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Difficile de mobiliser autour des législatives à La Courneuve

Publié le 04 juin 2012 par Jcgbb

Samedi 2 juin, 18 heures. Il fait encore chaud à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Toute la journée, le soleil a brillé comme en plein été. Une journée à pique-niquer, à s’aérer au parc, ou à rester au frais à regarder les derniers Français batailler à Roland-Garros. En cette fin d’après-midi, des jeunes gens se sont pourtant démenés pour proposer un autre programme à leurs concitoyens : ils sont parvenus à réunir dans un gymnase de la ville sept des dix candidats aux législatives sur la 4e circonscription de Seine-Saint-Denis, à laquelle La Courneuve a été rattachée cette année dans le cadre du redécoupage électoral.

Nasreddinne et Abasse (au fond) animent le débat. © E.R

Nasreddinne et Abasse (au fond) animent le débat. © E.R

Voilà plus d’un an maintenant que nous suivons Nasreddinne, Nabil, Aly, Abasse et quelques autres encore, dans leurs efforts pour faire exister un débat public et inciter à la citoyenneté dans leur ville. « Ça fait trente ans que ces quartiers vont mal, et qu’aucun projet politique n’a réussi à changer les choses. Il faut que les habitants prennent la parole, qu’il prennent aussi leurs responsabilités, insistait Nasreddinne, instituteur de 28 ans, juste avant le premier tour de la présidentielle. Si tu restes planté devant TF1 à dire ‘ici, c’est pas bien’, ça sert à rien. Donc il faut arrêter de faire les plaintifs, il faut se réveiller : écouter, apprendre, donner des idées, voter. »

Les organisateurs ont été ambitieux : plus de 300 chaises sont alignées devant l’estrade. A 18 heures, seuls les premiers rangs sont occupés. On tarde un peu à commencer, dans l’espoir qu’il y ait beaucoup de retardataires. Dernières installations, tests de micro. A 18 h 30, les sept candidats sont assis à la tribune. Nasreddinne prend la parole. « D’abord, merci d’être venus aussi peu nombreux, lance-t-il, ironique, à l’assistance clairsemée. Je crois que cela montre combien il est difficile de mobiliser les gens ici, d’arriver à ce qu’ils se sentent concernés. Il y a encore du travail pour qu’ils se sentent citoyens. »

Pendant le débat. © E.R

Pendant le débat. © E.R

On comptera quand même jusqu’à 70 personnes. Mais pour les deux tiers, il s’agit de militants venus faire la claque pour leur champion. On identifie d’ailleurs rapidement les deux clans locaux : sur la droite de la salle, les partisans de Marie-George Buffet (Front de gauche), dont le suppléant n’est autre que le maire, Gilles Poux ; sur la gauche, les partisans de la socialiste Najia Amzal, dont le suppléant est le secrétaire de la section PS de la ville, André Joachim. Les candidats de l’UMP, du FN, d’Europe Ecologie-Les Verts, du Nouveau Parti anticapitaliste et de l’Alliance centriste ne sont, eux, venus accompagnés que d’un ou deux de leurs soutiens.

Drôle de contraste avec un précédent débat organisé par ces mêmes jeunes gens en mars 2011 : la salle du cinéma L’Etoile était comble pour écouter et questionner trois des candidats aux élections cantonales. Il avait même fallu refuser du monde. Les candidats d’alors étaient néanmoins bien connus des Courneuviens : il s’agissait du maire, communiste, Gilles Poux ; du conseiller municipal, conseiller général et président de l’office HLM, socialiste, Stéphane Troussel ; et du conseiller municipal, UMP, Kamel Hamza, trois figures de la vie courneuvienne.

La donne n’est pas la même ce samedi soir au gymnase El-Ouafi : aucun des candidats n’a de lien avec la ville. Figure du parti communiste, Marie-George Buffet, qui a été ministre, est le seul visage connu des électeurs. Et encore, bien que députée sortante, elle n’était pas la leur : La Courneuve n’appartenait pas jusqu’ici à sa circonscription. Le député sortant, les Courneuviens le connaissaient bien : le socialiste Daniel Goldberg a grandi dans la ville. Le redécoupage puis le jeu des chaises musicales qui s’est joué à l’automne au PS l’ont finalement propulsé à l’autre bout du département. Et c’est une enseignante de 30 ans, maire adjointe à Stains, qui a obtenu l’investiture.

7 candidats sur 10 ont répondu présents : de g. à dr., Najia Amzal (PS), Aurélie Murua (NPA), Thierry Meignen (divers droites), Gilles Clavel (FN), Estelle Vulliez (EELV), Marie-Georges Buffet (FDG), Edwin Legris (Alliance centriste). © E.R

7 candidats sur 10 sont présents : de g. à dr., Najia Amzal (PS), Aurélie Murua (NPA), Thierry Meignen (UMP), Gilles Clavel (FN), Estelle Vulliez (EELV), Marie-Georges Buffet (FDG), Edwin Legris (Alliance centriste). © E.R

Or les candidats eux-mêmes n’ignorent pas combien la proximité peut compter pour les électeurs. Ce soir-là, d’ailleurs, leur premiers mots sont éloquents : Abasse, 27 ans, a beau rappeler dans son introduction que chaque député a vocation à représenter l’ensemble de la nation et pas seulement les électeurs de sa circonscription, ils semblent tous vouloir prouver qu’ils sont du cru.

