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Pourquoi nous n’avons pas aimé la sucette électronique (ou sus à la sucette !)

Publié le 25 avril 2014 par Wanderer

Pourquoi nous n’avons pas aimé la sucette électronique (ou sus à la sucette !)

L’actualité était séduisante : ce projet venait de remporter un des prix Netexplo, une organisation qui avait célébré Twitter avant que l’application ne décolle. Le début était tout trouvé : « Après le succès de la cigarette électronique, voici que débarque la sucette électronique. » Le dessin explicatif était presque terminé. Et pourtant.

Pourtant, j’ai abandonné l’idée de parler (dans le supplément hebdomadaire Science&Médecine) de cet instrument qui promettait de faire sentir et de partager par Internet des sensations gustatives, la lollipop numérique (N.B : ce n’est pas la première fois qu’une actualité se dégonfle, comme je l’ai déjà raconté). Deux avis extérieurs m’ont convaincu qu’il y avait en quelque sorte loin de la coupe aux lèvres.

Comment marche le système ?

Deux électrodes d’argent font passer un courant électrique sur la langue et peuvent la chauffer plus ou moins. Cette double stimulation est censée créer des sensations salées, acides, amères ou sucrées en bouche. En fait, le courant électrique déplace les ions présents dans la salive (on parle d’« iontophorèse », d’« électrolyse de la salive » ou d’« électro-gustométrie »), en particulier le sodium et les protons. Mais ces molécules n’ont pas vraiment de « goût », ou alors c’est plutôt saumâtre.

Mais si le courant augmente, à partir d’un certain seuil (environ 50 microAmpère), on va directement stimuler un nerf (le nerf trijumeau), sans passer par l’excitation des récepteurs chimiques. Et ça va picoter, donnant un effet « pimenté » (comme lorsque l’on teste avec la langue l’état de santé d’une pile de 9 volts). Or, ce sont justement de tels courants que le système utilise. C’est donc un simulacre de « goût ».

Le courant peut aussi être inversé et cette fois cela déplace des ions négatifs de la salive, qui sont plutôt rares (un peu de chlorure) et sans « goût » là aussi. En fait, on connaît des ions négatifs qui ont du goût sucré, mais il faudrait les ajouter dans une solution ; ce qui n’est pas le cas ici. Pour l’amertume, a priori on ne connaît pas d’ions. Quant à la température, il est connu que son effet est d’augmenter la sensation de sucré (c’est pour cela que les glaces sont pas mal chargées en sucre pour qu’on le sente !). Mais là, l’inventeur l’associe au mentholé ou à l’épicé seulement.

Bref, sur le plan fondamental, l’invention est à côté de la plaque (et on savait depuis les années 1950 que ces stimulations électriques ne marchent pas, m’explique un chercheur…). Les spécialistes rappellent aussi que ce qu’on appelle « le goût », c’est un mélange d’olfaction, de goût (en bouche) et de somesthésie (sensation de chaleur, douleur…) (donc plus compliqué que ce que fait la sucette).

Mais qu’a démontré Nimesha Ranasinghe, le Sri-Lankais à l’origine de cette invention à l’université de Singapour ?

Dans sa thèse de 2012, il a pris quinze cobayes et leur a demandé de « noter » ce qu’ils ressentaient avec cinq choix (salé, sucré, amer, acide et autre) et trois intensités. C’est statistiquement faible et surtout c’est un mauvais protocole, car il existe une grande diversité dans l’expression gustative. Même sur le sucré ou sur l’amer, les gens divergent ! Un des chercheurs m’explique avoir demandé à soixante personnes de qualifier le goût d’une molécule à partir des quatre saveurs habituelles. Résultat : les réponses se répartissent équitablement sur les quatre noms. Pas de preuves claires donc.

Enfin, dernier argument : la faiblesse des éléments scientifiques. Une thèse, un article en conférence (pas en physiologie du goût mais en électronique), et un autre soumis en janvier 2013 (dans un journal d’interface homme-machine) et toujours pas paru. Léger.

En conclusion, « fumisterie », « publicité », « c’est n’importe quoi », sont des mots entendus, résumant cette invention. Reste que je n’ai pas pu la tester.


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