Partager la publication "[Critique] TU NE TUERAS POINT"
Titre original : Hacksaw Ridge
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Mel Gibson
Distribution : Andrew Garfield, Teresa Palmer, Vince Vaughn, Sam Worthington, Luke Bracey, Hugo Weaving, Rachel Griffihts, Luke Pegler…
Genre : Guerre/Biopic/Drame
Date de sortie : 9 novembre 2016
Le Pitch :
Objecteur de conscience et fervent croyant, Desmond Doss décide néanmoins de s’engager dans l’armée quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Il se retrouve alors dans un camp d’entraînement où son désir de ne pas toucher une arme et de servir en tant qu’infirmier, font de lui une sorte de pariât. Conspué par les autres soldats et par sa hiérarchie, qui ne comprennent pas son refus de tuer, il finit pourtant par embarquer pour le Japon où son courage et ses croyances font faire de lui le héros de la bataille d’Okinawa. Histoire vraie…
La Critique de Tu ne tueras point :
Presque 10 séparent les sorties françaises d’Apocalypto et de Tu ne tueras point. 10 années durant lesquelles Mel Gibson a eu le temps de devenir tricard à Hollywood avant de revenir par la petite porte, plusieurs fois, dans des séries B et autres productions indépendantes, pilotées par des proches toujours fidèles (comme Jodie Foster) ou par ceux qui estimaient peut-être que l’acteur méritait une seconde chance (Sylvester Stallone notamment). Aujourd’hui, avec Hacksaw Ridge, qui intervient quelques semaines après le fadasse Blood Father dans lequel il joue le premier rôle, Mad Mel revient véritablement sur le devant de la scène. Car si il ne joue pas dans le film et que le projet lui fut soumis, ce dernier lui ressemble vraiment. L’occasion de vérifier que tout ce qui a pu lui arriver ces dernières années n’a pas du tout entamé sa soif de cinéma et son talent inouï pour donner du corps à une vision toujours acérée. Bien au contraire…
Mel Gibson et le sixième Commandement
Le titre original du long-métrage fait directement référence au lieu de la bataille où s’illustre le protagoniste central. Le titre français lui, renvoie au commandement de la Bible qui interdit aux hommes de tuer. Un choix logique, à défaut d’être subtil, qui donne le ton d’une incroyable histoire vraie dans laquelle un homme seul a sauvé un grand nombre de ses camarades sur le champ de bataille, sans jamais se servir d’une arme. Un homme très pieu, élevé dans la violence par un père lui même traumatisé par la guerre, qui un jour, a décidé de servir Dieu en devenant infirmier dans l’armée pendant les heures les plus sombres de l’histoire du monde. On imagine à quel point la vie de Desmond Doss, l’objecteur de conscience en question, a touché Mel Gibson au vif, lui qui s’est véritablement approprié le récit pour lui offrir une illustration cinématographique à la fois aussi fidèle que possible, mais aussi parfaitement raccord avec l’idée d’un septième-art noble et grandiose, dont l’une des principales caractéristiques est de ne jamais tourner le dos à un certain classicisme. Loin de dénaturer les choses, ce n’est pas son genre, Gibson a exploité le scénario de Robert Schenkkan et Andrew Knight à la manière des grands maîtres d’antan, en prenant soin de soigner les personnages et leur environnement. Tu ne tueras point s’inscrit donc dans une tradition purement hollywoodienne. Il est porté par un souffle omniprésent et ne tourne jamais le dos à ses idéaux. De même que Mel n’a pas peur d’exprimer avec force et vigueur la foi du héros pour en faire le moteur de son film, il ne craint pas non plus de se frotter à ce classicisme en question et utilise tout son savoir-faire pour offrir à l’héroïsme de Doss un écrin aussi flamboyant et respectueux que possible. Très iconique. C’est aussi ce qui fait de Gibson un artiste rare. Car si il s’est souvent plié aux désirs des réalisateurs pour lesquels il a tourné, quitte à verser dans les excès ou à se retrouver dans des trucs bien tièdes, ses réalisations n’ont jamais souffert du moindre compromis. On connaît les convictions profondes de l’homme et on les retrouve dans Tu ne tueras point, sans que ce ne soit trop souligné non plus. Il se trouve qu’ici, Gibson ne fait finalement que respecter son sujet et essaye, avec succès, d’y rendre justice en s’impliquant un maximum, artistiquement et humainement.