« Les difficultés de la vie en Seine-Saint-Denis, je ne les connais pas qu’en théorie, j’ai grandi ici », lance ainsi pour se présenter la socialiste Najia Amzal. « Je suis enseignante. J’habite et je travaille en Seine-Saint-Denis, » enchaîne Aurélie Murua pour le NPA. « Je suis élu au Blanc-Mesnil, je suis né au Blanc-Mesnil, et mes parents avant moi », poursuit Thierry Meignen (UMP). « J’habite Dugny depuis 1963 et je suis né à Aubervilliers, ma maman a travaillé au Franprix à Verlaine [cité des 4 000 Nord], et c’est sur le terrain vague juste derrière que j’ai appris à faire de la mobylette », renchérit le candidat du Front national, Gilles Clavel.

« Je suis originaire de Savoie… mais ce département m’a adoptée, se rattrape Estelle Vulliez, d’EELV. Je vis à Stains et travaille à Sevran. » Professeur au Blanc-Mesnil, seul Edwin Legris (Alliance centriste) osera reconnaître qu’il « ne connaî[t] pas très bien La Courneuve ». Et ses deux mandats à la tête de la circonscription éviteront à Marie-George Buffet de revenir sur son parcours de jeunesse loin de la Seine-Saint-Denis.

EDUCATION, LOGEMENT, LAÏCITÉ

Nasreddinne et Abasse lancent ensuite une série de cinq questions qu’ils estiment fondamentales pour les quartiers populaires. D’abord l’éducation, « après le pain, le premier besoin du peuple », rappelle le jeune instituteur, citant Danton. Puis le logement et le non-respect de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). Vient ensuite la laïcité et la crainte de voir monter l’islamophobie. Puis l’emploi. Et enfin, la question du conflit israélo-palestinien. Les candidats répondent à tour de rôle, 2 minutes chacun, mesurées par un sablier.

Pendant le débat. © E.R

Pendant le débat. © E.R

Thierry Meignen, le candidat de l’UMP tentera bien quelques saillies à l’encontre de Marie-George Buffet qui, à ce jour, fait figure de favorite. « Nous avons envie d’un député qui siège ! Or on sent bien que Mme Buffet, qui veut un gouvernement pluriel, souhaiterait être ministre. Elle veut être élue mais en fait vous aurez son suppléant, Gilles Poux ! » Mais les interventions contraintes à un temps très restreint restent globalement des monologues individuels laissant peu de place au débat et à la contradiction.

Chacun ne fait qu’exposer brièvement la ligne de son parti. Sur l’emploi, par exemple, Aurélie Murua, du NPA, défend l’interdiction totale des licenciements, Marie-George Buffet, l’interdiction des licenciements boursiers, Najia Amzal, les contrats d’avenir de François Hollande. Estelle Vulliez évoque la manne des emplois verts non délocalisables, Edwin Legris, la nécessité d’un meilleur accueil des entreprises dans le département, Thierry Meignen, le « Buy European Act » défendu par Nicolas Sarkozy pendant la campagne. Gilles Clavel avance que le FN, contrairement au PS et à l’UMP, n’a « aucune responsabilité dans la crise » et qu’il faut « un patriotisme économique ».

« ON N’A CONVAINCU PERSONNE ! »

Seyfeddine, de l'association Jeunes Musulmans de France. © E.R

Seyfeddine, de l'association Jeunes Musulmans de France. © E.R

20 h 30, les candidats fatiguent. Les spectateurs partent peu à peu alors que la salle n’a pas encore eu la parole. Ceux qui restent ne baissent pas les bras. Seyfeddine, membre des Jeunes musulmans de France, revient sur l’islamophobie. Son voisin évoque les prêts toxiques contractés par les collectivités, particulièrement en Seine-Saint-Denis. Il est question aussi du timbre de 35 euros imposé désormais pour tout recours juridique, même pour les plus pauvres. Et enfin, de la sécurité : « Je vais pas revenir sur l’histoire du Kärcher, mais qu’est-ce que vous allez faire pour nettoyer tout ça, les jeunes qui se tirent dessus, les problèmes de drogue, pour que les gens soient tranquilles ? » Des problèmes très concrets, qui touchent au quotidien, comme on les a chaque fois vus surgir chez les Courneuviens dans les différentes réunions politiques auxquelles nous avons assisté ces derniers mois.

21 h 15, le débat s’achève. La salle est presque vide. Les derniers spectateurs repartent dubitatifs : « Ils étaient un peu tous d’accord, et n’ont pas vraiment répondu aux questions,  c’était un faux débat », dit un quinquagénaire. Les organisateurs, eux, sont amers. « Y avait que des militants, on n’a convaincu personne ce soir, se lamente Nasreddinne à la sortie. Les gens ne s’intéressent pas à la politique. Aujourd’hui, on leur proposait de rencontrer et discuter avec celui ou celle qui ira pour eux à l’Assemblée, ce n’est pas rien. Et personne ne vient ! », déplore-t-il.

« PAS CONCERNÉS »

Pourtant, ils avaient activé les mêmes réseaux qui avaient fait leurs preuves l’an passé : Facebook, SMS, mails, affiches… Mais ça n’a pas marché. « Moi, ça me fait mal de voir la salle vide. Et je me demande : est-ce que les candidats, ça leur fait aussi mal ? N’auraient-ils pas pu mobiliser davantage tous les gens qu’ils croisent aux marchés, dans la rue, toute la journée? » Nabil, 22 ans, fait le même constat : « Nous n’étions pas assez nombreux au regard de l’importance de la cause. Les gens ne se sentent pas concernés. Et la semaine prochaine, ils pourraient tout aussi bien ne pas aller voter… Je crois que ça présage d’un bon taux d’abstention… »

Les 22 avril et 6 mai, les Courneuviens avaient déjoué les pronostics pessimistes en se déplaçant massivement pour aller voter. Mais en 2007, après une mobilisation record pour la présidentielle, moins de la moitié des électeurs s’étaient déplacés pour les législatives : l’abstention avait atteint 50,60 % au premier tour, puis 53,95 % au second.

A.L


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