"To give free rein" signifie lâcher la bride en anglais, plus exactement "donner libre cours à son imagination" ; c'est peu dire que le quatuor inclassable liverpuldien a usé de cette homophonie pour l'élaboration de son 7ème album.
Ici, tous les anciens reliquats pop-surf à base de masques de chirurgien - c'est ainsi qu'ils aiment à s'affubler lors de leurs concerts - s'évanouissent peu à peu, pour laisser place à un krautrock invertébré.
Là où Bubblegum louvoyait encore dans des territoires mélodiques assez accessibles, Free Reign ose les plages désolées, trafiquées qu'ils affectionnent ; cette fois-ci en poussant à son apogée son art du contre-pied et de l'expérimentation. On pense à Can bien-sûr, mais aussi à tout ce qu'un esprit laborantin 70's a produit de plus intransigeant, de Brainticket à Ash Ra Tempel en passant par Amon Düll II et consorts.
Le mélodica moins présent, se rappelle néanmoins à notre souvenir sur l'inquiétante "Seesaw", les climats toujours traînants, les oscillations et chants de muezzin ne sont pas en reste ("Misty", "Miss you") et encore et toujours ce timbre plaintif et nasal de Ade Blackburn qui se met au diapason des tempos menaçants de son escouade.
On l'a dit et répété : dans cette cruciale ville de créativité pop qu'est Liverpool, qui sait du reste associer les groupes les plus divers et les plus étranges (souvenons-nous des Boo Radleys, de The Coral, des Zutons entre autres), Clinic depuis son émergence à la toute fin des années 90, n'a pas son pareil d'étrangeté. Volontiers rétrograde, appuyant la logique surf et un esprit punk dès sa formidable première livraison - cette compilation de premiers singles rigoureusement indispensable à toute bonne discothèque - le quatuor a depuis suivi sa voie, sans véritablement se réclamer d'aucune scène.
Assurément, ces gens ont toute leur place pour figurer dans les festivals de tribute psychés fomentés par le druide Julian Cope, tant ce qu'ils parviennent à créer, tout en renvoyant à quelque planerie collective, ne ressemble cependant à rien de connu. Si l'on devait retrouver ce timbre à la fois fragile et sarcastique, on penserait à celui narquois d'un Gordon Gano (de retour aux affaires) qui avec son Violent Femmes de groupe, bâtit lui aussi un OVNI musical, certes d'obédience plus traditionnelle, mais avec cette fausse ingénuité qui sied bien aux quatre masqués.
Disque contemporain et digest, où "Seesaw" renvoie aussi bien au rock allemand le plus défricheur des 70's qu'à l'électro-pop des polonais 00"s de Skinny Patrini, où "Seamless Boogie Boogie, BBC2 10pm (rpt)" (ces titres, NDA), "Sun and the Moon" et leurs sonorités et anches expés apportent aussi leur pierre à un esprit atonal et mélodique à la fois, héritier d'un Sun Ra, de la trance, d'une répétitivité et d'un dépouillement que n'aurait pas renié un Stereolab lors de ses premières années.
Un an après, sort ce Free Reign II, qui en remixant le disque à l'envers et augmenté d'un titre inédit, ne rajoute rien à sa gloire et ne restera pas dans les mémoires. On attend toujours la suite...
En bref : ton désabusé, mantra et esprit krautrock se retrouvent forcément dans l'univers du plus inclassable groupe liverpuldien de ces deux dernières décennies. On n'a toujours pas compris les méandres malades de cette musique qui la rendent ainsi répulsive et addictive.
Le site off
"See saw" :
"Seamless Boogie Woogie, BBC2 10pm (rpt)" :