Tu ne tueras point : un film hors du temps
Opposé au système de production actuel, Mel Gibson a logiquement enfanté une œuvre qui se démarque d’emblée dans le paysage contemporain. Romantique, grandiose, tendre dans un premier temps, Hacksaw Ridge s’échine dans sa deuxième partie à mettre à mal l’innocence de son héros et de tous ces soldats pris dans les affres d’un conflit dont ils ne sont que des marionnettes actionnées par des dirigeants lointains. Et là, autant prévenir que ça fait mal. Jamais depuis Il faut sauver le Soldat Ryan, un film sur la Seconde Guerre n’a réussi avec autant de portée à retranscrire l’horreur de la guerre. Pas complaisant pour deux sous, Mel Gibson ne donne pas dans la violence gratuite mais nous fait regarder droit dans les yeux un monstre fou-furieux, au rythme de mises à mort barbares. Les corps s’empilent, les balles fusent, la détresse se mêle à la détermination dans les yeux de centaine d’hommes qui ne pouvaient pas imaginer ce qui les attendait sur cette île transformée en véritable enfer.
Gibson extrait l’essence même de la guerre pour mettre en exergue son absurdité et son caractère inéluctable. Ses images dégagent une émotion folle. Avec une précision incroyable, toujours au bon endroit, soutenu par un montage parfaitement cadencé, le cinéaste fait parler une maestria hallucinante, et livre un spectacle viscéral, immersif (le travail sur le son est stupéfiant), dur et totalement tétanisant. Impossible d’en ressortir indemne tant ses scènes prennent à la gorge. Loin de se résumer à des fusillades entre deux armées rivales elles arrivent à illustrer toutes les thématiques qui animent le film, saisissent l’essentiel et encouragent l’explosion d’émotions dévastatrices. Incroyable tout simplement.
En toute logique, ce déferlement pyrotechnique n’est pas le fruit d’un programme informatique. En bon réalisateur old school garant d’un état d’esprit bien précis, Gibson a tenu à donner au maximum dans le tangible. À l’écran, ça fait la différence et si effets-spéciaux « modernes » il y a, ces derniers s’insèrent parfaitement dans la démarche vintage qui sert le propos global. Visuellement, on a clairement affaire à quelque chose de sublime sur tous les plans.
Il faut sauver le soldat Gibson
On a beaucoup tapé sur Mel Gibson au cours des 12 dernières années. Au point que certains n’ont pas hésité à le taxer de fanatique ou d’ultra violent. Mais Tu ne tueras point n’est pas l’œuvre d’un tel homme. Tu ne tueras point est le fruit de la passion et des convictions d’un type certes complexe et quoi qu’il en soit marqué par les abus, qui pour le coup, fait preuve d’un sens de la mesure incroyable. C’est le travail d’un artiste complet et ô combien doué. Loin de s’excuser une nouvelle fois, Mel Gibson passe ainsi à autre chose, trace à sa route et nous gratifie d’une fresque magnifique d’ores et déjà culte.
Gibson qui dirige parfaitement un casting pertinent et burné. Andrew Garfield, en première ligne, devrait définitivement faire oublier qu’un jour, il s’est fourvoyé en campant Spider-Man (deux fois à vrai dire). Il est formidable. Tellement émouvant, tellement crédible, tout en nuances. Il est le meneur d’une troupe de comédiens qui tiennent vaillamment leurs postes, de Teresa Palmer, excellente dans un rôle à lui tout seul porteur d’un romantisme classique tellement éloquent, à Vince Vaughn, parfait, en passant par un intense Sam Worthington. Rien n’est laissé au hasard de ce côté là non plus. Il n’y a qu’à voir l’aisance avec laquelle les acteurs parviennent à jouer sur les ruptures de ton, positionnant par exemple habilement l’humour sans tomber dans le ridicule ni casser la tension, en accord avec un scénario superbement écrit, pour s’en convaincre. Tu ne tueras point sait aussi nuancer. Toujours.
En Bref…
Chef-d’œuvre total en forme de nouvelle référence d’un genre pourtant riche en œuvres remarquables, Tu ne tueras point devrait faire date. Mel Gibson y exprime tout son talent et quelques-unes de ses convictions les plus fondamentales en tant qu’homme et en tant que réalisateur, se livrant à un brillant exercice d’équilibriste, duquel il ressort gagnant. 10 ans après le terrifiant Apocalypto, il nous gratifie d’un drame guerrier pertinent où la beauté tient tête à l’horreur d’un monde à la dérive. Une leçon d’espoir dénuée de cynisme à la force décuplée. Du grand cinéma. Du très grand cinéma.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Metropolitan FilmExport