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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 16

Par Florence Trocmé

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(…) attention – ce n’est pas tout à fait ce que vous croyiez– par exemple sur le caramel mou au beurre salé pris entre deux tranches de papier sulfurisé, on n’en approcherait pas une allumette pour autant, mais la langue, aussi le caramel chauffé au soleil coule dans la gorge, se colle aux joues, au doigts, aux cheveux même dont il a la couleur, si on veut, de se chauffer aussi au soleil, les pieds dans la Seine, et que c’est agréable agréable agréable que dirait Boris Vian, à supposer qu’on lui demande d’écrire ici une fable express, sans doute « concentrique » en serait la chute et comprend qui veut, un comprend vaut mieux que deux qu’on n’aura pas, aussi en toute chose insignifiante il vaut mieux faire (…)
(…) contre mauvaise fortune bonne sœur, de celle qui fait voler en éclats dorés la nougatine de sésame, ouvre toi à grands coups de marteaux, sésame grillé à sec et pas moins taciturne, sésame solaire et minuscule dans la main, comment pourrais-tu ouvrir quoi que ce soit, il n’y a qu’Ali pour ouvrir les cavernes avec une si petite graine, que Cassim pour prétendre que l’orge, le tournesol pourraient te rouler dans la farine, mais l’onomastique ne brise pas les molaires sur le grain de blé, elle se contente du soleil d’avril, se couvre de graines minuscules pour se protéger du petit vent froid – pourquoi j’entends « c’est à Craonne, sur le plateau, qu’on a laissé sa peau », chanté par une jolie merlette–, alors recouvrons nous de graines justes rôties, pas brûlées, moins encore cinéraires amphores, dont la germination fera éclater la terre (…)
(…) ou de beurre de karité, mon bon monsieur, afin de se préparer au soleil d’avril, comme la gousse fendue de vanille plongée dans le sucre semoule prépare de petits grains noirs et odorants dans le placard, qui appellent la chaleur, l’été, les fraises, qui rappellent le froid, les pommes, les tartes aux pommes bien rangées de ma grand mère, qui pouvait pourtant être un peu dérangée, qui disait « ceusses qui ne rangent pas bien ne commencent pas par soi même », et elle disait aussi, et je n’ai jamais compris ce que ça voulait dire jusqu’à aujourd’hui « comme on fait son lit on se couche », avec un pli amer à la commissure, ce qui, à mon sens, voulait dire que faire son lit très soigneusement ne servait à rien si on se recouchait aussitôt dedans, que ce devait être, par conséquent, un de ses fréquents blâmes de la paresse et de la luxure réunies, et qu’aujourd’hui je considère comme un plaisir simple et très délectable de (…)
(…) simplement attendre le soleil, me chauffer au soleil les pages du livre et fermer les yeux éblouie de la blancheur, des petites fourmis de mots qui se rangent calmement sur la page, plus qu’un septentrion, cependant que le bois noir se dresse hérissé en haut du Cujas, c’était une charpente et c’est un accent aigu, c’était un toit d’ardoise et c’est une bouche d’ombre, les bagues jetées au sol en protection du quartier, le grand incendie de Bourges ne frappe pas que les humanistes, les cafetiers aussi (« les photos du terrible brasier du Cujas ») et le brûlé vous entre par les narines avant même les rétines, le grand incendie de Bourges procède comme un anti-café, posé à côté de moi sur les coussins de la terrasse, chauffé gentiment au soleil d’avril (…)


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