De retour cette année à Cannes après une très longue absence, Verhoeven affichait sa volonté de continuer à marquer de son empreinte le paysage cinématographique, tout en changeant substantiellement la texture de son travail. S'étant d'abord fait connaître dans sa patrie d'origine (les Pays-Bas avec notamment Turkish Delices et Spetters) avant d'exploser à Hollywood entre 1987 ( Robocop) et 1997 ( Starship Troopers), il avait dû essuyer les critiques désastreuses de Showgirls puis Hollow Man qui l'ont sans doute poussé à un retour aux sources réussi ( Black Book, un film très fort avec l'extraordinaire Carice Van Houten en 2006). Et c'est en France, avec un casting français qu'il a fini par choisir d'adapter le roman de Philippe Djian qui lui faisait de l'œil depuis quelques temps.
De son propre aveu, le choix de l'Hexagone vient essentiellement de celui de l'interprète principale, Isabelle Huppert ayant très vite donné son assentiment au projet là où toutes les comédiennes américaines contactées avaient opposé une fin de non-recevoir. Pas facile ni évident en effet, pour leur image et leur carrière, d'endosser un rôle aussi équivoque, trouble et moralement discutable - éléments qui au contraire semblent souvent être des critères stimulants pour l'actrice de Une affaire de femmes, la Cérémonie ou surtout la Pianiste, comme si notre Isabelle se faisait un malin plaisir de briser des tabous sur grand écran. Le fait est que son style de jeu particulier, avec cette tonalité inimitable qui fait d'elle une créature à la fois froide et calculatrice et sa capacité incroyable à sortir brutalement de sa coquille en fissurant son image posée, lui permettent de se placer aisément au diapason de personnages divergents, cyniques et ambigus, qu'on adore détester.
Le film est ainsi une sorte d'écrin qui reflète intégralement le caractère singulier de l'actrice et de son personnage difficilement définissable : le chef opérateur a ainsi opté pour une image aux couleurs froides et délavées, ajoutant un peu de recul dans l'observation de ce drame particulier dans lequel la victime paraît prendre son prédateur dans ses propres rets. Elle débute par un viol, brutal, âpre et bref, dont on ne verra les images qu' a posteriori. Immédiatement, on est interpellé par l'acte avant de l'être par la réaction de Michèle, tout d'abord incompréhensible. Au spectateur du coup d'essayer de comprendre les motivations de cet être en apparence insensible mais pas masochiste, célibataire par choix mais à la vie sexuelle chaotique, chef d'entreprise dans le milieu du jeu vidéo et mère d'un jeune homme insupportable de mollesse. Une célibattante cynique à qui il manque toutefois, cruellement et ostensiblement, une certaine joie de vivre, d'autant qu'un passé mortifère et tragique vient perturber le fragile équilibre qu'elle s'était construit, envers et contre tous - et notamment ses proches. Sous son apparence de bourgeoise chic adepte du high-tech se cache tant d'incongruités qu'on ne parvient jamais à comprendre véritablement quelles en sont les motivations. Elle persifle (voire humilie publiquement) sa mère qui cherche à croquer la vie malgré un âge avancé, elle vitupère (voire conchie) son père qui purge une longue peine pour le crime atroce qu'il a commis alors qu'elle était enfant, elle critique (avec raison) l'arrogance de la petite amie de son fils qui le manipule avec toute la science innée des femmes dans le besoin, elle mène son équipe de gamers-programmeurs à la baguette et sans aucune émotion mais continue régulièrement à voir son ex qui semble, avec sa meilleure amie et collaboratrice, la personne qui la connaît le mieux - c'est-à-dire pas vraiment, tout compte fait. Michèle est une énigme tant pour ceux qui tiennent un peu à elle que pour ceux qui ne supportent pas ses airs hautains, sa dignité affectée ou son manque d'empathie. Par ses réflexions désabusées comme par son attitude glaciale ou son ironie mordante, elle sait parfaitement se faire détester.
Et pourtant, elle plaît. Elle laisse mariner un de ses employés qui se meurt d'amour pour elle, couche avec le mari de son amie et s'amuse à séduire le sémillant voisin plein de charité chrétienne.
Toutefois, Michèle a été violée. Au lieu de se plaindre, elle avance. Au
lieu de se réfugier, elle avance. Au lieu de se morfondre, elle avance. Continue sa vie tout en fomentant une contre-offensive. Elle va observer, calculer, se préparer. Comme si elle était persuadée que le coupable allait recommencer - comme si elle l'avait percé à jour le temps de ce bref mais douloureux et humiliant rapport. Certes, elle va s'armer pour être prête lorsque la récidive viendra, mais ce qui compte c'est qu'elle ne fait rien pour empêcher cette récidive. Au contraire, elle veut cette fois voir son agresseur, le confronter. Cela devient une obsession, perverse, dont elle construit confusément les règles au fur et à mesure que progresse son semblant d'enquête. On passe la première heure à se demander s'il s'agit d'une vengeance dirigée contre son père, d'une punition pour ne pas avoir accepté des avances, de sévices en contrepartie d'un lynchage public ou simplement le fait d'un détraqué qui s'est trompé de victime.ne suscitera pas la tendresse ou la pitié, mais une interrogation coupable et de nombreuses questions aux réponses fugaces, délétères et jamais satisfaisantes. Mais procurera quelques moments de pur cinéma iconoclaste.
Michèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d'une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d'une main de fer. Sa vie bascule lorsqu'elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s'installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer.
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