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(…) c’est le feu du piano qui réchauffe toute la pièce d’inox, inox le pochon, inox le chinois, inox la plaque à desservir, inox la lame du couteau filet de sole, inox le bac à fond plat, inox l’éminceur grand et l’éminceur petit, tu sais que c’est prêt quand le caramel est blond et qu’il sent bon, tu entends voltiger les éclats de nougatine dans le bol du robot, tu n’as pas le temps de contempler la nuit qui s’étend autour ni de compter car cuisiner n’est pas compter, c’est jouer, et « le gras c’est le goût », surenchérit l’inscription sur le haut de la manche de la veste blanche « le beurre provocateur de gout », tu ris aussi devant le risotto aux amandes, oh qu’c’est une bonne odeur, un bel ensemble, virgule dans l’assiette (…)
(…) et toujours pas de point à la ligne, conservez la comme vous pouvez, « on n’a qu’une vie », dit-elle en ciselant le basilic qui embaume, doigts en crochet d’avare (sur une liasse épaisse de billets, (pour ciseler sans faire de sashimis de phalange)), alors que tout dit le contraire sur la paillasse d’inox : l’abondance de crème, de temps, de soin, de sucre, de beurre, d’huile, de bouillon de légumes et pas de Kubor, de temps, de tour et de retour de main, de bain-marie, sur la paillasse d’inox pas de clown triste, de danseuse mélancolique, mais des patates douces « gaufrettes » et la précieuse recette recopiée de la tempura de sauge, laquelle ne mettra certainement pas le point final à (…)
(…) la phrase, car elle se déroule un peu comme la lanterne magique de Rentilly dans l’installation appelée « Polka dots », le regard se déplace d’un point à un autre, suiveur de lumière effecteur de mémoire, sur des photos inconnues d’inconnus cinématographiques, quotidiens, des visages chronologiquement neutres, sous la photo collée la peau du mur tremble presque sous la rétine le sol tremble presque (ce sont les installations holographiques noir et blanc cette fois, installation sonore et visuelle), lesquelles sont toutes dans le ventre du château disparu, et l’ici l’éclat du miroir jamais n’abolira le paysage, là au moins la tête tourne et vous savez pourquoi, – êtes vous sûr de n’avoir rien oublié ? – « verificate de non aver dimenticato nulla », vous savez déjà que (…)
(…) l’objet du jour est – car dans ce poème du jour, je choisis, par un exercice accru de présence et d’attention au monde, je choisis un objet – le fauteuil de Molière, tavelé, vieilli et sous plexiglas, équipé d’un système de bascule qui en fait, si on le souhaite une chaise longue, pièce de mobilier que jusque là j’associais systématiquement à Tchekhov, et aussi à la sieste – car dans ce poème du jour, je choisis, par un exercice accru de ténacité et d'application au monde, je choisis une odeur ou une matière – ce qui plus que les visages imprimés en camouflage sur les faux bouleaux de Gorki, à la Comédie Française – car dans ce poème du jour, je choisis, par un exercice accru de assiduité et de concentration au monde, je choisis une odeur ou une matière – donne le sentiment heureux et plein du temps qui passe, l’occasion, comme l’écrit la publicité francilienne de « fai[re] la rencontre de votre vie professionnelle », rencontre plus ou moins affriolante pour ce qui concerne les soudeurs, au moins côté fauteuil car on ne sait pas très bien où poser son – car dans ce poème du jour, je choisis, par un exercice accru de ponctualité et de vigilance au monde, je choisis de nommer ce dont je viens de parler, ici le fauteuil et la conscience éclairée du temps qui se promène, principalement, qui se promène– (…)
