réalisé par Mel Gibson
avec Andrew Garfield, Vince Vaughn, Teresa Palmer, Sam Worthington, Hugo Weaving, Rachel Griffiths, Luke Bracey, Richard Roxburgh...
titre original : Hacksaw Ridge
Film de guerre, drame, biopic américain, australien. 2h11. 2016.sortie française : 9 novembre 2016
Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, Desmond, un jeune américain, s'est retrouvé confronté à un dilemme : comme n'importe lequel de ses compatriotes, il voulait servir son pays, mais la violence était incompatible avec ses croyances et ses principes moraux. Il s'opposait ne serait-ce qu'à tenir une arme et refusait d'autant plus de tuer.
Il s'engagea tout de même dans l'infanterie comme médecin. Son refus d'infléchir ses convictions lui valut d'être rudement mené par ses camarades et sa hiérarchie, mais c'est armé de sa seule foi qu'il est entré dans l'enfer de la guerre pour en devenir l'un des plus grands héros. Lors de la bataille d'Okinawa sur l'imprenable falaise de Maeda, il a réussi à sauver des dizaines de vies seul sous le feu de l'ennemi, ramenant en sûreté, du champ de bataille, un à un les soldats blessés.
On ne va pas juger l'homme qui a pu défrayer la chronique par le passé (en espérant tout de même qu'il ait changé) mais uniquement l'artiste, extrêmement talentueux, que ce soit devant ou derrière la caméra. Dix ans après le très bon Apocalypto, Mel Gibson revient en force avec Tu ne tueras point, présenté récemment à la Mostra de Venise. Le film est tiré d'une formidable histoire vraie, celle de Desmond Doss, très fervent adventiste du septième jour, refusant de toucher une arme sur le front. Il fut le premier objecteur de conscience à avoir reçu la Médaille d'or après avoir sauvé 75 hommes seul lors de la bataille d'Okinawa. Un sacré exploit de la part de la " Brindille " de sauver autant de gens sans armes, en suivant ses convictions, surtout que les infirmiers étaient des cibles encore plus privilégiées. Le film rend hommage à cet homme de conviction qui est toujours resté modeste et n'a jamais souhaité se mettre en avant, même après tant de bravoure au combat. Pour la petite anecdote, Desmond Doss a refusé de voir son histoire transposée en film pendant des années, de peur que ça mette en l'air toutes ses valeurs. Il n'a accepté que cette proposition quelques mois avant sa mort en 2006 à l'âge de 87 ans. L'histoire en elle-même est formidable mais nous savons bien que parfois cela ne suffit pas à créer de bons films. Mais Mel Gibson et un des scénaristes de la série The Pacific Robert Schenkkan (également lauréat du Pulitzer pour sa pièce Kentucky Cycle et du Tony Award pour la pièce All The Way) ont su retranscrire ce récit pour en tirer quelque chose de brillant, que ce soit en terme d'émotion et de réflexion. Tu ne tueras point (en VO Hacksaw Ridge, qui représente dans le film la falaise où se déroule le combat) est pour moi déjà un grand film parvenant parfaitement à mêler histoire individuelle et histoire collective. La division du long-métrage en deux parties distinctes est assez pertinente de ce point de vue en question (même si au fond on pourra aussi compter une 3e partie : celle du combat contre l'administration). La première partie présente une certaine (fausse) candeur (même si on comprend d'emblée les moments de souffrance dans la vie de Desmond lui permettant de choisir de ne pas combattre avec une arme), la seconde est à la fois héroïque et insoutenable par la violence des images.
