[Critique] VAIANA, LA LÉGENDE DU BOUT DU MONDE
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Titre original : Moana
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateurs : Ron Clements , John Musker
Distribution voix (en V.O.) : Auli’i Cravalho, Dwayne Johnson, Rachel House, Temuera Morrison, Jemaine Clement… / (en V.F.) : Cerise Calixte, Anthony Kavanagh, Mareva Galanter…
Genre : Animation/Aventure
Date de sortie : 30 Décembre 2016
Le Pitch :
Comme tous les enfants de l’île de Motonui, Vaina connaît la légende de Maui, le demi-Dieu qui déroba un jour le cœur de Te Fiti, la déesse de la vie et de toutes créations terrestres, afin d’offrir aux hommes la possibilité de tenir Mère Nature en respect. Mais, privée de la pierre sacrée faisant office de cœur, les ressources de l’île commencent à se tarir. Vaiana souhaiterait partir en mer pour retrouver Maui et le forcer à restituer le cœur, mais son père s’y oppose, lui qui considère l’océan comme un territoire hostile…
La Critique de Vaiana, La Légende du Bout du Monde :
Le Disney de Noel 2016 est là, et il s’agit d’une excellente cuvée. Vaiana, La Légende du Bout du Monde s’inscrit parfaitement dans la continuité thématique des productions « maison » depuis la transition réussie de l’animation traditionnelle vers l’animation en images de synthèse. Paradoxalement, depuis déjà plusieurs années, les films Disney font preuve d’une grande constance en termes de qualité scénaristique et d’innovation, là ou Pixar marque le pas en proposant des suites plus (Toy Story 3) ou moins (Cars 2, Le Monde de Dory,…) inspirées, sans parler de ré-écritures maladroites (Rebelle, qui s’égare complètement en seconde partie de métrage ou l’embarrassant Le Voyage d’Arlo, renvoyant aux pires productions Dreamworks (à noter que cet avis n’engage que l’auteur de ces lignes, Le Voyage d’Arlo étant très bien noté sur le site). Pourtant, comme le disait Hemingway « écrire, c’est ré-écrire » ; encore faut-il que les changements soient le fruit d’une réflexion et non d’un recalibrage destiné à affadir son propos.
D’Ariel à Vaiana – des histoires d’eau
L’histoire de Vaiana, mis en production en 2013, a fait l’objet de changements radicaux. À l’origine, il était question que l’héroïne parte à la recherche de son père disparu en mer, un pitch dont il ne reste plus grand-chose à l’écran. John Musker et Ron Clements, les réalisateurs, sont familiers du lent et tortueux processus d’écriture des films d’animation. Après tout, ils firent partie du second âge d’or du studio, à partir du milieu des années 80, et savent qu’avant de livrer la moindre image, il faut peaufiner son scénario, explorer toutes les options pour ne garder que les meilleures. À tel point que la production dû se résoudre à assigner deux réalisateurs supplémentaires (Don Hall et Chris Williams, respectivement co-réalisateur sur Kuzco, Tarzan, Frère des Ours et Mulan, Volt) pour leur prêter main forte et les aider à gérer leur premier projet numérique. En effet, même si le duo Musker/Clements a vécu l’essor des nouvelles technologies, leur CV ne comportait pas encore de film en images de synthèse, même si ils furent des pionniers dans l’utilisation des nouvelles technologies avec Basil, Détective Privé (première utilisation des images de synthèse pour la maison de Mickey), La Petite Sirène (première utilisation de CAPS, l’outil de mise en couleur et composition numérique développé en interne, qui annonçait sans le savoir la disparition du dessin sur celluloïd) et Aladdin, le premier Disney à se mettre les parents dans la poche grâce à un humour plus moderne et référentiel (que Dreamworks reprendra jusqu’à écœurement. Comme quoi, tout est question de juste dosage !). Hélas, les images de synthèse de Toy Story en 1995 sonnèrent en quelque sorte le glas de l’animation traditionnelle américaine, mais les deux comparses continuèrent leur ouvrage avec Hercule, qui échoua à retrouver le ton d’Aladdin, puis L’île au Trésor, une version science-fictionnelle du classique de Robert Louis Stevenson qui subit de plein fouet la concurrence de Pixar et Dreamworks. Mais John Lasseter, un des pères fondateurs de Pixar et désormais président de la branche animation de Disney, leur offrit l’occasion de réaliser La Princesse et la Grenouille, un ultime film de princesse en 2D. Autre particularité du projet : proposer la première héroïne de couleur dans un long-métrage d’animation Disney. Car depuis leurs débuts et au-delà de l’aspect technologique, Clements et Musker ont aussi et surtout contribué à faire évoluer le genre (l’animation Disney, un genre en soi ?). Et si La Petite Sirène peut sembler un brin classique (vieillot ?) à une nouvelle génération sevrée à l’animation 3D, aux bandes-son pop et à l’humour débridé, il ne faut pas oublier que Ariel passait elle aussi pour progressiste en 1988, n’en faisant qu’à sa tête et défiant l’autorité paternelle pour «Partiiir…là-baaaas ». Vaiana marche donc dans les pas de son illustre grande sœur car elle aussi décide de braver les interdits et les traditions conservatrices, afin de découvrir ce qui se trouve au-delà des récifs. C’est une jeune femme qui veut suivre sa destinée et n’hésite pas à prendre des risques. Mieux encore que Raiponce, qui n’agissait que pour sa propre émancipation, Vaiana est avant tout concernée par l’avenir de son peuple et de son île. La mythologie associe toujours l’image maternelle à la Terre ; l’image du père/l’homme à celui qui devra la conquérir (et, comme c’est le cas ici, lui nuire en voulant en exploiter ses ressources jusqu’au point de non-retour). Le personnage de Vaiana se substitue au traditionnel « élu » masculin des grandes sagas cinématographiques. C’est grâce à elle que l’Homme et la Nature pourront retrouver l’harmonie – une thématique qui lie pertinemment deux grands sujets de société actuels : le féminisme et l’écologie. On peut aussi déceler une mise en garde de toute politique isolationniste et autarcique, John Musker et Ron Clemens faisant de leur héroïne une opposante au dogme dicté par son père, lui qui voudrait se persuader qu’un conservatisme frileux est la meilleure défense contre la pénurie qui menace son peuple, alors que leurs ancêtres étaient eux-mêmes de fougueux navigateurs.
