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(note de lecture) Rémi Froger, "planches", par Antoine Bertot

Par Florence Trocmé

Livre-planchesPlanches se compose de sept sections de dix dizains. Au cœur de cette régularité, l'écriture de Rémi Froger se construit pourtant en créant des écarts. Les premiers vers du recueil expriment bien cette tension singulière :
   « il ouvre sur un mouvement photographique, la main sur le déclencheur 
   est une main différente, les mots distancent l'image dans la phrase. » (p.9) 
Le saut de ligne suspend le désir de saisie photographique. Les mots prennent la place de l'image en même temps que la main du photographe semble devenir celle du poète. Une autre vue s'ouvre alors : « Des yeux se dressent pour aller derrière les autres yeux. » (p.9). En retour, cependant, la phrase elle-même se perd dans le paysage et se heurte aux limites de sa propre vue : « la phrase se répand en brouillard, en bleu. » Les poèmes de planches ne fixent pas une image mais s'inscrivent ainsi plutôt dans une saisie dynamique des « choses [qui] ne cessent de bouger » (p.41).
Au détour d'un vers, cependant, ces échanges entre le monde, la vue et l'écriture peuvent sembler apaisés. Les phrases apparaissent d'elles-mêmes : il suffit de les dénicher (« Jeunes phrases cachées dans l'eau. », p.40) ou de les débiter du paysage, comme on ferait, justement, des planches (« les paroles sont posées après avoir été découpées dans la droite de la vallée », p.37). Mais plus souvent, écrire, selon cette opération artisanale, revient à « ramasser transformer » (p.30) les matières, les sensations et les images diverses qui en résultent. Chaque poème, de cette manière, les regroupe, les agrège et les déforme pour suivre une « coïncidence ordinaire » (p.49) qui, par exemple, laisse entrevoir la peau dans l'eau d'une rivière (« l'odeur de l'herbe remonte de la rivière, / la rivière n'a rien à tenter, elle est cette peau à peine voilée », p39), ou encore réunit une épaule et « une brique / juste polie » (p.63).
Les images – et le poème – ne demeurent pas intactes, mais apparaissent déchirées (« la page ou image est déchirée », p.48) et mêlées. Elles provoquent, au rythme de ces heurts, de « faux alignements » (p.69) qui, d'une phrase à l'autre et de manière instable, incarnent les forces troublantes et vivifiantes du poème : « Quand je pose une phrase au-dessus d'une autre phrase, celles du dessous / se plient et se déforment, il n'y a pas de fin, je reprends, c'est une origine » (p.36). L'impression de lecture relève alors de « l'étrangeté par juxtaposition » (p.33) qui, à chaque page, rend sensible et incarne à la fois le saisissement et le doute face au monde et ses tumultes : « Le monde se fissure de plus en plus, d'autres données surgissent » (p.9). Ces « autres données » pourraient être les poèmes eux-mêmes qui rejoueraient ainsi les déplacements de nos perceptions.
Antoine Bertot
Rémi Froger, planches, P.O.L, juin 2016, 89p., 14€.


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