La construction du scénario est intéressante pour plusieurs raisons. La première raison est celle de donner de la consistance au personnage de Desmond Doss. Il n'y a pas d'ambiguïté chez ce personnage dans le sens où il est jusqu'au bout courageux, ayant le mérite de suivre ses convictions même durant la barbarie la plus inimaginable. Cela aurait pu être superficiel de se concentrer sur l'extrême bonté de cet homme mais le scénario, en procédant par étapes (certains éléments, parfois anodins, serviront plus tard au récit), montre bien qu'on ne peut pas avoir une telle foi du genre au lendemain, qu'il y a de nombreux facteurs qui construisent l'identité d'un individu. La seconde raison est celle de montrer l'horreur inattendue de la guerre, créant une sorte de contraste avec la vision utopique (mais possible) de Desmond. Dès la première partie, notamment à travers le père du héros, un alcoolique violent traumatisé par la Première Guerre Mondiale, on connait clairement les dangers de la guerre et des risques que va prendre Desmond. Lui-même sait à quel point il prend des risques, il n'est pas non plus inconscient (même si certains pensent le contraire, d'où la partie où il doit confronter sa pensée avec celle de l'administration militaire). On a beau savoir à quel point la guerre est atroce, elle dépasse pourtant tout ce dont on pouvait imaginer. Les images sont vraiment horribles, il n'y a aucun mot asses fort pour décrire la barbarie qu'a su retranscrire Mel Gibson. Le réalisateur n'a jamais fait de concession en ce qui concerne la violence et il le prouve de nouveau. On aurait pu craindre le trash pour le trash ou encore le voyeurisme, mais ce n'est pas le cas. C'est juste une envie d'être le plus réaliste possible, de ne pas édulcorer les faits. Les séquences en question sont monumentales, entre cette violence insupportable et les actes de bravoure de Doss qui ne baissent jamais les bras. Je ne suis pas forcément friande de films de guerre. Lorsque je les apprécie, je suis évidemment souvent sonnée par la violence et les scènes spectaculaires mais c'est vraiment la première fois que je suis émue devant un film de ce genre. A partir de l'attaque à Hacksaw Ridge, croyez-moi, j'ai pleuré jusqu'à la fin (les larmes à la fin de la séance se transformant en fontaine).
Tu ne tueras point n'est pas qu'une réussite émotionnelle, mais aussi esthétique. Le résultat est juste époustouflant dans sa reconstitution de la guerre, notamment en ce qui concerne les décors, les costumes ou le soin accordé à la photographie par exemple. Certaines séquences sont d'une incroyable virtuosité, nous permettant d'être en immersion dans l'action. En fait, je n'ai pas eu la sensation d'avoir regardé un film mais de l'avoir vécu. J'ai également beaucoup aimé la bande-originale (qui aurait dû être composée par le regretté James Horner) signée par Rupert Gregson-Williams. Certains reprocheront quelques symboles christiques mais ils trouvent selon moi bien leur place dans le récit, ce choix m'a paru cohérent. Quant à la fin, avec les images d'archive, je reconnais que ça pourrait sembler de trop mais le film en lui-même est tellement bon qu'on ne s'attarde pas non plus sur ce point d'autant plus compréhensible si on est admiratif du véritable parcours de Desmond Doss (comment ne pas l'être ?). Dans le rôle principal, Andrew Garfield livre une sublime interprétation. Il a su trouver le ton juste pour interpréter ce personnage candide et attachant sans tomber dans la caricature. Le reste du casting (beaucoup d'australiens dans le lot, comme Gisbon) est également très bon : dans les seconds rôles, on remarquera en particulier Rachel Griffiths en mère amante et malmenée et Hugo Weaving méconnaissable en père alcoolique et violent (mais paradoxalement n'est pas juste une brute méchante, son personnage est également bien creusé de ce côté-là). Vince Vaughn, plutôt habitué aux comédies, s'en sort bien en sergent au langage fleuri (son personnage m'a fait penser au sergent du même type dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick). Cela faisait un moment qu'on n'avait plus réellement vu Sam Worthington ce qui est assez regrettable, le bonhomme en question s'en sort finalement bien tout comme Teresa Palmer qui a également le mérite de ne pas passer pour une potiche. Je ne sais pas du tout comment les choses vont se passer, si Hollywood (je parle précisément des Oscars - même s'il n'y a pas que ça dans la vie et heureusement) va enfin pardonner à Gibson et admettre à quel point le travail qu'il a fourni est merveilleux, signant pour son retour un grand film (n'ayons pas peur des mots).