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Le Caravage par le détail

Publié le 21 novembre 2016 par Savatier

Le Caravage par le détailLe Caravage (1571-1610) occupe une place singulière dans la peinture occidentale. Personnage à la fois étrange et scandaleux de son vivant, mauvais garçon supposé dépravé et résolument belliqueux qui n'hésitait pas à jouer de l'arme blanche, il révolutionna la peinture à cette époque charnière qui sépare la Renaissance du Baroque, en introduisant un naturalisme radical dans son esthétique. Une telle approche ne pouvait que susciter la controverse car, comme Courbet 250 ans plus tard, il agaçait les esprits conservateurs en alliant démarche novatrice et virtuosité technique irréprochable.

Celle-ci se mesure particulièrement à l'examen des détails qu'il reproduisait dans ses tableaux, et c'est ce regard que l'historien de l'art Stefano Zuffi porte sur les œuvres du maître dans un nouveau livre remarquablement illustré, Le Caravage par le détail (Hazan, 288 pages, 39,95 €). L'auteur le précise dans son introduction, " Le " détail " [...] est un aspect fonctionnel de la représentation : il participe à la compréhension de l'épisode narratif, rappelle quelques traits symboliques des sujets ou des personnages, mais n'a que rarement son autonomie expressive. "

Cette définition s'applique naturellement à de nombreux cadrages serrés des 55 tableaux analysés au fil des pages et organisés en neuf chapitres thématiques. L'attirance du peintre pour les lames acérées brandies ou prêtes à jaillir, les têtes tranchées issues de scènes bibliques, les animaux (moutons et chevaux, surtout), le corps dévoilé sans concession à un beau idéal et à la limite de la caricature, les figures expressives d'un réalisme troublant (dont des autoportraits dissimulés), participe en effet à la puissance narrative de sa peinture. Chaque fragment, même infime et souvent mis en valeur par un étonnant traitement de la lumière, exerce sa fonction de suggestion, à la façon d'une image subliminale. Ainsi, dans l'Incrédulité de saint Thomas (1603), si l'œil du spectateur est d'abord attiré par l'hallucinant index de Thomas fouillant la blessure faite au flanc du Christ, il peut aussi noter le contraste qui sépare les ongles sales de l'incrédule et ceux, parfaitement manucurés, de Jésus. L'iconographie christique se trouve respectée, qui allie la pureté de l'Esprit à celle du corps d'où toute pilosité - à l'exception des cheveux et, après le 1er millénaire, de la barbe - ou toute souillure est absente.

Le Caravage par le détail

On notera aussi, dans Marie-Madeleine repentante (1595-96), les bijoux éparpillés et notamment un collier de perles. Ici, ils symbolisent un renoncement ; Courbet, dans sa grande toile saphique Le Sommeil (1866), emploiera un artifice identique, cette fois pour évoquer les ébats passionnés auxquels ses deux modèles venaient de se livrer.

Pour autant, certains détails pourraient, sous le pinceau du Caravage, à bon droit revendiquer leur autonomie. Tel est notamment le cas des natures mortes qui jouent dans plusieurs tableaux un rôle bien plus important que la simple ornementation. Isolées, elles forment des œuvres par elles-mêmes, des tableaux dans le tableau, génialement exécutés, comme le spectateur le constate devant Garçon à la corbeille de fruits (vers 1593), Bacchus (1594-95), Le Joueur de luth (1596) ou Le Souper à Emmaüs (1601). L'excellente qualité des reproductions à pleine page proposées dans ce livre viennent en appui des commentaires convaincants et accessibles à tous de l'historien de l'art.

Illustration : L'Incrédulité de saint Thomas (1603), détail des mains du Christ et de Thomas.

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À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008

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