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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 17

Par Florence Trocmé

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(…) quand bien même vous sauriez faire autrement que la rhubarbe rouge, qui veut bien pousser là où rien ne pousse, quand bien même vous voudriez, dans les tiges cannelées sous les feuilles d’ombre vertes friselées et ourlées de sombre, les bettes –leurs semblables leurs sœurs–, jaunes celles-là, rayées de soleil, voir un début de printemps, un étendard qui coule un peu de sud, quand bien même vous lèveriez les yeux au-delà de la frange noire fusain énorme qui barbouille le ciel, quand bien même vous décideriez que ce sera pour demain, la révérence mallarméenne dans la formule toute répétée, quand bien même vous allongeriez la montre à côté de l’oreiller, sourde à l’après-midi qui bat dans la chambre à part son déguisement actif – indien, soubrette, montre, pirate, faune, fauvette–  vous garderiez toujours une moitié d’orange pour la (…)
(…) soif, pour la faim, pour lui lever les filets, on dit lever les suprêmes, pour la confiturer à plusieurs, pour la couper en petits morceaux et la chair alvéolée glisse orange et rouge dans le saladier en forme de vasque, pour la mêler au sucre qui change sa couleur et sa matière, puis disparaît complètement, avalé par les gros bouillons, les cratères surfaciels, le ploc du couvercle sous pression, le retournement final, il a réussi à s’échapper sous sa forme collante sur la paroi de verre, plus vif à l’évasion que Monte-Cristo (et heureusement pour la conserve, qui ne tiendrait pas vingt ans), le sentiment de l’impérissable, de l’éternel, du durable ne gagne pas le Parfait au fond du bocal, « quoi ! de tout cet éclat pas même le lambeau » d’orange plus que le zeste, la peau (…)
(…) sous laquelle vibre le blanc, amer qui porte l’amer et repère qui éloigne du quai de Javel, quand il est si facile de reconstituer chez soi l’odeur de la piscine, des cours de piscine, des moniteurs de piscine, de la moiteur de la piscine quand on attend en peignoir et claquette de piscine, somnolant sur le banc de pierre reconstitué son nom claironné dans le micro, pour prendre place au plongeoir numéro 4, son nom on ne le comprend pas bien, aspiré dans les voûtes arachnéennes de la piscine, larsénisé par l’eau bleue de piscine (en fait eau de javel, c’est la mosaïque 1X1 qui est bleue, turquoise un peu, (en forme de T noir lorsqu’on est à un mètre vingt de se fracasser le poignet  contre le mur (si on n’a pas encore amorcé son virage toupie (fermez toutes les parenthèses)))), sa place on ne la comprend pas bien, son visage on ne le reconnaît pas, lunettes à joint silicone et bonnet de bain qui font à toutes les nageuses la même tête de grenouille sponsorisée par l’ACC, capitales ciel sur crâne marine, « l’azur, l’azur, l’azur, l’azur » je suis éventrée par la gifle monumentale du plat qui succède instantanément au plongeon (…)
(…) par l’anti-caresse de l’eau dure, laquelle ne reflète rien qu’une marque rouge étale, soleil liquide estampeur, tout au contraire du faisceau affectueux, amène, doux de la douche et sa paume qui fait le serment d’une remarquable caressante douce journée, sans imprimer autrement que d’invisibilité propre la peau, vient ensuite l’effleurement rêche de la serviette qui parcourt, circuit organisé et jamais dévié, les points du corps alors réveillés et prêts au monde, comme un conspirateur de micro crimes – voler une branche de pommier du Japon, se jeter des pétales de fleurs de cerisiers sur la tête, se rouler dans l’herbe (« pelouse en repos, merci de ne pas piétiner »)–,  qui attend, tapi, la prémédit’ d’un fauve fleuve à ne traverser que quatre fois, d’accord (…)


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