Broadway-Sur-Mer
De respect de la tradition, il en pourtant question malgré tout : encouragé par le succès planétaire de Raiponce et La Reine des Neiges, Vaiana revendique haut et fort sa parenté avec la comédie musicale et John Lasseter et sa bande ont encore réussi à s’octroyer la participation du dernier prodige de Broadway : Lin-Manuel Miranda. Son nom ne dira peut-être pas grand-chose au public français. New-yorkais d’origine puerto-ricaine, il incarne à lui seul l’idée du pluralisme et de l’héritage culturels, des thèmes qui irriguent en profondeur les deux shows qu’il a écrits, composés et interprétés : In the Heights et Hamilton, son magnum opus qui joue à guichet fermé à New-York depuis plus d’un an et qui créa la polémique il y a quelques semaines, lorsque le cast du show « osa » interpeller le nouveau futur vice-président américain, Mike Pence, Trumpiste jusqu’au bouts des ongles, venu assister au show. Autant dire que Miranda a du adhérer aux idées développées dans le script de Vaiana. Il s’avère également qu’il est un authentique fan de La Petite Sirène, qu’il découvrit à l’âge de 9 ans à sa sortie – au point de nommer son fils Sébastien comme le crabe, et d’avouer que sa plus grande fierté avec Vaiana, fut de voir le prénom de son fils figurer à la traditionnelle liste au générique de fin des bébés nés durant la production. Son enthousiasme s’avère communicatif, les chansons (auxquelles la VF méritante ne peut pas tout à fait rendre justice au phrasé original des paroles) soutiennent parfaitement les émotions des personnages. Comme dans tout musical qui se respecte, on a ainsi droit à une chanson d’exposition de l’univers, suivie de près par la fameuse chanson du type « I want », durant laquelle l’héroïne nous expose ses rêves et son but dans la vie. Autre numéro indispensable : la chanson du comique de service, ici attribuée à Maui, à qui Dwayne «The Rock » Johnson prête sa voix dans la version originale. (Anthony Kavanagh en VF, heureusement plus sobre – comprendre « moins identifiable »- que l’insupportable doublage de Dany Boon pour Olaf dans La Reine des Neiges).
Polynésithérapie ?
Grâce à ses personnages charismatiques et son rythme soutenu, on remarque à peine qu’une grande partie du film ne comporte pas plus de deux personnages, qui plus est confinés sur un radeau. C’est peut-être la le seul réserve (toute relative) que l’on pourrait émettre à l’encontre du film : une construction linéaire et balisée qui renvoie aux précédents films de Musker et Clements. Mais « simple » ne signifie pas « simpliste » et Vaiana, même si il ne peut rivaliser avec la virtuosité de Zootopie, le plus plus « Shane-Blackien » des films Disney, est un grand spectacle visuellement ambitieux et alimenté par une émotion et une passion de tous les instants (les auteurs adressent même un hommage à l’animation 2D par le biais des tatouages vivants de Maui, confiés aux bons soins de Eric Goldberg qui donna vie au fameux génie de Aladdin il y a un quart de siècle déjà), qui parviennent même à nous faire oublier une perfection technique jamais atteinte en terme de textures et d’animation. On peut notamment distinguer des nuances inédites sur la peau des personnages, y compris un léger duvet d’un réalisme troublant. Quant aux cheveux et aux éléments (eau et feu), ils sont si parfaitement rendus qu’on n’oublie qu’ils sont le fruit d’algorithmes !
En Bref…
Au-delà de sa pertinence thématique et de sa perfection technique, Vaiana offre une cure de soleil bienvenue au beau milieu de l’hiver et nous prouve que la magie Disney fonctionne toujours, même quand elle repose sur une histoire moins sophistiquée que ses plus récents prédécesseurs. Car ce que le film perd en complexité scénaristique, il le gagne en universalité. Alors, comme le scande la chanson-titre du film: We know the Way et ce chemin, c’est celui de la salle de cinéma la plus proche pour justement aller découvrir Vaiana !
@ Jérôme Muslewski
Crédits photos : The Walt Disney Company France