En 2001, Tricky demeure plus que jamais l’homme derrière le génial Maxinquaye, l’un des meilleurs albums, le meilleur pour certains, de l’année 1995. Ensuite, Nearly God, Pre-Millenium Tension et, dans une moindre mesure, Angels With Dirty Faces, ont continué d’élaborer le style complètement atypique de l’Anglais. Mais la pyramide construite et découverte par le monde entier en 1995 restera (encore aujourd’hui, plus de 20 ans après sa sortie), son monument indestructible.
Tournant 2000, donc, Tricky délaisse l’Angleterre pour les États-unis, fort de sa réputation monstrueuse (outre son chef-d’œuvre, n’oublions pas qu’il était présent sur les deux premiers albums de ses compatriotes Massive Attack, et a collaboré à plusieurs reprises, entre autres, avec Björk).
Pour autant, les années 2000 s’ouvre difficilement pour Tricky : d’emblée, Blowback sera perçu comme son tout premier échec quasi-unanime et indiscutable.
Retour sur un album a priori particulièrement décevant mais pourtant, avec du recul, très bien ficelé.
Comme le signale d’entrée de jeu le premier morceau, « Excess », Blowback voit Tricky poursuivre dans la plus pure lignée de ce qu’il a toujours fait : travailler avec d’autres artistes, utiliser les références ou les samples aussi souvent que bon lui semble. De ce côté-là, on ne peut rien lui reprocher. Pour autant, la présence d’Alanis Morissette sur ce premier morceau est tout à fait inutile, et dès lors incompréhensible : la chanteuse principale Stephanie Mickay lui vole tout simplement la vedette, alors même que celle-ci est parfaitement inconnue.
Le duo suivant est beaucoup moins bancal, le chanteur du groupe Live Ed Kowalczyk étant plutôt une bonne intégration à l’univers de Tricky. Mais se souvient ou de lui ou de son groupe ? Le nom d’Alanis Morissette, lui, continue de résonner encore aujourd’hui.
Plus loin, les Californiens de Californication (sorti en 1999) se joignent à l’Anglais pour un « Girls » et un « #1 da woman » parfaitement réussis mais qui s’éloignent bien trop de ce que Tricky représente. Néanmoins, John Frusciante, Flea et Anthony Kiedis apportent littéralement de la joie à un univers grisé.
En fin d’album, Cindy Lauper (!) vient accompagner Tricky sur un « Five days » tout à fait (d)étonnant et, quinze ans après sa sortie, il faut avouer que c’est un très bon titre.
Le dernier titre, « A song for Yukiko », est une collaboration avec la chanteuse Yukiko Takahashi et John Suzuki : c’est un superbe final, dans la plus pure tradition trickyesque.
Alors, pourquoi une telle flambée concernant ce disque ? Parce que les diatribes ragga n’ont pas plus, l’ami Hawkman étant trop présent selon nombre de critiques et de fans. Au contraire, je trouve chacune de ses collaborations très bonnes, même sur l’un des deux morceaux bonus (non listés et non crédités).
Les samples ou reprises sont très bien, dès lors qu’il ne s’agit pas de choix beaucoup trop évidents et donc sans surprise ni saveur (Eurythmics, Nirvana).
Les clichés, pour ceux qui ne les auraient pas reconnus, sont d’Anton Corbijn, que l’on ne présente plus (Depeche Mode, Metallica), et le visuel de Blowback est l’un des plus réussis de toute sa discographie (aux côtés de Maxinquaye et Pre-Millenium Tension). La production des certains titres est due à Rob Cavallo (particulièrement connu grâce à son travail avec Green Day – à l’exception de l’album Warning de 2000), et le mix a lui été confié à Tom Lord-Alge.
En 2001, Blowback annonçait très haut des ambitions digne d’une montagne qui a accouché d’une souris. La désillusion, surtout parmi les fans, ne pouvait être que plus grande.
En 2016, et maintenant que l’on sait que Tricky a retrouvé un équilibre entre démesure et humilité (de Knowle West Boy à Skilled Mechanics, chacune de ses dernières productions ravit), il faut bien se faire à deux idées : celle que le Tricky de l’époque tragico-glauque du milieu des années 90 est définitivement révolue depuis belle lurette ; et celle que Tricky a su retrouver une seconde force, plus honnête que jamais, l’autodestruction semblant dissipée.
Le constat de 2001 ne peut que différer de celui de 2016. Blowback est, aujourd’hui, un disque correct de la discographie de Tricky, mais un bon album tout court. Il ne faut sûrement pas l’oublier, car il contient de quoi comprendre l’évolution de l’artiste, qui n’a jamais fait l’erreur de se laisser avoir par le qu’en-dira-t-on ni les critiques parfois dithyrambiques, souvent acerbes.
(in heepro.wordpress.com, le 16/12/2016)
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