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(note de lecture) Roxana Paez, "TraVERSée", par Geneviève Huttin

Par Florence Trocmé


Canon_20161102_0002Auteur d’une œuvre déjà importante dans son pays, l’Argentine, qu’elle a quittée au  tournant du deuxième millénaire grâce à une Bourse de la Fondation Saint-Exupéry, Roxana Paez, poète, essayiste, traductrice, continue sous nos yeux d’édifier son poétique journal, sa maison en vers dans le pays de son vécu immédiat, la France, vécu profondément réfléchi et prolongé dans l‘écriture.
Sa résidence sur le thème Le Poète et son travail dans le cadre de la Biennale des poètes à Ivry, a donné lieu à des ateliers avec des adultes où ils ont parlé de travail. Mais quel est donc le travail du Poète ? Elle répond, dans ce poème TraVerSée, hommage à son ancêtre romanichel. Jouant sur le double sens de verser / faire des vers, ce poème joue de la contrariété, du travail « ennemi » et du travail du poète, partition vive, dansante et heurtée, qui trace sa route dans le commun du travail précarisé, de sa quête épuisante jusqu’au collapse, sur fond de nouvel esclavagisme.

Il s’agit de se verser. Se bercer
Ou ser res jusqu’aux vers`
Ser res
désigne la condition animale : tête de bétail, tête de bœuf en castillan.
 
Sous l’invocation de la route éternelle de l’ancêtre romanichel, le poème découvre la mer de l’angoisse, des ennuis cruels et des dangers. Toutes les routes se croisent ici. Roxana Paez joue sa Polonaise du travail pour décrire la courbe que trace dans le psychisme l’injonction du travail à tout prix et à n’importe quel prix. Elle écrit la danse des mots :
 
À travers le travail tu vas  
vers les vers voire  les travers
du vers, pour trouver le rail.

La note grave et la légèreté, le caractère enlevé, soulève les sonorités du français, Va, Vail / Vaillant/ Vers/ Verser, se tirent entre eux et se font écho. Poète en espagnol et en français, elle mêle aussi d’autres idiomes, le latin de la déploration du Temps qui harcèle, l’italien élégiaque de l’éloignement des fils (Figues ! i vostri  figli !), l’allemand de See, traverSee de la mer, jusqu’à la noyade. Nous lisons ce poème avec amour et respect envers l’auteur qui mêle des accents aigus aux accords puissants qu’elle ajoute à notre poésie française.
Genevieve Huttin

Hommage d’une poète à son ancêtre romanichel
TraVERsée
À travers le travail tu vas
vers les vers voire les travers
du vers pour trouver le rail.
Le papier traversé vient du tri,
des trouvailles d’aventuriers.
Il s’agit de se verser. Se bercer
Ou ser res * jusqu’au vers.
Traduction, la traversée pour
le travail. FATIGUE TRAVAILLER.
Figues ! i vostri figli, tes fils
sont restés la- bas, se sont
soustraits à toi les vaillants,
(…)
Debord à bord d’une chaloupe,
d’un radeau, ras d’eau, dorado
de l’imagination trépidante,
trébuchante. On se perd, on
se trouve tirebouchon, on se
tire ? une balle parfois imaginaire.

*Être bœuf, tête de bétail, en castillan
Roxana Paez, TraVERSée, Editions Fidel Anthelme X. Collection Les Communs. Marseille, 2016.


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