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Carrive, aux alentours de Gide

Par Blogegide
Carrive, aux alentours de Gide
Le 17 novembre 2016, Tajan proposera aux enchères la bibliothèque de Jean Carrive, curieusement réduit à l'état « d'écrivain surréaliste », puisqu'il n'est question ici que de sa bibliothèque surréaliste et de ses échanges avec les membres du mouvement.
Né en 1905 dans une famille protestante modeste du Bordelais, le jeune Jean Carrive écrit à Breton alors qu'il n'a que 15 ans.
Une relation se noue rapidement, relation forte comme on peut le voir dans l'une des lettres de Breton mises en vente, et dans laquelle il est rapidement fait mention d'André Gide :
« Depuis trois ans que je dirige Littérature, avec tout le désespoir que cela suppose, je n’ai jamais reçu de lettres qui aient autant de raisons de m’émouvoir que les vôtres. Dans ce conflit, après tout terrible, qui est celui du subjectif et de l'objectif, je n'ai rien enregistré pour mon compte que de déplorable. Les rencontres sont rares. Moi qui ai écrit spontanément à Valéry (1913), à Apollinaire (1915), à Tzara (1917), à Picabia (1918), et même à Baron (1922), il est extraordinaire qu’on soit venu me trouver (Eluard, Gide ! Proust ! Péret). C’est à se demander bien souvent si ce qu’on croit faire (dans le sens de l’absolu, pourquoi pas ?), n’est pas tout à fait vain et comment il se fait, tout de même, que presque personne au monde n'ose ce geste que vous avez fait et qui, c'est sans doute très sot, me rend tout-à-coup une foi immense. Je vous disais que j'avais presque toujours fait les premiers pas. Je n’ai jamais rencontré, ce qui s’appelle rencontrer, que Vaché (ah ! oui) et Aragon. Mais vous, vous venez en somme de très loin, et vous touchez d’emblée à un de mes deux ou trois points sensibles : Ducasse, Sade aussi, ce qui est beaucoup plus curieux. De cela, je vous rends infiniment grâce, et rien que pour ces paroles, vous me trouverez toujours quand vous aurez besoin de moi. »

On est en 1923, Carrive a 18 ans, Breton à peine dix de plus. Il cheminera encore quelques années avec les surréalistes, comme en témoignent les archives André Breton, puis s'éloignera à partir de 1928, sans rompre complètement avec Breton. C'est probablement grâce aux recommandations de ce dernier, qu'aux côtés d'Adamov et Monny de Bouly, il commence à s'intéresser à Kafka, avant de poursuivre ses recherches à Breslau, l'actuelle ville polonaise de Wroclaw alors allemande, où il rencontre sa future épouse, Charlotte Behrendt.
La jeune femme est issue de la bourgeoisie cultivée, le fameux « Bildungsbürgertum », d'une famille d'origine juive, convertie au protestantisme et à la « Kulturreligion » : l'un de ses ancêtres est Moïse Hess, le premier communiste et sioniste allemand, qui publiait la Gazette Rhénane avec Karl Marx à Paris ; son père, Fritz Behrendt, était l'architecte de la ville de Breslau ; sa mère et sa tante furent les premières femmes allemandes de formation universitaire... Un milieu qui n'est pas sans rappeler ceux fréquentés par Gide en Angleterre et au Luxembourg.
Après l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, Jean Carrive convainc Charlotte de s'installer en France, en Gironde. Ils se marient en 1934 et commencent leurs travaux de traductions, lui Kafka, elle Rilke. Carrive traduira les pièces courtes de Kafka, tandis que Vialatte s'occupe des romans, ou de la pièce Le Procès dont Gide et Jean-Louis Barrault tireront une pièce.
Parmi les nouvelles amitiés littéraires de cette époque, citons encore ceux que Carrive nomme « les Pierre géniaux »: Pierre Bertaux, Pierre Leyris et Pierre Klossowski, qui avaient été tous trois élèves dans la même classe au lycée Janson-de-Sailly. Gide était alors le « répondant » du jeune Pierre Klossowski, avant d'en faire, brièvement, son secrétaire. Klossowski dont la mère est née, comme Charlotte Carrive, à Breslau...
C'est d'ailleurs Klossowski qui prononcera l'oraison funèbre à la mort de son ami Carrive, en 1963 :
« Toute votre vie si intense, si rapide et si allègrement dépensée dans la solidarité des souffrances, mais aussi dans une franche aspiration à la beauté de la vie (…), votre certitude de retrouver et de maintenir la splendeur des mondes disparus comme autant de raisons d'être pour l'homme aujourd'hui, voilà bien ce qui fait de vous une digne et singulière figure de la race humaniste du libre examen, cette secrète nation qui, par-delà la révocation de l'édit de Nantes, a marqué et approfondi la conscience française en l'enrichissant de cette rare propension à une incessante interrogation de soi-même, la douant aussi d'une curiosité jamais satisfaite à l'égard de tout ce qui doit décider de nos destins. »
Il ne semble pas y avoir de traces d'échanges entre Gide et Carrive, malgré ces passerelles et points communs.

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