Magazine Culture

Le chant de l’adieu

Publié le 03 novembre 2016 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Quand la vie en donne le loisir, il peut être possible de s’interroger sur la trace que l’on laissera sur la terre après notre passage. De quoi va-t-on se souvenir lorsqu’on se souviendra de nous ? Qu’est-ce qu’on a transmis à nos semblables ? Ce questionnement en arrive à devenir obsessionnel pour certains humains, notamment les artistes, pour qui la postérité après la mort devient gage de culte.

En ce 3 novembre 2016, lendemain du jour des Morts dans la liturgie catholique, j’ai voulu m’intéresser à ce que j’appelle des testaments musicaux. Certains artistes, conscients de la finalité de leur séjour sur la terre, ont ainsi décidé de laisser un dernier message à leurs contemporains qui les pleureront ou les descendants qui les découvriront. Quelquefois, cela tourne en eau de boudin, mais il est certaines fois où l’artiste ouvre son âme pour partager avec le monde entier plus que des pépettes avec sa filiation. Voici quelques exemples que je vais développer ici.

*

Wolfgang Amadeus Mozart, Requiem – KV626 (1791)

Le brave compositeur autrichien étant mort durant sa composition, sa veuve fit appeler plusieurs de ses élèves pour honorer la commande et voir un peu de pognon entrer dans le giron (parce que bon, c’était clairement pas la fête du slip financière chez les Mozart). Si on sait 225 ans après le trépas qu’il n’y avait de la main du maître que des versions partielles du début de la messe – les chœurs, le plus souvent –, et qu’il composait en parallèle La Flûte enchantée et La Clémence de Titus, force est de constater que c’est le Requiem qui marque pour l’opinion le point final d’une carrière au spectre très large. Si bien que la découverte du Requiem en lui-même a été accompagnée de légendes autour de sa composition et de la mort de Mozart. Outre le bordel qu’ont été sa finalisation, sa présentation publique et son édition au début du XIXe siècle, sur fond de procès et d’arrangements à l’amiable, sa composition chaotique n’a cessé d’alimenter les racontars les plus dingues – de la même veine que ceux qu’on raconte sur Elvis à l’heure actuelle. Bref, en guise d’adieu, Mozart, secondé majoritairement par son élève Sussmayr, a frappé de la plus belle des manières.

*

Michel Berger, Le Paradis blanc (1990)

Michel Berger fait partie de ces cas particuliers (comme Daniel Balavoine) où leur dernier succès de leur vivant a a posteriori valeur de testament, alors qu’ils ne pensaient même pas mourir forcément au moment de l’enregistrement de cette chanson. Dans le cas de Michel Berger, Le Paradis blanc est d’autant plus empreinte de paranormal, de surnaturel, d’avertissement connu des seuls initiés que son premier album éponyme où il chante, son deuxième album studio, se fait aussi appeler Cœur brisé (1973). Je sais bien que c’est en rapport avec sa rupture avec Véronique Samson, mais de là à voir un signe de la manière dont il allait mourir (en l’occurrence, d’une crise cardiaque en 1992, quelques mois après avoir sorti un album en duo avec France Gall)…

*

Queen, The Show Must Go On (1991)

Dernière chanson diffusée du vivant de Freddy Mercury, elle est également la dernière piste d’Innuendo (1990) et conçue pour être le dernier cri d’amour du chanteur à son public. Sortie en single le 14 octobre 1991, soit quelques semaines avant le décès du chanteur, le groupe a décidé de mettre en face B… le premier single du groupe, soit Keep Yourself Alive (1973). Ironique jusqu’à la fin ou exhortation pour les fans à la bienveillance envers soi-même, la boucle du groupe était ainsi bouclée. Parmi les nombreuses anecdotes qui entourent cette chanson, vient celle de son enregistrement. Elle peut paraître comme légendaire avec le recul, mais elle témoigne de toute la dimension épique de la chanson. Lorsque Brian May, voyant Freddie Mercury si faible, pense qu’il ne va pas pouvoir enregistrer le morceau, Mercury prend un shot de vodka, annonce I’ll fucking do it, darling et l’enregistre d’une traite. Que voulez-vous que je vous dise…

*

Nirvana, All Apologies (1993)

Mieux qu’une vulgaire lettre de suicide, Kurt Cobain a décidé de mettre fin à sa vie phonographique en présentant ses excuses en chanson. C’est ainsi que se conclut In Utero (1993) – si on ne compte pas le hidden track évidemment, vos gueules, les rageux –, mais aussi le mythique MTV Unplugged enregistré la même année. On peut voir cette chanson comme une manière de se dédouaner du fait qu’il ne puisse pas supporter la pression que procure la célébrité, mais plus globalement, il s’excuse presque de vivre, d’exister, de compter aux yeux des gens. Que de souffrance sublimée par la simplicité et la violence de l’arrangement studio. En effet, la version unplugged que je privilégie aujourd’hui en termes d’écoute est dépouillée de toute la rage pour livrer la substance dramatique du propos.

*

Johnny Cash, Hurt (2002)

Même si ce n’est pas la dernière chanson qu’il ait enregistrée, ni même écrite – puisque l’originale de Nine Inch Nails date de 1994 et n’a pas du tout la même signification que lui donnera le Man in Black 8 ans plus tard –, Johnny Cash a décidé de se l’approprier pour raconter son déclin et sa décrépitude physique. On a l’impression en écoutant cette version d’entendre un mourant livrer ses dernières volontés, et quand le mourant est une légende comme Johnny Cash, on se dit que la vie lui a donné la chance inouïe de ne pas avoir eu une destinée tragique à l’instar de beaucoup de ses confrères et de lui avoir laissé assez de temps pour deviser sur le temps qui passe. Bref, Hurt m’émeut parce que je me sens comme le veilleur du mourant qui a compris la vérité du cœur de la personne qu’il accompagne.

*

Alain Bashung, Il voyage en solitaire (2009)

Encore un artiste qui a choisi de dire adieu autrement qu’avec ses propres mots, puisqu’Alain Bashung a choisi ceux de son ami Gérard Manset. Comme je l’ai déjà dit précédemment, j’adore la version de Manset, qui était pleine d’une simplicité et d’une dimension onirique. Bashung a choisi d’interpréter ainsi la divagation du mourant, dans cet entre-deux flottant où il n’appartient déjà plus à la terre et pas encore au ciel. Cet entre-deux où l’artiste se trouvait peut-être lorsqu’il enregistra cette chanson, lorsqu’il reçut les derniers honneurs quelques temps avant son décès, lorsqu’il décida d’aller au-delà de sa souffrance et de faire ce magnifique bilan de sa vie qu’est Bleu Pétrole.

*

David Bowie, Lazarus (2016)

Sortir un album des plus remarquables et décéder 3 jours après, une démarche inverse de la résurrection du Christ. Mais David Bowie, en bon artiste caméléon, a su mettre en scène jusqu’à sa propre mort et je trouve ça absolument incroyable. Tel un Molière qui décida d’interpréter Le Malade Imaginaire au point de mourir en coulisses suite à une représentation, David Bowie avait décidé que l’agonie n’allait pas arrêter sa quête d’expression de sa personnalité. Ne jamais se contredire, même face à la mort, telle est la gageure de l’artiste, et plus globalement de l’humain.

*

Mourir est le lot de chacun, mais savoir mourir avec panache est tout un art. Et en ce lendemain du jour des Morts, il me semblait important de rappeler ces artistes qui ont su assez anticiper leur départ pour nous livrer les plus beaux messages.



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Storiagiovanna 886 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines