Quatre sur scène (plus un metteur en scène, un guitariste, un scénographe, une costumière, et un créateur des sons et des lumières), voilà la Fabrique de Théâtre. Un collectif. Une utopie.
Ils présentent de courtes pièces de Heiner Müller, un auteur qui « a écrit l’essentiel de son oeuvre dans un pays qui n’existe plus, la République Démocratique Allemande ». Ils nous invitent à tourner le regard vers cette époque où les Allemands de l’Est espéraient la construction de l’homme nouveau (quand ils ont vu la construction d’un mur). Un homme nouveau… sous surveillance permanente. Il en est ainsi des amoureux qui ne savent pas qui les observe. Un homme nouveau comme celui qui a volé le feu des dieux, Prométhée, mais Prométhée est enchaîné sur un rocher, le foie mangé par un aigle; et, quand Héraclès vient le délivrer, après des milliers d’années, Prométhée ne veut pas qu’on lui retire ses chaînes, qu’on tue l’aigle à qui il s’est tellement attaché puisqu’il le nourrit en même temps qu’il le fait souffrir. Un homme nouveau prisonnier d’une forêt dans laquelle il pense traquer une bête avant de se rendre compte que la forêt est la bête. Un homme nouveau, en tous points pareil aux Atrides, qui s’entretuent sans cesse et ne savent faire que cela : tuer, mourir, guerroyer, tuer, mourir, comme les personnages grotesques d’un jeu de massacre. Un homme nouveau dans un État nouveau, mais « l’État a besoin d’ennemis de même que le moulin a besoin de grains », quand bien même il faudrait les inventer.
Et les acteurs passent d’un registre à un autre : ils racontent, ils jouent, ils utilisent des accessoires, une petite machine qui produit des sons, des loupes qui grossissent les visages et les bouches, des costumes, une table qui fera office de mur pour exécuter le soldat récalcitrant ou d’autel pour le sacrifice. Ils nous avaient dit, avant que nous entrions dans la salle, qu’ils nous feraient voyager d’île en île, ou dans une galaxie d’étoiles rouges. Nous nous sommes laissés entraîner par la tendresse, le rire, l’angoisse et, à la fin, nous avons partagé ces histoires non seulement parce qu'elles évoquent le passé d’un pays qui n’existe plus, mais aussi parce qu'elles nous concernent encore aujourd’hui : la forêt dans laquelle nous marchons est encore la bête, l’hydre. Il serait temps de la reconnaître pour ce qu’elle est.
Textes de Heiner Müller - Mise en scène : Yves Brulois - avec : Cédric Duhem, Céline Dupuis, Mélissandre Fortumeau, Félix Verhaverbeke, et, dans la dernière scène, Yves Brulois - Guitare et assistanat : Roland Arquisch - Scénographie et accessoires : Olivier Sion - Création sonore et lumières : François Cordonnier - Costumes : Alexandra Charles.
J'ai vu ce spectacle à Marquise (62) dans le cadre des Semaines théâtrales du château Mollack.