Partager la publication "[Critique] MILES AHEAD"
Titre original : Miles Ahead
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Don Cheadle
Distribution : Don Cheadle, Ewan McGregor, Emayatzy Corinealdi, Michael Stuhlbarg, Keith Stanfield…
Genre : Biopic/Drame
Date de sortie : 17 juillet 2016
Le Pitch :
Miles Davis, le virtuose qui réinventa à lui tout seul le jazz, a disparu de la circulation. Reclus, il se complaît dans un mode de vie fait d’excès, afin notamment de faire taire une douleur chronique à la hanche. Un jour pourtant, un journaliste de Rolling Stone arrive à pénétrer chez la légende, afin d’essayer de lui soutirer une interview. Réticent et plutôt agressif, Davis finit néanmoins par se rapprocher du journaliste, qu’il entraîne dans une folle course-poursuite à travers la ville…
La Critique de Miles Ahead :
Imaginons un peu que Walk The Line, le biopic de Johnny Cash, soit sorti en 2015 et que Joaquin Phoenix n’ait pas eu la même notoriété qu’on lui connaît. Le film serait-il sorti en salle ? La question est légitime car après tout, c’est précisément le long-métrage qui permit à la France de s’ouvrir davantage à la musique de Cash. Idem avec le biopic de Jerry Lee Lewis sorti en 1989, avec Dennis Quaid dans la peau du Killer. Non parce que dans tous les cas, on parle de grands noms de la musique. Des artistes qui ont compté et qui comptent toujours. Des gens comme Hank Williams et Miles Davis. Williams et Davis, dont les biopics ont justement connu le même sort chez nous, où ils sont sortis directement en VOD, dans un anonymat un peu scandaleux au vue de l’importance de leur sujet pour toute personne un tant soit peu versée dans la musique.
Et peu importe finalement si I Saw The Light (le biopic d’Hank Williams) et Miles Ahead (celui de Miles Davis) ne sont pas des chefs-d’œuvre. Ils n’auraient quoi qu’il en soit pas dépareillé à l’affiche des multiplexes et auraient d’ailleurs pu encourager les jeunes générations à prêter une oreille aux classiques de ces maestros. Surtout avec Tom Hiddleston (Williams) et Don Cheadle (Davis) aux commandes… Mais on s’égare.
Miles Davis dans la tourmente
Gros fan de Miles Davis, Don Cheadle a monté Miles Ahead grâce au financement participatif et a donc pu évoluer dans une liberté quasi-totale. Son biopic traduit-il cette liberté ? Plutôt oui. Non pas que le fait de voir l’histoire du trompettiste se raconter au fil de nombreux flash-back soit foncièrement originale, mais Cheadle maîtrise sa narration, c’est évident et le déroulement de son film sait entretenir une rythmique. Y compris quand tout devient un peu chaotique. Parfois à l’image de certaines compositions génialement inspirées de Davis, le long-métrage joue sur une déconstruction de certains gimmicks propres au biopic et tente de correspondre le maximum possible à son protagoniste principal.
Ce qui est plus surprenant, c’est que Don Cheadle ait choisi de nous présenter Miles Davis alors que celui-ci traverse non seulement une période difficile d’un point de vue créatif, mais aussi marquée par les excès en tous genres. Les fameux retours dans le temps se chargent de mettre le talent du musicien en exergue et reviennent également sur sa percée dans le monde du jazz, mais la majorité de l’intrigue se focalise sur un Davis limite schizophrène, qui n’a jamais le nez très loin d’un bon gros tas de cocaïne. Le regard fou, le cheveux hirsute, il se balade dans sa grande maison en boitant, hurlant sur le journaliste venu lui quémander une interview et au final, sans que l’on sache exactement quelle image de Davis le réalisateur a voulu donner, c’est celle d’un homme à la dérive qui reste en mémoire.
On pourra apprécier cette volonté d’illustrer cette sorte de retour en grâce qui intervient à la fin du film mais le Miles Davis de Miles Ahead, qui à un moment, n’est plus capable de sortir une note de sa trompette, laisse un peu septique quant au sens de la démarche. Bien sûr, à côté de cela, les choix de Cheadle lui permettent de se démarquer et de s’éloigner de la vision idéale de l’artiste que donnent parfois les biopics, mais la chose reste déconcertante.
Une interprétation à toute épreuve
Le numéro auquel se livre Don Cheadle reste le gros point fort du film. Dans la peau de Miles Davis, que ce soit au moment de son ascension ou quand il chute, le comédien fait des merveilles et traduit une totale compréhension du personnage. Le fait de retrouver dans un second rôle lui aussi plutôt intéressant car assez inattendu, un comédien de la trempe d’Ewan McGregor, lui aussi parfait, confère évidemment au métrage un surplus de prestige et si le mode de distribution aurait pu laisser craindre un spectacle formellement en dessous d’autres productions du même genre, il n’en est est rien.
Un peu bancal, Miles Ahead n’en reste pas moins très classieux, comme en témoigne notamment le générique de fin, pour sa part entièrement consacré à mettre une ultime fois en lumière le génie d’un musicien qui a marqué de son empreinte l’histoire de la musique moderne, au-delà des étiquettes et des modes.
En Bref…
L’approche de Don Cheadle est pour le moins étrange et si il reste irréprochable devant sa propre caméra tout en faisant preuve d’un esprit frondeur qu’il serait bien malvenu de remettre en question, sa façon d’aborder les choses fait de Miles Ahead un film atypique mais aussi assez inégal. Pas aussi passionnant que prévu, il reste notable mais traduit aussi un embarras à saisir la complexité d’un personnage, entre clichés persistants propres à l’exercice du biopic et tentative maladroite de rompre avec la tradition. On ne parlera pas de rendez-vous manqué, mais c’était moins une.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Sony Pictures Home Entertainment