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Flore Hazoumé : Juste une histoire de coeur

Par Gangoueus @lareus
Flore Hazoumé : Juste une histoire de coeur
Alors que l’on débriéfait avec l’écrivaine ivoirienne Flore Hazoumé dans le cadre de la préparation de la conférence inaugurale du festival Paroles indigo, je lançais un dard : « Votre texte est naïf ».  Je ne me connaissais pas aussi direct et finalement discourtois face à une femme dont la compagnie est fort agréable.
Il faut dire que le nouveau recueil de nouvelles de Flore Hazoumé qui a publié plusieurs ouvrages en Côte d’Ivoire pose de nombreuses questions sur ldifférents processus de réconciliation. Pour cela, elle explore plusieurs lieux où après le passage de la furie et folie humaine il semblait impossible de reconstruire un projet commun et naturellement d’envisager une esquisse de réconciliation. Elle fait un tour de la planète pour atteindre cet objectif. Côte d’Ivoire. Rwanda. Haïti. Afrique du Sud. Iraq. Dans chacune des nouvelles, Flore Hazoumé met en scène la difficulté de la reconstruction et de la nécessité pour les individus de choisir la paix.
Juste une histoire de coeur est un recueil de nouvelles très intéressant pour observer le dispositif narratif que l’écrivaine ivoirienne propose pour évoquer sa vision de la réconciliation. Un jeune homme a été grièvement blessé pendant les conflits post-électoraux qui ont ensanglanté la Côte d'Ivoire en 2010. Afin qu’il puisse survivre, le corps médical décide de la transplantation d’un coeur. De fil en aiguille, alors que le patient reprend connaissance et qu’il réalise l’opération qui a été faite, on découvre que le jeune homme faisait partie des milices extrêmement violentes qui sévissaient sur les résidences universitaires abidjanaises, barbouzes semant la terreur et la destruction sans aucun scrupules. Il était payé pour ses actions violentes. Il nourrissait surtout sa famille par ce procédé. Flore Hazoumé donne le portrait d’une figure qui a occupé l’avant-scène de la scène politique ivoirienne : l’étudiant milicien.  Il viole. Il frappe. C’est en tout cas par des flashbacks que la mémoire lui revient. Il se passe un phénomène étrange. Il est mû par des pulsions et des envies nouvelles. Lui, le fils d’une famille modeste musulmane qui habite une cour commune se découvre des appétits nouveaux, des sensibilités nouvelles. Le lecteur découvre une cohabitation violente en ce jeune homme. Celle du coeur à la fois apaisé et angoissé d’une autre personne, d’une victime dans le corps porteur de haine de Dieudonné. Le coeur d'une de ses victimes, sauvagement violé et assassiné. Il est intéressant de découvrir la chute et ne compter pas sur moi pour vous la livrer.
La seconde nouvelle est construite sur le même modèle. Sauf qu’elle se passe elle illustre son propos cette fois-ci avec le cas du Rwanda. Une jeune femme tutsi qui avait tout et qui a tout perdu et porte en elle le fruit des viols subis. Dilemme. Conflit encore dans le corps qui sert de métaphore pour illustrer le processus de réconciliation imposé sans dialogue. J’ai d’abord pensé à une forme de naïveté de l’auteure. D’autant que Flore Hazoumé poursuit son tour du monde des processus de réconciliation et le cas d’Haïti où depuis les indépendances, donc deux siècles, mulâtres et noirs se regardent en chien de faïence selon le prisme du degré de couleur de la peau et de la puissance économique qui nivelle les rapports entre haïtiens et rappelle les fondations branlantes d’une nation non réconciliée. Le tremblement de terre serait une opportunité pour rappeler une terrible évidence : le territoire partagé est unique.
Je pense toutefois que si le texte ouvre le champ de réflexion, force l’attention par l'originalité et la qualité de l'écriture dont use la romancière ivoirienne pour mettre en scène la réconciliation en Côte d’Ivoire en s’appuyant sur des scénarii multiples, on peut regretter que le fait que ces textes soient trop courts pour susciter suffisamment l'engagement du lecteur. De mon point de vue, la réconciliation imposée est porteuse d’une violence qui prend des formes nouvelles. Le cas de l’Afrique du Sud est de ce point de vue particulièrement révélateur pour qui a vu les films de John Kani ou encore à eu la possibilité de lire les jeunes auteurs noirs d’Afrique du Sud comme Kgebetli Moele.
La misère, source de nombreux maux
Son père suivait la scène, le visage et le regard fermés, mais Dieudonné, lui, savait lire à travers ce mur d'indifférence. La honte, l'humiliation, la lâcheté, le désespoir, la peur, la colère composaient dans la tête de son père une symphonie assourdissante dont chaque note lui rappelait son incapacité à nourrir sa famille. Mais la vie est ainsi faite. C'est celui qui a l'argent qui a le pouvoir. Dieudonné, à coup de poing, à coup de crosse faisait bouillir la marmite.
Extrait de la nouvelle Juste une histoire de coeur. Editions Les classiques ivoiriensUn recueil de nouvelles écrit avec beaucoup de coeur.

Flore Hazoumé, Juste une histoire de coeurEditions Les classiques ivoiriens, première parution 2015 

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