit au " programme " l'enseignement de sa propre littérature... C'est facultatif, pas du tout obligatoire. Et oui!

Marjorie :
Comment se fait-il ?

Tanguy :
Méconnaissance liée au fait qu'il n'y a une tradition littéraire aussi longue et aussi forte qu'en France par exemple.

Marjorie :
Et par curiosité quels sont les ouvrages que les enseignants ont pas mal choisis pour leurs classes ? Ca pourra aussi donner quelques idées de lectures à nos abonnés :-)

Tanguy :
Les auteurs les plus lus dans les classes sont Armel Job, Nicolas Ancion, Maurice Maeterlinck, Jean Ray... et un certain André-Marcel Adamek aussi.

Marjorie :
Héhé!

Tanguy :
Un titre qui revient très souvent également, c'est Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach.
Donc, vous voyez, il y a vraiment ce partage entre patrimoine au sens fort (les classiques) et contemporains (les classiques de demain...)

Marjorie :
C'était justement une des questions que je voulais vous poser : j'avais lu sur le site " patrimoine littéraire francophone belge " et je me demandais sur quels critères les livres édités rentraient dans cette notion de patrimoine.

Tanguy :
Il y a plusieurs dynamiques...
D'un côté, une approche historique, orientée " Panthéon ", qui peut rappeler à sa façon le travail de la Pléiade.
Dans cette perspective, nous essayons d'éclairer, mais aussi de fixer, les grands classiques de la littérature belge.
D'un autre côté, une approche plus orientée " livre de poche " traditionnel, façon Folio ou Babel, où l'écart entre première édition et édition en Espace Nord est beaucoup plus court.
Le choix, c'est un peu le résultat de ce double mouvement. Et nous cherchons à représenter un maximum de tendances. Espace Nord étant un service public, il est de notre devoir de nous adresser au public dans toute sa diversité. Ca peut avoir l'air d'un slogan dit comme ça, mais ça se passe comme ça : il y a des livres pour les écoles, des livres publiés pour souligner un anniversaire, des livres pour sortir de l'oubli un auteur injustement laissé de côté, des livres pour donner à lire autrement une oeuvre, etc.

Marjorie :
Et pour prendre l'exemple d'Adamek qui nous concerne, comment a-t-il donc été sélectionné ? Il était plutôt approche orientée Panthéon ou approche plus traditionnelle ? Pourquoi son oeuvre en particulier ?

Tanguy :
Au départ, Adamek était du côté des contemporains.
Je n'étais pas là à l'époque, mais je sais que c'était un défi pour Espace Nord : dans les années 1990, la dimension scientifique s'était peut-être un peu trop développée au détriment des objectifs pédagogiques de la collection. Or ce qui peut être lu à l'Université ne l'est pas forcément dans l'enseignement secondaire. Adamek occupe une position particulière : c'est un auteur plus accessible, sans tourner le dos pour autant à un public adulte.

De mon côté, je n'ai pas connu Adamek. Il est mort l'année qui a précédé notre entrée en fonction... En revanche, j'ai pu rencontrer son épouse, Ingrid, avec qui nous réalisons désormais un travail que j'indexerais plus du côté du Patrimoine. Patrimoine encore très récent, j'en conviens, mais Patrimoine tout de même.

Et pourquoi Adamek ? Adamek incarne aussi une figure d'auteur atypique.

Marjorie :
Oui, pourquoi Adamek :) Je pensais que le défi se situait aussi dans le caractère un peu fantastique / conte de certains de ses livres (beaucoup considèrent encore le fantastique comme un " sous genre ", donc je trouvais ça osé et intéressant de l'avoir publié dans le cadre du patrimoine).

Tanguy :
Le fantastique d'Adamek est très singulier, parce qu'on ne peut pas le rattacher directement au fantastique que l'on associe traditionnellement à la Belgique. Nous avons des auteurs de littérature fantastique incontestables tels que Jean Ray, Thomas Owen, Jean Muno... Adamek ne peut pas réellement leur être assimilé. Son fantastique et plus diffus et tient beaucoup, notamment, à des croyances populaires. C'est très manifeste dans Le Maître des jardins noirs.
Il y a chez Adamek un certain régionalisme, mais sans le caractère péjoratif que l'on peut associer à ce terme : on touche ici à l'universel.
En relisant récemment Le Maître des Jardins Noirs par exemple, je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux films d'animation de Miyazaki. Ce sont des thèmes d'intérêt mondial : l'opposition entre la ville et la campagne, la présence des animaux, le surgissement de contes et de légendes dans la vie de tous les jours. Beaucoup de contes ou de tentatives littéraires du même genre n'ont pas la force des livres d'Adamek.
Mais nous n'avons pas cherché à publier dans ce genre-là [le fantastique] à tout prix. À un moment donné, un auteur se distingue, vous suivez son travail, et il devient de plus en plus évident que c'est un auteur que nous souhaiterions publier en Espace Nord !

Marjorie :
Et quel est le travail que vous continuez à faire avec son épouse ? Y aura-t-il d'autres parutions en poche (comme par exemple Un Imbécile au Soleil, que j'avais également beaucoup aimé) ?

Tanguy :
Dans un premier temps, nous avons voulu restaurer l'oeuvre d'Adamek qui avait déjà été publiée en Espace Nord : car il faut savoir que lorsque nous sommes arrivés en 2012, plus d'un tiers du catalogue était épuisé. C'était la catastrophe. Nous avons réédité La Grande Nuit, Le Fusil à pétales, le mois prochain il y aura L'Oiseau des morts. Nous avons réédité " Le Maître des jardins noirs " juste pour vous.
Nous avons aussi intégré au catalogue des titres qui n'y étaient pas encore. Je pense à Le Plus Grand Sous-marin du monde.
Après, pourquoi pas d'autres titres en effet, dont Un imbécile au soleil. Je note pour une prochaine réunion du comité.

Marjorie :
Pour en revenir au comité justement, combien de temps ça prend pour sélectionner et éditer un livre ? Comment ça fonctionne ?

Tanguy :
On se réunit quatre fois par an. Deux mois avant une réunion, je rassemble toutes les propositions qui nous sont parvenues (celles du comité, celles qui nous viennent d'auteurs, d'enseignants, de collègues universitaires (je travaille aussi à l'Université de Liège)).
Je les envoie au comité. Ces propositions sont accompagnées d'un dossier dans certains cas. Lors de la réunion, nous discutons de toutes les propositions. Les membres du comité font part de leur avis. Il y a un vrai débat... Cela me permet d'avoir un ensemble d'avis sur chaque proposition. Ensuite, je prends le temps de la réflexion, de mesurer le pour et le contre.
Et je programme au fur et à mesure les titres qui pourront entrer dans la collection.

Marjorie :
Ca représente combien de propositions pour combien de titres retenus au final ?

Tanguy :
Une soixantaine par an, sur lesquels nous publions entre seize et vingt titres par an. Mais dans ces seize ou vingt titres, il y a des rééditions du fonds (cf. le tiers épuisé quand nous sommes arrivés). Donc : peut-être une dizaine de " nouveautés " par an.

Puis entre le moment où l'on parle d'un livre et le moment où il est publié, je dirais qu'il faut un an environ. Il faut laisser le temps au postfacier.

Marjorie :
C'est un travail de longue haleine.

Tanguy :
Je n'aime pas travailler dans l'urgence. La plupart des maisons d'édition travaillent comme ça, mais ce n'est pas incontournable (sauf si vous travaillez dans le livre d'actualité).

Marjorie :
Surtout pour votre ligne éditoriale, inscrire un livre dans un patrimoine demande de la réflexion.

Tanguy :
Oui, d'autant que tout le monde vous scrute...
Il y aura toujours les questions : pourquoi ce titre-là, pourquoi pas celui-là ? Je veux être sûr d'avoir la réponse avant de publier.

Marjorie :
Et pour L e Maitre des Jardins noirs, quelle serait la réponse ?

Tanguy :
Je commencerais par parler d'Adamek, ce qui est bon signe : un auteur qui a fait oeuvre, avec sa cohérence, son fil rouge.
Je parlerais peut-être ensuite du tour de force de ce roman : un roman d'une concision extrême, écrit dans une langue très simple, mais qui vous ouvre les portes d'un univers particulièrement dense - et des relations, dans ce qu'elles ont de plus sombre, entre les gens.
C'est ce rapport entre simplicité et complexité qui, pour moi, fait tout l'intérêt de ce roman, et justifie sa place en Espace Nord !

Marjorie :
Vous parlez beaucoup mieux que moi du livre, je suis jalouse! :)
Dernière question bonus et classique de nos articles : un livre à conseiller aux abonnés ? :)

Tanguy :
J'aime énormément La Mort de Napoléon de Simon Leys : Napoléon s'est fait remplacer par un sosie à Sainte-Hélène et revient en France, incognito, pour reprendre le pouvoir... C'est très mordant. Et c'est une belle leçon sur l'arbitraire du pouvoir... Nous allons également rééditer Izo, de Pascal de Duve, au mois de novembre. Il s'agit d'un roman fantaisiste et néanmoins très sérieux d'apprentissage, dans lequel le narrateur fait la rencontre du petit homme au chapeau de Magritte, à Paris, et va se prendre d'affection pour lui. Ce personnage d'Izo veut tout voir, tout savoir. C'est un conte urbain avec des airs de Petit Prince.

Interview de Tanguy Habrand de la collection belge Espace Nord

*A noter que votre édition du Maître des Jardins Noirs ne comprend pas de postface, comme la maison d'édition a du réimprimer dans l'urgence le livre pour notre abonnement. Mais on espère que cet interview fera en quelque sorte office de post-lecture ;-)

Merci Tanguy pour ces échanges!

Et si tout ça vous a donné envie de découvrir plus en avant leur catalogue, ça tombe bien, car nous organisons un concours en partenariat avec Espace Nord!

Concours

pour gagner 2 lots avec
Les Candidats de Yun Sun Limet
et un tote bag Espace Nord

Interview de Tanguy Habrand de la collection belge Espace Nord

Cette édition poche vient tout juste de paraître ce mois-ci, c'est la dernière nouveauté d'Espace Nord! Pour reprendre les mots de Véronique Bergen, qui a signé la postface, " Yun Sun Limet [avait] fait une entrée remarquée dans le monde des lettres belges, donnant à entendre une voix singulière, un chant polyphonique aux teintes subtiles et graves. " Sur le thème de l'adoption, le livre " raconte une histoire de perte, de deuil et de la vie telle qu'elle (s'en) va, d'amitié aussi et d'accomplissement ". Ca donne envie! :-)

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Le concours dure du 21 au 27 octobre 2016. Les 2 gagnants seront annoncés en fin de cet article le 28 octobre à midi. Le concours est ouvert aux habitants de France métropole et de Belgique et Luxembourg. Règlement ici.

Vous pouvez également participer au concours sur Facebook où nous mettons en jeu 3 autres lots. Ça vous fait deux fois plus de chances de gagner ;-)

N'hésitez pas à partager ce concours sur les réseaux sociaux et bonne chance!

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